Barbara Witkowska Journaliste

La ville change, s’amuse, vibre intensément. La capitale économique de la Suisse a su se mettre à l’heure moderne tout en conservant son charme légendaire. Elle offre au visiteur un extraordinaire cocktail de vitalité, de plaisirs et d’art de vivre.

T out bascule un soir de décembre 1984. Un public huppé et trié sur le volet se dirige vers l’Opéra pour une grande soirée inaugurale. Le bâtiment a pris le temps et surtout les moyens (60 millions francs suisses) de se refaire une beauté. Modernisé, lifté et pomponné, il promet de nouveaux plaisirs raffinés. Ce qui ne plaît pas nécessairement à tout le monde. Aux jeunes, par exemple. Armés d’£ufs et de tomates, ils se joignent à l’élégante assemblée, pour protester contre la culture bourgeoise, réclament une culture jeune. Les autorités municipales leur  » donnent  » alors la Rote Fabrik. Bâtie en 1892, cette ancienne usine textile, laissée à l’abandon, est magnifiquement située au bord du lac de Zurich. Envahie par une jeunesse assoiffée d’émotions nouvelles, elle se transforme rapidement en un centre de culture alternative, un temple de l’avant-garde. Tous les genres s’y côtoient : musique, nouvelle cuisine, littérature et théâtre. Sur le plan musical, tout y est : jazz, rock, hip-hop, musique électronique. L’idée fait boule de neige. Sur la rive opposée du lac, les jeunes s’emparent des vastes bâtiments abandonnés du moulin Tiefenbrunnen. Christa de Carouge, la styliste suisse la plus pointue, la plus singulière, aussi, y accueille ses fidèles fashionistas. Monica Weber ouvre, dans un décor brut, noir et blanc, le restaurant Blaue Ente et réinvente, avec beaucoup d’imagination, une cuisine délicieuse à base de canard. Une agence de mannequins voisine avec une école de danse, une boutique de mobilier design avec un club de fitness très chic. Le moulin ? Une halte incontournable, une  » Place to be  » pour tous les branchés, plutôt haut de gamme (les Zurichois disent  » schickimicki « ). L’événement, le spectacle, est aussi dans la rue. La Techno Street Parade, une institution, attire chaque année, au mois d’août, un million de personnes. On s’éclate toujours dans une  » ambiance super « , tout en évoquant avec nostalgie la première Street Parade, celle d’il y a dix ans : illégale, donc la meilleure…

Zurich goes West

C’est à l’ouest que se construit, sous nos yeux, le troisième millénaire. Un peu derrière la gare centrale, donc à deux pas (fausse capitale, Zurich est une ville aux dimensions humaines de 370 000 habitants), le quartier  » Ouest « , au passé industriel impressionnant se déploie. Retour en arrière. On croit souvent que Zurich (et la Suisse en général) doit sa récente prospérité aux banques. En réalité, sa richesse puise ses racines bien plus tôt. Zurich devenue le cinquième membre de la confédération helvétique en 1351 se développe dès le xie siècle grâce à la production et au commerce de la laine, du lin et de la soie. La révolution industrielle européenne représentera pour le pays une véritable aubaine. Privés de matières premières, les Suisses, commerçants, artisans et paysans ont des idées. Et de l’humour. Dès le xviiie siècle, comme les Japonais du xxe siècle, ils copient et améliorent. De là naîtra l’incomparable qualité suisse. Véritable mot d’ordre dans les immenses usines qui poussent comme des champignons. La fabrication de machines, outillages divers, turbines, ascenseurs, téléphones et même de bateaux, occupe la majeure partie de la population.

L’après-guerre et des coûts de production trop élevés signeront, hélas, un coup d’arrêt à cet âge d’or industriel. Dans Zurich Ouest, les usines se taisent, le quartier se vide, la morosité s’installe. Mais on ne démolit rien. Au début des années 1990, les jeunes, toujours en quête de nouveaux  » lieux « , trépignent d’impatience pour investir ces espaces magnifiques. Le conseil municipal donne, du bout des lèvres, un permis provisoire pour accueillir, dans une ancienne usine, le spectacle Cats. En dix ans, le quartier Ouest va devenir la Sillicon Valley culturelle zurichoise. Immense (sa surface est de 2 km sur 800 m, environ), il draine les aficionados de tous les arts modernes, cinéma, théâtre, danse, musique, les amateurs de lofts et tous les amoureux du changement perpétuel. On succombe à tous les plaisirs culinaires dans les restaurants nouvelle vague. Au Kochs règne le minimalisme très classe ; Les Halles optent pour le style récup’ chic, très sympa. On danse, jusqu’au petit matin, au Supermarket ou au Indochine (c’est très schickimicki, d’autant plus que la boîte appartient à 50 % à Patricia Kaas). Toutes les folies sont ici permises car elles sont bien canalisées. On se balade, le nez en l’air, découvrant les immeubles les plus impressionnants, les perspectives les plus vertigineuses pour arriver devant un chef-d’£uvre, le Schiffbau (un ancien atelier de construction de bateaux). Architecture grandiose, géométrie puissante, hauteurs colossales, baies vitrées monumentales, il vient tout juste d’être artistiquement lifté. Une rénovation cosmétique qui n’altère en rien le cachet des anciens matériaux de construction et l’âme du bâtiment qui abrite trois théâtres, équipés d’installations high-tech, Moods,  » le  » club de jazz du moment et, surtout, le restaurant La Salle qui vient d’ouvrir ses portes. Au menu : cuisine du monde top qualité, service impeccable, atmosphère gaie et élégante. Les yuppies zurichois en raffolent. Tandis que les jeunes investisseurs les plus dynamiques lorgnent déjà du côté d’Oerlikon. Dans ce quartier situé au nord-ouest de Zurich, un peu plus excentré, on fabriquait jadis… des locomotives.

Le centre-ville, côté chic et côté charme

Zurich, qui sort, s’amuse, n’oublie pas de se souvenir. A pied, on découvre la ville historique, noble, un peu austère et discrète, malgré ses vitrines, ses banques et ses palais. Devant le Kunsthaus (musée des Beaux-Arts), on remarque, à droite de la porte d’entrée, une grande sculpture d’Auguste Rodin  » L’enfer selon Dante  » dont l’histoire est bien curieuse. Vers 1880, l’Etat français commande à Rodin une porte monumentale pour le musée des Arts décoratifs à Paris. L’artiste achève l’£uvre vingt ans plus tard, mais la France n’en veut plus. Rodin ne réussira jamais à vendre cette £uvre colossale aux 186 figures. En 1948, un anonyme l’acquiert et l’offre à la ville de Zurich. Regret éternel pour les Français. Le musée des Beaux-Arts expose des peintres suisses du xixe siècle, des Gauguin, des Cézanne et des Américains comme Pollock et Rothko. On s’attarde aussi devant plusieurs £uvres du Suisse Alberto Giacometti (dont la plus poignante,  » Homme qui marche « ).

Très chouchouté financièrement, et dirigé avec maestria par Alexander Pereira, l’Opéra est considéré à juste titre comme l’un des meilleurs opéras du monde . L’église Notre-Dame (Fraumünsterkirche), elle, s’enorgueillit de ses vitraux colorés, réalisés par Marc Chagall en 1970. Déjà très âgé (il est né en 1887), l’artiste avait accepté ce travail fastidieux (les fenêtres mesurent entre 8 et 12 mètres de hauteur) uniquement par amour pour la ville de Zurich. Après avoir franchi l’incontournable Bahnhofstrasse, à deux pas, véritable reine du shopping chic, on peut traverser la rivière Limmat pour se perdre dans les petites rues pittoresques de la vieille ville, blotties autour de la Niederdorfstrasse et Oberdorfstrasse (rue Basse et rue Haute). Ici tradition se mêle superbement avec modernité. On papote avec la charmante fleuriste Maria Binder, 84 ans, bon pied bon £il et mise en plis impeccable. Maria est une légende à Zurich. C’est elle qui signe toutes les créations florales des grandes fêtes ou manifestations officielles. Juste à côté, on se laisse tenter par les délicieuses pâtisseries de Vohdin, le plus ancien pâtissier de la ville (1626). Les innombrables petits bars sympas déversent leurs rythmes latino, techno ou lounge. Décontractées mais toujours nettes, les filles montrent leur nombril. Les garçons affichent des tatouages. Les antiquaires replongent le visiteur dans la nostalgie, tandis que les designers et les galeristes livrent leurs visions du monde à venir.

Certes, Zurich ne se donne pas facilement. Il faut un portefeuille plutôt bien garni pour y séjourner. Mais elle est devenue, au fil du temps, l’une des plus excitantes destinations européennes d’aujourd’hui.

Barbara Witkowska

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