Vent frais sur les Collines

© JEAN-PIERRE GABRIEL

Dix kilomètres seulement séparent la Maison D., à Renaix, du Vieux Château, à Flobecq. A mi-chemin des deux entités se trouve la chocolaterie Cédric De Taeye. Trois maisons, trois démarches riches en saveurs qui font souffler un air de renouveau sur ce terroir méconnu.

La frontière linguistique s’insinue ici entre Pays des Collines et Ardennes flamandes, deux appellations traduisant parfaitement le caractère bucolique et vallonné de cette région peu fréquentée par les non-initiés. Ce terroir essentiellement rural se révèle cependant une invitation à la bonne chère, comme le démontrent Tanguy De Turck, Didier Bourdeaux et Cédric de Taeye, trois jeunes talents bien décidés à faire bouger les lignes de la gastronomie classique. Pourtant, rien dans le parcours scolaire du premier ne le destinait aux fourneaux. Son diplôme de sociologie décroché à l’université de Gand, ce passionné de musique enchaîne en effet avec des études d’ingénieur du son. Mais l’hérédité le rattrape :  » Mon père, négociant en vins de Bordeaux, a un palais exceptionnel, souligne Tanguy. J’en ai gardé une affection particulière pour les Saint-Estèphe, puissants et élégants à la fois.  » Le grand-père de l’Athois était, quant à lui, un amoureux du bien manger.  » Il m’a légué sa recette de béarnaise et c’est en cuisinant avec lui que j’ai appris, entre autres, les secrets d’un bon bouillon de volaille.  »

Vent frais sur les Collines
© JEAN-PIERRE GABRIEL

Le château de son père

Avant l’intervention de la famille De Turck, Le Vieux Château, ses douves et ses fondations remontant au XVIe siècle, s’étaient endormis, à l’écart des chemins de passage de Flobecq.  » Jusqu’au moment où, il y a une douzaine d’années, le chien de ma soeur s’est égaré dans sa végétation abondante. Trois jours plus tard, notre père se portait acquéreur du bien.  » A l’état de ruine, la bâtisse nécessitera deux ans de travaux, le projet familial étant d’en faire un lieu destiné à accueillir des événements où se restaurer sans prétention. A la carte, la viande grillée côtoie les spaghettis mais, au fil du temps, Tanguy la fait évoluer. Pour cet autodidacte, YouTube remplace alors l’école d’hôtellerie lorsqu’il s’agit d’apprendre à lever les filets d’un poisson et autres gestes élémentaires.

En août 2017, après une intense rénovation apportant une belle modernité aux deux salles du Vieux Château, le chef se lance seul dans l’aventure, insufflant également des allures nouvelles au menu. Le résultat ne se fait pas attendre : le restaurant est récompensé dans l’année qui suit par les guides Delta et Gault & Millau.  » Mes préparations sont en perpétuelle évolution, précise le chef. Seule une d’entre elles reste immuable, comme une empreinte du lieu : la première mise en bouche, une huître servie avec un granité de bergamote et une mousse de salicorne.  » Les plats, basés sur de très bons produits – régionaux autant que possible – marient subtilement les saveurs :  » J’essaie de créer une invitation au voyage via un jeu d’épices et de condiments, ajoute encore Tanguy De Turck. J’adore le ras el-hanout ou le cumin d’Afrique du Nord. Et à Zanzibar, j’ai appris à maîtriser la cardamome. Le combava et la citronnelle évoquent la Thaïlande ; les piments l’Amérique du Sud, où je suis allé à plusieurs reprises. Bien entendu, tout est question de dosage et d’équilibre.  »

DIDIER BOURDEAUX
DIDIER BOURDEAUX© JEAN-PIERRE GABRIEL

Variations sur un légume

A moins de dix minutes de route de Flobecq, se trouve Renaix et la Maison D., où Didier Bourdeaux s’est installé voilà six ans. Dans cette ancienne demeure d’un médecin de famille, rénovée avec goût, les volumes sont amples et confortables. Sur la façade, on repère le panonceau des élèves formés à l’école de Coxyde, une des meilleures du pays.  » On m’a envoyé en stage au triplement étoilé Karmeliet, à Bruges, se souvient le maître des lieux. A l’issue de celui-ci, le chef m’a gardé. Je suis resté deux ans dans ce qui représentait alors le sommet du classicisme.  » Etape suivante : le Château du Mylord à Ellezelles, un 2-étoiles s’inscrivant également dans cette mouvance. Aujourd’hui, sa cuisine suscite les éloges dans plusieurs registres : non seulement Didier Bourdeaux affiche une grande maîtrise, qu’on retrouve dans la saveur de ses plats, mais les techniques classiques sont ici interprétées de manière contemporaine, notamment dans les sauces.  » J’ai toujours mis un point d’honneur à ce que tout soit fait maison : les fonds, les bouillons, voire la sauce tomate.  »

TANGUY DE TURCK
TANGUY DE TURCK© JEAN-PIERRE GABRIEL

Une assiette, selon Didier, commence par la qualité intrinsèque des produits. Ainsi, il recommandera la meilleure huile d’olive ou le meilleur vinaigre de vin, qu’importe leur prix. Cuisinés avec une rare maîtrise, les légumes jouent par ailleurs un rôle majeur : la fraîcheur, la saveur, le croquant sont au rendez-vous. Et les déclinaisons d’un ingrédient unique, courgette ou chou-fleur, offrent de belles surprises. En point d’orgue, une vraie signature, comme les inimitables croquettes de crevettes. De l’aveu même de Tanguy De Turck, Didier est aussi une référence quand il s’agit de concocter un menu végétarien.  » Je ne l’indique pas à la carte mais il suffit de le signaler au moment de la réservation. C’est un beau challenge qui me vaut ça et là des compliments « , concède l’intéressé. On l’aura compris, passer la porte de la Maison D. est une expérience intégrale.

Le Vieux Château, 23, rue Docteur Degavre, à 7880 Flobecq. www.levieuxchateau.be

Maison D., 10, Vandendoorenstraat, à 9600 Renaix. www.maison-d.be

Vent frais sur les Collines
© JEAN-PIERRE GABRIEL

Chocolat brut

Lorsqu’on laisse fondre en bouche un des petits triangles dont est constituée l’architecture des tablettes de Cédric De Taeye, il est recommandé de prendre le temps de fermer les yeux et d’attendre que la magie fasse son oeuvre. Elle prend des allures de fraîcheur, de longueur, de complexité inattendue.

La passion pour le métier de chocolatier torréfacteur est née chez cet Athois pure souche durant son doctorat en agronomie. Adepte du bean-to-bar (de la fève à la tablette), ses recherches l’ont amené à pratiquer la torréfaction entre 100 et 120 °C, soit une trentaine de degrés plus bas que la norme de l’industrie. Une des clés de voûte de la saveur, de la pureté, du caractère  » cru  » de ses tablettes réside dans cette étape.

Les fèves torréfiées et broyées – le grué de cacao – sont ensuite raffinées en chocolat liquide, qui reposera deux semaines avant de passer à l’étape finale, le tempérage. Outre quelques délicieux mendiants, palets et orangettes, Cédric De Taeye élabore vingt tablettes, dont deux de chocolat blanc et quatre au lait. Les seize autres sont autant de voyages initiatiques décrits avec précision dans chaque emballage. Le Madagascar Ambania 74 % est ainsi présenté comme  » Un chocolat étonnant, clair, doux et subtil, aux arômes de fruits rouges avec une note de vanille « . Quant au Cuba Trinitario 72 %, ses fèves expriment des notes boisées, de fruits rouges, d’agrumes, de fruits secs et… de tabac !

Notre homme s’offre même le luxe de proposer un chocolat 100 % cacao, sans sucre. Les fèves aux saveurs florales proviennent de la province de Los Rios en Equateur. C’est à nouveau le chef Tanguy De Turck qui a le dernier mot.  » Cédric n’aime pas qu’on travestisse ses produits. Pour ma mousse au chocolat, il m’a déconseillé de l’alourdir avec une matière grasse. J’ajoute simplement de l’eau et je l’exprime au siphon. C’est superbe !  »

75, Guinaumont, à 7890 Ellezelles.

http://fr.cedricdetaeye.be

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