Le luxe ultime n’est pas forcément cher (et tout le monde peut se l’offrir)

Le véritable luxe n'est pas une question d'argent - Illustration DR Weekend
Le véritable luxe n'est pas une question d'argent - Illustration DR Weekend © Katrien Van Breedam
Kathleen Wuyard
Kathleen Wuyard Journaliste & Coordinatrice web

C’est quoi, le luxe ? Est-ce seulement une question d’argent ? “Non”, répondent en chœur les professionnels du secteur, pour qui il s’agirait plutôt d’une question de proportion. Et plus précisément, de s’assurer d’offrir aux gens plus que ce à quoi ils s’attendent.

Un collier Cartier. C’est ce que le restaurateur américain Will Guidara, co-fondateur du trois étoiles new-yorkais Eleven Madison Park, a offert à sa fiancée aux débuts de leur relation. Du luxe à l’état pur, vous dites-vous sûrement, et de fait, sa belle était ravie. Ou du moins, c’est ce qu’elle a dit, mais elle n’a porté le bijou qu’une seule fois.

Fast forward quelques années plus tard et le New York Times décide de supprimer sa grille Boxing Match, hybride de sudoku et de mots croisés, que la compagne du restaurateur se faisait une fête de remplir chaque semaine. Ni une ni deux, ce dernier fait jouer son réseau et demande au créateur s’il est possible de lui commander 50 grilles de Boxing Match, rassemblées par ses soins dans un livre offert à sa tendre moitié.

« Ce qui compte, c’est le sentiment que procure un objet, et non son prix »

Will Guidara

Surprise : ces quelques feuillets l’ont rendue bien plus heureuse que la parure de diamants offerte quelques années auparavant, relate Will Guidara dans Unreasonable Hospitality, son livre dédié au «pouvoir incroyable qui réside dans le fait de donner aux gens plus que ce à quoi ils s’attendent ».

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Ce qui, selon lui, est la véritable définition du luxe. « Ce qui compte, c’est le sentiment que procure un objet, et non son prix. Ce livre de grilles de jeux avait de la valeur pour ma femme, c’est quelque chose qui l’a rendue elle seule heureuse. Parce qu’elle s’est sentie vue, connue et aimée », confie-t-il encore depuis Boise, dans l’Idaho, d’où il nous accorde un entretien sur un sujet qu’il connaît bien.

« Etre présent, écouter vraiment et consacrer de l’énergie à quelque chose ou quelqu’un, être attentionné et généreux, cela procure un sentiment incomparable », nous déclare-t-il. Et de faire référence à cette citation souvent faussement attribuée à l’écrivaine Maya Angelou : « Les gens oublient ce que vous avez fait, ils oublient ce que vous avez dit, mais ils n’oublient jamais le sentiment que vous leur avez procuré ».

« Quand on se contente de répondre aux besoins, généralement, on arrive trop tard. Ce qui compte, c’est d’anticiper chaque désir »

Benoît Toussaint

Un avis que partage Benoît Toussaint, responsable opérationnel du Manoir de Lébioles, à Spa. L’hôtel d’exception, qui a notamment servi de théâtre au mariage du footballeur Axel Witsel, vient tout juste de se voir décerner sa 5e étoile. Et si celui qui y joue le rôle de chef d’orchestre, jonglant avec le recrutement, l’organisation des évènements et les contacts presse, concède que cette distinction vient en partie du cadre à couper le souffle et de la décoration extrêmement soignée de l’établissement, pour lui, ce qui fait son excellence est immatériel.

Pour l’amour du geste

« Un séjour au Manoir de Lébioles commence dès la réservation. Quand la personne téléphone pour réserver une chambre, on pense déjà tout son séjour : faut-il prévoir une réservation dans notre restaurant, y a-t-il des allergies alimentaires, prévoit-on une session au spa… Si on semble déceler une voix plutôt âgée, on va prévoir une chambre plus facile d’accès. C’est tout un faisceau de détails en amont qui fait qu’à l’arrivée, tout a été pensé pour que le séjour de nos hôtes se déroule de la manière la plus fluide possible », décrit Benoît Toussaint.

Et d’affirmer, sans appel, qu’il ne « suffit pas de répondre aux besoins de la clientèle, parce que quand on se contente de ça, généralement, on arrive trop tard. Ce qui compte, c’est d’anticiper chaque désir ».

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« Tous les restaurants étoilés servent des plats fantastiques et offrent un service à couper le souffle, ajoute Will Guidara. Pour obtenir cette première place, il faut offrir quelque chose de plus. Quelque chose de nouveau ou de spectaculaire. Vous pouvez le faire en cuisine, comme l’ont fait El Bulli et Noma, mais nous avons opté pour une « hospitalité déraisonnable » à l’Eleven Madison Park. Les enfants de clients espagnols sont émerveillés par les tourbillons de neige qu’ils aperçoivent par la fenêtre ? Après le repas, une voiture au coffre rempli de luges les attend pour les emmener faire des glissades à Central Park. Un hôte a oublié d’acheter une peluche pour son petit-fils ? On lui sert à table un ourson fabriqué en vaisselle. Un couple de convives vient se consoler avec un dîner étoilé parce que ses vacances à la plage ont été annulées ? L’équipe les conduit dans une salle à manger privée en guise de mignardise, avec sable dans lequel glisser leurs orteils et cocktail à siroter dans une chaise longue installée sous un parasol.

« Un service d’excellence ne fait donc pas seulement plaisir à la personne qui en bénéficie mais bien aussi à celle qui le fait »

Will Guidara

Cela semble trop beau pour être vrai ? C’est pourtant le lot des ultra-privilégiés depuis des siècles, et Will Guidara a simplement décidé d’élargir ce traitement à tous les chanceux qui poussent la porte de son restaurant. Ce qui cadre parfaitement avec l’idée que le luxe ne tient pas à la valeur monétaire d’un produit, mais bien à l’expérience qu’il procure. « Par définition, un dîner est quelque chose de très éphémère, une expérience qui se termine en un instant. Nous avons donc essayé de proposer quelque chose qui incarne cette expérience et la sublime. Une sorte de légende, que les gens peuvent raconter pour se replonger dans cet instant ».

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Car le luxe est aussi une belle histoire. Qui s’écrit tant en salle qu’en coulisses : « Servir quelqu’un implique toujours une forme de condescendance. Par contre, faire en sorte que les gens se sentent bien, c’est quelque chose dont on tire beaucoup de satisfaction. Un service d’excellence ne fait donc pas seulement plaisir à la personne qui en bénéficie mais bien aussi à celle qui le fait ».

Des attentes élevées

Et ce n’est pas qu’une question de gestes grandiloquents, assure encore le restaurateur américain. Après tout, le diable est dans les détails : ainsi, pas de livre rempli de réservations à la porte, mais plutôt la personne à qui vous avez parlé au téléphone quelques jours plus tôt pour confirmer votre venue et qui vous accueille par votre nom.

Le secret ? Chaque client est Googlé au préalable et fait l’objet d’un antisèche contenant non seulement son nom mais aussi des informations sur ses préférences. « Peut-être que les clients ne remarquent pas tous les détails, mais l’ensemble de ces petites choses a un impact. Cela leur procure un sentiment d’accueil et une atmosphère chaleureuse », affirme encore notre interlocuteur.

Une approche que Benoît Toussaint qualifie d’état d’esprit qu’on n’apprend pas à l’école hôtelière, et qui ne peut s’acquérir qu’avec l’expérience de l’excellence. « A partir du moment où on est un établissement qui propose un certain niveau de services, on n’a pas d’autre choix que d’anticiper les besoins de notre clientèle, parce que si on ne s’y prépare pas, cela risque d’engendrer des insatisfactions. Tous ne se rendent parfois pas compte de la préparation antérieure à leur visite, mais ceux qui ont l’habitude de fréquenter des établissements de standing savent à quoi s’attendre. » Mais attention, toutefois, à ne pas oublier que chaque médaille a un revers: lorsque les gens s’y habituent, ce n’est plus surprenant, il faut donc continuer à innover et à être créatif.

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Le luxe fait le bonheur?

Du reste, on l’aura compris : le luxe n’est pas qu’une question de budget. « Tout dépend de comment chaque personne l’entend, mais disons qu’on peut s’accorder sur le fait que le luxe, c’est ce qui est rare, et donc que cela englobe un traitement qu’on ne reçoit pas ailleurs»,  résume Benoît Toussaint. Et notre interlocuteur US de lui chiper le mot de la fin, en rappelant qu’il est important d’adapter cette démarche aux relations qui nous lient aux autres. « L’intentionnalité, l’attention, la créativité, en faire plus que ce que les gens attendent : ça fonctionne partout, affirme Will Guidara.  N’importel quel thérapeute relationnel vous dira que pour une relation de qualité, il faut se lever chaque jour avec l’intention d’en faire plus que ce que votre partenaire attend de vous. » Un luxe quotidien qu’on hésite d’autant moins à (s’)offrir que jusqu’à preuve du contraire, il est gratuit.

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