Parce qu’il a beaucoup suivi les modes, l’animateur intello de Ce soir (ou jamais !) prend à la télé un plaisir à les ignorer. Même s’il rêve d’interviewer Zahia, la nouvelle muse de Lagerfeld.

« Trop cultivé pour la télé « , lâcha un jour Thierry Ardisson à son propos. Vraiment ? Avec Ce soir (ou jamais !), l’émission qu’il anime sur France 3, Frédéric Taddeï est devenu l’une des personnalités les plus en vue du paysage audiovisuel hexagonal. Mieux, il incarne à lui seul le retour à l’âge d’or du service public à la française, façon Le Grand Échiquier mais rejoué sur le mode cool. Le costume est strict mais le n£ud de cravate un chouia relâché. La combinaison est gagnante.

Aujourd’hui, le journaliste est sur tous les fronts médiatiques jusque sur la Toile où il copilote un pure player dédié aux débats ( www.newsring.fr). On peut même l’écouter sur France Culture où il reçoit chaque semaine des artistes, des philosophes ou des scientifiques pour un tête-à-tête feutré à la manière de Radioscopie, l’émission culte de Jacques Chancel qu’il écoutait enfant.

Ce fils de banquier d’origine italienne – son grand-père communiste a fui le régime de Mussolini pour s’installer en France – ne se voyait pourtant pas en présentateur ni en journaliste mais en écrivain. Il renoncera rapidement à gravir la montagne.  » Vous n’entrez en littérature que si vous pensez pouvoir rivaliser avec les meilleurs. À l’âge de 25 ans, j’ai compris que je ne serais pas de ceux- là « , constate-t-il sans nostalgie.

Frédéric Taddeï s’inscrit à l’université, zappe d’une faculté à l’autre sans jamais décrocher le moindre diplôme. Mais tout l’intéresse. Il se passionne pour l’économie, l’histoire ou la peinture, c’est selon. Un rien suffit à allumer la mèche. Après avoir vu New York, New York de Martin Scorsese, il devient incollable sur le be-bop. À chaque fois, c’est pareil. Il veut tout savoir, lit, prend des notes, classe, établit des listes  » pour exercer la mémoire  » et, au final, s’autorise une érudition suffisante pour  » être à l’aise avec tout le monde « . Le jour où il interviewa dans la même émission Ophélie Winter et le sociologue Edgar Morin lui procura une sincère jubilation. Il ne serait pas contre un face-à-face avec Zahia, l’ex-escort devenue muse de Lagerfeld. Il a toujours aimé les personnages hors normes, bien avant de mettre en images ses dérives nocturnes et branchées pour Paris Dernière, une émission des années 90 devenue un classique de la lucarne.

Aujourd’hui, dans sa maison près de Paris, où il vit avec l’actrice Claire Nebout, sa compagne depuis presque vingt ans, l’ordre alphabétique n’a pas dit son dernier mot. Ses milliers de livres sont scrupuleusement rangés par auteur. Abellio Raymond en intro, Zweig Stefan pour fermer la marche. Pareil pour sa copieuse dévédéthèque, ordonnée selon le nom des réalisateurs.  » J’ai besoin de posséder, je suis un mec de l’atome « , lâche-t-il. Pour la télé, il rédige ses pense-bêtes à la main, feutre blanc sur papier noir, jamais en les tapotant sur un clavier d’ordinateur.

C’est mathématique, à 51 ans, il est de ceux qui ont vécu l’apparition du Minitel, la victoire de Mitterrand et les premiers ravages du sida. Question ou non de date de naissance, cet enfant de l' » après-Mai 68 « , étranger aux grands soirs et aux lendemains qui chantent, est vacciné contre l’engagement politique. L’idée même de rassemblement le pousse à fuir, lui qui ne croit qu’à l’individu et à l’indépendance d’esprit. Il ouvre fréquemment les portes de ses plateaux à l’écrivain Marc-Edouard Nabe, mouton noir de l’édition dont il admire le style et la liberté de parole. Faire le contraire de ce que tout le monde fait n’est pas pour lui déplaire. Un concept qu’il ne manque pas de mettre en pratique. Comme d’animer une émission où le pathos et le grand déballage de la vie privée sont bannis. Ou de conduire une voiture sans devoir mettre sa ceinture de sécurité, privilège qu’il pourra à nouveau exercer, et en toute légalité, quand sa voiture de collection, une antique Volvo P1800, sera revenue de chez le garagiste.

PAR ANTOINE MORENO

 » JE SUIS UN MEC DE L’ATOME. « 

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