Barbara Witkowska Journaliste

Chaque saison, les créateurs de mode les plus pointus se l’arrachent pour leurs défilés. Toute l’année, les plus grands photographes font appel à lui pour enchanter leurs photos. Tout réussit à ce maquilleur originaire d’Anvers. Portrait sans retouches de Peter Philips.

Une fois de plus, Peter Philips vient de magnifier de son coup de pinceau les podiums des couturiers. Pour sublimer la féminité intemporelle de Givenchy, il a appliqué chez la majorité des tops une mise en beauté simple, mais éclatante. Trois filles, affichant des teints très pâles, étaient transformées en poupées de porcelaine. Le contraste, saisissant, a créé un effet de choc vraiment spectaculaire. Au défilé Armani Privé, le style fluide et nonchalant du couturier italien a été somptueusement exalté par des faux cils énormes. Les mannequins de Dries Van Noten, eux, arboraient des coiffures théâtrales, sculptées avec des feuilles et des fleurs noires. Pour équilibrer leur look, Peter Philips avait imaginé un maquillage uniforme et doux, réalisé avec des fards tout en transparence parsemés de reflets dorés. Au défilé d’Alexander McQueen, il a puisé, selon le souhait du couturier, dans les références basiques des années 1950 et 1960 et s’est inspiré des beautés froides d’Alfred Hitchcock ou encore du style inimitable de Marilyn Monroe. Pour Véronique Leroy, dans le maquillage, il a interprété la tendance punk des années 1980 avec, par exemple, une bouche de couleur très foncée. Les hommes ne sont pas oubliés. Sur les podiums d’Alexander McQueen, les mannequins, à l’instar des héros du film  » Lord of the Flys « , ressemblaient au début à des écoliers anglais bien sages et finissaient par se transformer en indigènes d’une île déserte, visages peints de motifs tribaux. Et en ce qui le concerne, le jeune créateur belge Kris Van Assche, qui présentait sa deuxième collection pour hommes, inspirée par le macho argentin, a demandé à Peter de tailler à ses modèles de fausses moustaches bien décoratives.

Autorité reconnue dans le domaine du maquillage, se renouvelant sans cesse, Peter Philips navigue constamment entre l’Europe et les Etats-Unis pour faire face à une foule de sollicitations de la part des créateurs et des photographes. Pourtant, rien ne prédestinait le jeune garçon rêveur,  » enfermé dans sa petite bulle « , à côtoyer l’univers glamoureux et cousu de paillettes de la mode et de la beauté. Enfant, il ne se déplace jamais sans son carnet de dessin. Il aime, aussi, travailler avec ses mains, bricoler, réaliser objets et accessoires. Après les humanités, une formation à Saint-Luc/Anvers lui paraît un bon choix. Il complète son bagage artistique à Saint-Luc/Bruxelles, où il décroche un diplôme en graphisme.  » Mes parents avaient un magasin-traiteur, raconte Peter. Il avait un magasin à deux pas de l’Académie d’Anvers. A midi, les étudiants de stylisme, dont Ann Demeulemeester, venaient chercher leurs sandwiches. C’était ma première rencontre avec l’univers de la mode. Il m’a fasciné à tel point que j’ai décidé sur le champ de m’inscrire en stylisme.  »

Cohérent avec lui-même et persévérant, Peter va au bout des études, mais, diplôme en poche, déchante très vite. La mode, ce n’est pas uniquement la création, c’est avant tout un business. Les collections doivent se suivre à un rythme infernal et, très vite, on tombe dans le piège de la routine. Or, le jeune homme aime le changement. Alors, il se souvient que pendant ses études à l’Académie, il a participé, à Paris, aux défilés des célèbres créateurs d’Anvers. A l’époque, au début des années 1990, Martin Margiela, Ann Demeulemeester, Dries Van Noten, Dirk Bikkembergs, Walter Van Beirendock étaient au sommet de leur gloire. Les professionnels de la mode et les fashionistas du monde entier n’avaient d’yeux que pour eux. Dans les coulisses des défilés régnait une ambiance fébrile et enthousiaste. La créativité était à son comble. L’Anversois veut évoluer dans cette ambiance-là. Sa vocation est toute trouvée : il sera maquilleur.

Pour commencer, Peter s’octroie une sorte d’année sabbatique. Tout en travaillant dans un restaurant pour se constituer un pécule, il suit, une fois par semaine, un cours technique de maquillage à Amsterdam. La coiffure l’intéresse aussi, alors il demande au coiffeur de sa mère de lui confier quelques bons trucs. Au bout d’un an, il prépare un book (avec cinq photos !) et le présente à l’agence Models Office à Bruxelles. La chance lui sourit. Des magazines font appel à ses coups de pinceaux magiques.  » Pendant trois ans, j’ai travaillé non stop, sept jours sur sept. J’ai tout fait, j’ai maquillé mannequins, lectrices et consommatrices, dans des studios, des boutiques et même, en été, sur des plages.  » Au même moment, Olivier Theyskens et Veronique Branquinho, jeunes stylistes qui ont le vent en poupe, le sollicitent pour leurs défilés. Bien connu en Belgique, surtout en Flandre, Peter songe tout naturellement à une carrière plus internationale. Il forme un bon team avec le styliste Olivier Rizzo et le photographe Willy Vanderperre. Leurs travaux séduisent le magazine  » ID  » à Londres, magazine d’avant-garde chicissime, dédié à la musique et la mode. Puis une collaboration fructueuse s’installe avec une agence à Amsterdam.

Il y a deux ans, Peter a l’opportunité d’habiter New York. L’occasion rêvée pour contacter la meilleure agence de photographes et de maquilleurs sur place : Art & Commerce. Bingo ! L’agence le prend sous ses ailes. Depuis lors, il met son talent au service des magazines les plus prestigieux du monde entier. Et l’on retrouvera ainsi son coup de pinceau expert en couverture du tout prochain premier numéro de  » Vogue  » chinois. Dans les campagnes de pub pour la mode, il travaille, notamment, avec Gucci, Chloé et Yves Saint Laurent. Chanel, Givenchy, Armani et Estée Lauder font appel à lui pour vanter leurs cosmétiques. Sur les podiums, ses maquillages magnifient les collections de Fendi, Missoni et Dries Van Noten, entre autres. Après dix ans de métier, c’est un palmarès impressionnant. Peter Philips dit qu’il a eu de la chance. Cette chance, toutefois, il l’a souvent provoquée et, surtout, il a beaucoup, beaucoup travaillé.  » Pendant ma période d’apprentissage, je réalisais souvent des maquillages extrêmes, dans un style gothique. En 1998, j’ai dessiné Mickey Mouse sur un visage féminin. Ce maquillage-là a été beaucoup copié, il est même paru sur la couverture d’un magazine d’art. Cela dit, je reconnais que les maquillages extrêmes sont plus faciles à réaliser, tout le monde est capable de les faire. On m’a collé un peu vite l’étiquette de maquilleur extravagant. Il m’a fallu du temps pour m’en débarrasser. Aujourd’hui, je peux tout faire, des maquillages extrêmes et des maquillages simples et classiques, chez la femme et chez l’homme.  »

Mais quels sont donc les conseils du professionnel ? Règle numéro un, ne pas se focaliser sur ses  » défauts  » et accentuer, en revanche, ce qui est beau. Quand la bouche est fine, par exemple, ne pas s’obstiner à la rendre plus grande ou plus volumineuse par un maquillage outrancier. Règle numéro deux, se remettre régulièrement en question et écouter les critiques… positives. Dernière règle, réajuster le make up à temps. Avec les années qui passent, le visage se transforme et on ne peut pas se maquiller de la même façon toute sa vie.  » De manière générale, je préfère moins de maquillage et plus de soin. Le fond de teint n’est pas toujours indispensable. En revanche, une crème hydratante tous les jours et un masque une fois par semaine sont très importants. Un bon truc aussi, c’est d’utiliser une pince arrondie pour boucler les cils. Cet outil est peu connu en Europe, mais il fait merveille. Et il suffit alors d’une simple couche de mascara pour ouvrir superbement l’£il.  »

Sa longue expérience et la possibilité de tester tous les produits ont permis à Peter Philips d’établir un  » Top Ten « . Selon lui, le meilleur soin est la crème de La Mer. Dans ses choix de prédilection, il cite le mascara de Chanel, la Touche Eclat de Yves Saint Laurent (un stylo génial qui efface toutes les ombres), le fond de teint d’Armani, la palette pour les yeux 5 couleurs de Dior, le crayon khôl de Lancôme, le crayon contour des yeux de Mac et le blush de Shu Uemura. Pour rehausser le sourire, rien de tel que le rose Pink Berry d’Estée Lauder (légèrement bleuté, il met en valeur l’éclat des dents) ou le Fire de Chanel dans la gamme Hydrabase, un vrai rouge franc et éclatant.

Barbara Witkowska

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