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La libération de la parole sur les règles permet de promouvoir aussi de nouveaux modes de protection © Getty

Cérémonies, pubs, rituels: rouges et assumées, les règles ont changé

Les règles sortent de l’ombre où elles ont longtemps été rangées. Serait-on en train de se départir d’un tabou ancestral? Etat des lieux d’un début de cycle.

Imaginez un phénomène qui toucherait 800 millions d’individus chaque jour. Une contrainte avec laquelle la moitié de la population mondiale aurait à composer durant plus de six années de son existence. Qu’est-ce qu’on en parlerait, quelle énergie on dépenserait pour faciliter la vie des personnes concernées! Sauf que les règles ont échappé à ce principe de bon sens, plongées dans une sorte de loi du silence infusée à la honte durant des siècles.

Au point qu’on ne peut que remarquer les voix qui émergent. Il y a quelques semaines, on entendait par exemple la mezzo-soprano Marine Chagnon, révélation des dernières Victoires de la musique classique, expliquer sur le plateau très populaire de Quotidien que les menstruations altéraient la voix des chanteuses lyriques. Les livres, à destination notamment des jeunes filles, offrent une approche plus décomplexée des règles. Et les comptes Instagram à thème comme @coupdesang ou @regleselementaires fleurissent depuis plusieurs années.

Un mal-être réel

« Une partie du tabou s’est écroulé, confirme Gaëlle Baldassari, fondatrice de Kiffe ton cycle (kiffetoncycle.fr) qui propose des programmes pour comprendre les variations d’hormones et mieux vivre ses règles. Il y a cinq ans, quand je parlais de mon métier, les gens tournaient un peu du nez. Un mentor m’avait même dit : « Ça pue, ton truc. »

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Aujourd’hui on me confie plutôt que c’est intéressant et important. Le sujet rebute moins. » C’est suite à une PMA que l’entrepreneuse s’est intéressée aux fluctuations hormonales. Elle réalise alors que – comme la majorité des gens – elles ne connaît quasiment rien de ce mécanisme qui implique un écoulement périodique en l’absence de grossesse et émet le postulat qu’on peut gagner en confort de vie en prenant plus en compte ces données cycliques.

Le gros best-seller parmi ses programmes ? Celui qui s’attaque au SPM, le syndrome prémenstruel. « On le vend cinq fois plus que les autres. Ça s’explique facilement : 80 % de la population menstruée y est confrontée à un moment ou l’autre de sa vie. Pourtant, peu de solutions sont proposées. Ça se trouve dans une zone grise, car il y a un mal-être réel, mais ce n’est pas une maladie (contrairement au trouble dysphorique prémenstruel), l’arsenal médical est limité. »

L’affaire de tous

Kiffe ton cycle propose aussi un livre et un programme jeune public ainsi que des ateliers pédagogiques autour du bien-être menstruel. Evolution positive par rapport aux précédentes, ce genre d’intervention dans les écoles et maisons de quartier se fait de plus en plus face à un auditoire mixte.

« C’est essentiel, affirme Gaëlle Baldassari. J’aime bien poser le débat avec les jeunes en rappelant que 100 % de la population est née grâce à ce phénomène. Expliquer aussi que, quel que soit leur sexe, ils seront en contact avec des personnes qui le vivent et qu’il n’est pas neutre. J’ai tout gagné quand les garçons passent d’un simple « ah, les filles elles n’ont pas de chance » à une compréhension et l’impression qu’ils peuvent être des alliés. »

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Chargée de recherche au département de sociologie de Genève, Aline Boeuf vient de publier Briser le tabou des règles (éditions 41), suite à une enquête de trois ans. Elle partage cette idée que les règles sont l’affaire de tous. Visibilité, budget alloué aux recherches, minimisation ou normalisation des souffrances physiques et psychiques associées ; elle fait régulièrement le parallèle entre la place accordée aux règles et l’expérience de la féminité dans notre société.

« La méconnaissance est la première chose contre laquelle il faut lutter, estime la sociologue. Si tout le monde était sensibilisé à la réalité menstruelle dès le plus jeune âge, elle pourrait être prise en compte, comme les allergies saisonnières par exemple. Il pourrait en découler la volonté de trouver des solutions y compris au niveau des infrastructures. »

En récoltant les témoignages de différentes personnes menstruées, la chercheuse s’est surtout intéressée à leur vécu au travail. Un univers où le silence autour du sujet est encore très présent.

Cycle et boulot

« C’est un monde historiquement pensé par les hommes, les postes de décideurs restent principalement occupés par des personnes non concernées par ces questions, rappelle-t-elle. Par manque d’empathie et de formation, il n’y a pas de prise en compte des besoins. L’insécurité des femmes concernant leur place dans le monde du travail conduit aussi à une autocensure au sujet des difficultés liées aux règles. Tout comme on voit dans des études qu’elles renoncent à faire remonter des problèmes qui seraient associés à une soi-disant faiblesse physique. »

Des approches décomplexées

© Illustration Adrián Astorgano

Dans les faits, notre société parle encore proportionnellement peu des règles, compte tenu de l’importance de leur impact. Mais des initiatives racontent l’évolution de notre regard. La preuve par 4.

Une boutique cosy

Dans le dynamique IIe arrondissement de Paris, une enseigne d’un genre nouveau a ouvert ses portes au printemps. Son nom : Pemlab (pem, pour personne menstruée). Son ambition : être le « temple du bien-être intime & menstruel ». Dans une ambiance de boudoir accueillant, on trouve culottes menstruelles, compléments alimentaires et autres huiles relaxantes.

pemlab-paris.fr

Un escape game

Le Spot de Sacha et ses vidéos de surf cartonnent sur YouTube. Mais au moment de publier la vidéo fêtant ses 10 000 abonnés, ses identifiants ont disparu et elle doit filer : sa sœur l’appelle à l’aide pour cause de pantalon taché ! C’est le pitch de l’escape
game proposé par Kiffe ton cycle pour permettre à des jeunes de découvrir un max d’informations sur la santé menstruelle de manière
ludique.
kiffetoncycle.fr

Un dico-manifeste

Publié par Le Robert, le livre Les mots du Q de Camille Aumont Carnel fait parler de lui. A l’intérieur, de nombreuses pages engagées sur les règles. Extrait choisi (écrit en capitales sur une pleine page): « Mes règles ne font pas de moi une personne indisposée, mais la société qui ne prend pas en considération mes besoins pendant ce tiers du mois m’indispose. »
@jemenbatsleclito

Un libre accès dans les écoles

Dès janvier, les écoles secondaires de la Ville de Bruxelles disposeront de distributeurs de protections menstruelles gratuites. Une manière notamment de lutter contre la précarité et les inégalités associées aux règles. Début 2023, Wallonie-Bruxelles Enseignement a également lancé de la distribution gratuite via le projet pilote Sang Stress, destiné aux élèves de fin de primaire. Et les initiatives se multiplient dans les établissements.

L’émergence d’un débat autour du congé menstruel permet de mettre un peu en lumière ces questions et expose une autre facette de la problématique : celle de la multiplicité des vécus.

« Ce débat, c’est l’occasion de sensibiliser aux nuances, d’éduquer sur le fait que, même si ce n’est pas une maladie, les règles peuvent être ponctuellement problématiques, estime Aline Boeuf. Certaines personnes ne prendraient probablement jamais ce congé, pour d’autres ça serait l’occasion de faire enfin un suivi médical. »

Porter la culotte

Car plusieurs témoignages récoltés lors de son enquête font état d’une prise en charge de la santé menstruelle tardive, par des femmes persuadées par exemple qu’il était
« normal » de subir de fortes douleurs, par manque d’informations de qualité, d’écoute du corps médical ou d’échanges sur le sujet.

« La libération de la parole autour des menstruations est très importante. Il ne suffit pas d’être exposée une fois à quelque chose. Ce n’est qu’à force de répétition et d’écoute de différentes réalités que l’on peut repenser la sienne », affirme la sociologue.

‘Même si ce n’est pas une maladie, les règles peuvent être ponctuellement problématiques.’

Aline Boeuf

Pour se confronter eux aussi à une certaine réalité, des chercheurs de l’Oregon Health and Science University ont affirmé avec fierté être les premiers à avoir utilisé du sang (un concentré de globules rouges) et non de l’eau ou du sérum physiologique, pour tester l’efficacité des protections menstruelles. Ça s’est passé cet été. En 2023 ! Une interpellante première.

Des contaminants avérés

Tout aussi interpellantes sont les études qui, depuis 2016, mettent en avant la présence de substances toxiques dans les protections périodiques. Ainsi, dans son essai comparatif publié en septembre 2023, le magazine français 60 Millions de Consommateurs indique que 70 % des échantillons testés contiennent un ou plusieurs contaminants avérés ou suspectés d’être cancérogènes, mutagènes ou perturbateurs endocriniens.

Si ces chiffres remettent en cause l’impression d’un changement en profondeur, la demande de transparence qui a émergé est indéniable, tout comme l’explosion de l’offre de solutions visant à recueillir le sang des règles, entre cups, serviettes lavables et culottes menstruelles.
C’est en 2019 que la comédienne belge Laetitia Salsano découvre ces dernières : « J’ai trouvé ça tellement simple, tellement adapté à mon utilisation à moi et je ne comprenais pas qu’on n’en parle pas plus, qu’on en soit encore avec nos tampons bourrés de crasses et les serviettes toutes tordues. »

A chacune son flux

Convaincue par le produit, elle a fini par lancer la marque Fier.e (fier-e.com), qui s’apprête à souffler sa première bougie. Sa spécificité : proposer des modèles noirs, sobres, adaptés à toutes les personnes menstruées, cis ou transgenres (grandes oubliées du secteur).
Comme de nombreuses marques de produits menstruels nés au cours des dernières années, elle communique sur les réseaux de manière pédagogique et décomplexante. Ces alternatives aux tampons témoignent à elles seules d’une plus grande capacité, dans notre société, à regarder les règles en face.

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« Avec les tampons, on va dire que tout est « bien caché », on nous invite à faire semblant que rien ne se passe, analyse Laetitia Salsano. Avec la culotte menstruelle, j’ai pris conscience de ce qui se produisait dans mon corps. A 40 ans passés, je ne savais même pas quel était mon type de flux, là j’ai dû me poser la question de l’absorption qui me correspondait, du nombre de jours durant lesquels j’en avais besoin… »

Évolution privilégiée

Aux côtés des lignes sobres de Fier.e on trouve de nombreux autres modèles – tantôt ultrakawaii, tantôt bardés de dentelles – dans un secteur en plein boum. Ces culottes touchent un public qui a les moyens d’investir dans des pièces à plusieurs dizaines d’euros, peut très facilement les laver et a accès à des pubs ainsi qu’à de l’info sur le sujet. Est-ce que, à l’image du tabou qui se fissure, tout ça serait une affaire de riches ?

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© Getty

Veronica Martinez, directrice de l’ASBL BruZelle, qui lutte contre la précarité menstruelle, ne le formulerait pas comme ça, mais sur le terrain, la stigmatisation lui semble toujours bien présente. « C’est aussi le cas quand on fait de la sensibilisation à la santé menstruelle dans les écoles, tant au niveau des jeunes de 12-18 ans que des personnes encadrantes, observe-t-elle. C’est d’ailleurs pour cela qu’on a besoin de nous pour ces sessions. »

Elle note néanmoins une différence notable, depuis les débuts de l’association en 2016 : « Aujourd’hui, plus aucun politique ne peut dire « la précarité menstruelle, je ne connais pas ». Il y a eu une prise de conscience et des actions ont été menées par le monde politique, malgré cela, nos distributions gratuites de produits menstruels n’ont pas baissé, comment l’expliquer? »

Lire aussi: La précarité menstruelle, inégalité dans l’inégalité: où en est-on en Belgique?

Comme le ketchup sur la chemise

Plongée dans une réalité assez éloignée des boutiques glamour dédiées au confort durant les règles et des posts Instagram prônant l’empowerment féminin par le biais du cycle, Veronica Martinez met en garde : « Une certaine glamourisation peut être dangereuse. Je pense qu’il est important de montrer les choses comme elles sont. Vouloir rendre les règles fun, sympas et saupoudrer le tout de paillettes risque d’alimenter de manière insidieuse le tabou. »
Il faudra encore beaucoup de posts Instagram (et d’actions politiques) avant qu’une tache de sang sur une jupe ne suscite pas plus d’angoisse ou de réactions qu’une éclaboussure de ketchup sur une chemise.

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