Mous Lamrabat nous raconte ses photos plein d’a(r)mour

photo de Mous Lamrabat
© Mous Lamrabat
Anne-Françoise Moyson

La nouvelle exposition A(R)MOUR du photographe Mous Lamrabat porte un regard tendre sur les êtres et sur leurs vêtements. Avec sa styliste Lisa Lapauw, il commente pour nous ses images.

«Quiconque regarde à travers ces éclats de couleur et cette image stylisée ne peut que découvrir une vision différente du monde», prévient Dieter Van Den Storm, directeur de la création du MAD Brussels, fier de donner à voir les œuvres de Mous Lamrabat, «précieux médiateur entre les générations et les cultures».

Car le photographe belgo-marocain joue avec les codes, déjoue les stéréotypes, met en scène la couleur, enrichit le cadre à force d’y additionner les cultures et les icônes, même populaires, en floutant joyeusement les frontières.

Accompagné par Lisa Lapauw, sa styliste de toujours, il signe avec A(R)MOUR une série de clichés qui n’en sont pas, destinés à mettre en valeur la créativité bruxelloise, les jeunes designers du cru et la beauté d’un Maroc d’ici et de là-bas.

Une complicité de tous les instants

Par Teams interposé, depuis Gand et devant l’écran de leur ordinateur, Mous et Lisa se prêtent au jeu de l’interview tandis que le chat qui s’appelle chat en tamazight s’installe sur le clavier. Ils parlent d’une même voix, l’un finissant la phrase de l’autre et inversement, dans une grande complicité créative.

mous lamrabat
Mous Lamrabat et Lisa Lapauw, la styliste qui accompagne depuis toujours son travail.

Mous Lamrabat

En autodidacte, il se lance dans la photographie, publie dans Vogue Arabia, GW Middle East, Vanity Fair et signe des campagnes pour YSL Beauty, Burberry, Chanel et WhatsApp.

En 1983, il naît à Temsamane, dans le Rif marocain. A 5 ans, il arrive en Belgique et y grandit.

En 2009, il sort diplômé en architecture d’intérieur de l’Académie royale des beaux-arts de Gand.

En 2019, il expose Mousganistan à Sint-Niklaas et est nommé parmi les One To Watch par le British Journal of Photography.

Les Belgian Fashion Awards le consacre comme Professionnel de l’année 2022 tandis qu’il expose au Foam à Amsterdam.

En parfait autodidacte, diplômé d’architecture d’intérieur, Mous Lamrabat a très vite peaufiné sa signature. «Trouver son propre style, c’est en fait se sentir chez soi, dit-il. Avec mes photos, je crée un univers comme un enfant invente son monde dans sa chambre… Cela fait sens de créer son chez-soi. C’est important de se sentir bien quelque part. Trop souvent, nous devons être ce que nous ne sommes pas en réalité. Et si on n’a pas la possibilité de rentrer à la maison, à l’endroit où on est vraiment soi-même, alors on est perdu.»

Trop « woke » pour Anvers

C’est cette cohérence intime qui lui permet de résister quand la polémique fait rage et que ses quatre portraits accrochés à l’origine dans la cage d’escalier de l’Arenbergschouwburg à Anvers sont enlevés et déplacés, en mars dernier, sur décision du conseil municipal qui les jugeait trop «woke».

Lisa Lapauw

Elle naît en 1984 à Courtrai.

En 2005, elle est diplômée en graphisme de Sint-Lucas à Gand.

Elle découvre le cinéma et la vie sur un plateau, comme stagiaire auprès des cheffes costumières Kristin Van Passel et Vanessa Evrard.

En 2008, elle travaille sur le film Linkeroever de Pieter Van Hees, avec Matthias Schoenaerts.

Elle rencontre Mous Lamrabat en 2011, sur un plateau de tournage. Déclic créatif. A deux, ils lancent leur magazine de mode, CRUST.

Depuis 2016, ils partagent leur passion pour la photographie et l’art, et aussi leurs vies.

«Je n’ai jamais vraiment su comment répondre à cela, confie Mous Lamrabat. Mais depuis la campagne que j’ai récemment créée avec WhatsApp, «There’s no one like us», c’est devenu très clair pour moi. Ce n’est que maintenant que je sens que ce que je fais est important pour beaucoup.

Non pas mes photos mais le message qu’elles véhiculent. Il se peut que cela ne plaise pas à tout le monde, mais il y a un très grand nombre de personnes qui en ont besoin. Certains ne comprennent pas mon travail, cela ne me dérange pas. Il est plus grand qu’eux.

Connecter les gens

C’est parce que j’essaie de trouver des solutions pour rapprocher et connecter les gens, contrairement à ceux qui cherchent les problèmes et les montent en épingle dans le but de nous éloigner les uns des autres. Si, en 2023, le foulard est encore un sujet qui pose problème, j’en suis désolé.»

Lui qui n’oserait jamais inscrire «photographe» sur sa carte de visite a le sentiment qu’à travers ses portraits, il a trouvé le moyen de s’exprimer. «Je peux y dire ce que je pense et ce que je ressens. C’est aussi là que je peux être écouté au mieux. C’est là que je suis à ma juste place.» Démonstration en image.

Photo 1

«La couleur chez moi n’est pas un choix conscient. Cela vient juste de mes tripes, c’est organique. Il n’est pas tant question de travailler des couleurs intenses et saturées mais de trouver la juste et belle nuance. Cela dit, il semblerait que je sois daltonien, légèrement, pas dramatiquement. Peut-être est-ce une explication… Je suis autodidacte. Et cela fait une différence, parce que je n’ai pas appris les règles et que je fais dès lors à ma manière, cela génère des surprises. J’aime vraiment le hasard et les surprises.»
© Mous Lamrabat

«La couleur chez moi n’est pas un choix conscient. Cela vient juste de mes tripes, c’est organique. Il n’est pas tant question de travailler des couleurs intenses et saturées mais de trouver la juste et belle nuance. Cela dit, il semblerait que je sois daltonien, légèrement, pas dramatiquement.

Peut-être est-ce une explication… Je suis autodidacte. Et cela fait une différence, parce que je n’ai pas appris les règles et que je fais dès lors à ma manière, cela génère des surprises. J’aime vraiment le hasard et les surprises.»

Photo 2

«C’est une photo prise à l’heure bleue, celle que je préfère. Surtout au Maroc. Quand je suis là-bas, je profite de cette demi-heure entre le jour et la nuit pour faire des photos plus personnelles. En guise de boucle d’oreille, elle a un triangle de Vache qui rit. En Afrique, du Nord en particulier, ce fromage est très populaire. C’est l’équivalent de la mayonnaise en Belgique, on le tartine sur tout. J’aime travailler avec des symboles iconiques, très reconnaissables et qui portent en eux une certaine nostalgie. Le chapeau traditionnel, typique des musiciens gnaouas, qu’on a trouvé sur un marché, et le caftan sont également des symboles immédiatement reconnaissables, en Afrique à tout le moins. Et ils véhiculent une émotion.»
© Mous Lamrabat

«C’est une photo prise à l’heure bleue, celle que je préfère. Surtout au Maroc. Quand je suis là-bas, je profite de cette demi-heure entre le jour et la nuit pour faire des photos plus personnelles. En guise de boucle d’oreille, elle a un triangle de Vache qui rit.

En Afrique, du Nord en particulier, ce fromage est très populaire. C’est l’équivalent de la mayonnaise en Belgique, on le tartine sur tout. J’aime travailler avec des symboles iconiques, très reconnaissables et qui portent en eux une certaine nostalgie.

Le chapeau traditionnel, typique des musiciens gnaouas, qu’on a trouvé sur un marché, et le caftan sont également des symboles immédiatement reconnaissables, en Afrique à tout le moins. Et ils véhiculent une émotion.»

Photo 3

«Dans A(R)MOUR, Il est question d’amour, d’acceptation, de donner leur chance aux gens. Il est aussi question d’armure. Et le niqab est peut-être la forme la plus extrême d’armure. En tout cas, elle peut l’être pour celles qui le portent, comme une protection, même si les médias le montrent souvent plutôt comme un instrument d’oppression – ce qui arrive certes mais il existe aussi de nombreuses femmes qui choisissent de s’en revêtir. On construit nos images ensemble, à deux ; il y a toujours un statement mais sans volonté de provoquer. Les lunettes «love» sont un petit objet de déco marocain fait à la main qui d’habitude pend au mur. Elles expriment en toutes lettres un message d’amour.»
© Mous Lamrabat

«Dans A(R)MOUR, Il est question d’amour, d’acceptation, de donner leur chance aux gens. Il est aussi question d’armure. Et le niqab est peut-être la forme la plus extrême d’armure. En tout cas, elle peut l’être pour celles qui le portent, comme une protection, même si les médias le montrent souvent plutôt comme un instrument d’oppression – ce qui arrive certes mais il existe aussi de nombreuses femmes qui choisissent de s’en revêtir.

On construit nos images ensemble, à deux ; il y a toujours un statement mais sans volonté de provoquer. Les lunettes «love» sont un petit objet de déco marocain fait à la main qui d’habitude pend au mur. Elles expriment en toutes lettres un message d’amour.»

Photo 4

«Le modèle est un ami. On travaille souvent avec nos proches… Surtout au début. Les gens ne connaissaient alors pas notre style et c’était bizarre de cacher le visage d’un mannequin avec du tissu, on s’excusait vingt fois – «Sorry de vous demander de faire ça.» C’était donc plus facile d’expérimenter avec des amis qui nous font confiance. Cela laisse une liberté plus grande. La cape est en réalité une couverture que l’on trouve partout au Maroc, tout le monde en a une chez soi. C’est très kitsch, avec des grandes roses, mais c’est tellement beau. On l’a photographiée dans ce désert de pierre à 30 minutes de Marrakech. C’est toujours drôle de travailler dans ce genre d’endroit où il n’y a rien, pas une maison et puis soudain quelqu’un apparaît, venu d’on ne sait où pour regarder ce qu’on est en train de faire…»
© Mous Lamrabat

«Le modèle est un ami. On travaille souvent avec nos proches… Surtout au début. Les gens ne connaissaient alors pas notre style et c’était bizarre de cacher le visage d’un mannequin avec du tissu, on s’excusait vingt fois – «Sorry de vous demander de faire ça.»

C’était donc plus facile d’expérimenter avec des amis qui nous font confiance. Cela laisse une liberté plus grande. La cape est en réalité une couverture que l’on trouve partout au Maroc, tout le monde en a une chez soi. C’est très kitsch, avec des grandes roses, mais c’est tellement beau.

On l’a photographiée dans ce désert de pierre à 30 minutes de Marrakech. C’est toujours drôle de travailler dans ce genre d’endroit où il n’y a rien, pas une maison et puis soudain quelqu’un apparaît, venu d’on ne sait où pour regarder ce qu’on est en train de faire…»

Photo 5

« On a pris cette photo dans une salle de mariage Biladi à Molenbeek. L’endroit est incroyable, on ne le devine pas depuis la rue presque caché derrière une façade typiquement bruxelloise. Mais quand la porte du garage s’ouvre, on entre dans un autre monde, c’est comme si on était au Maroc…

C’est inattendu, on était vraiment impressionné. L’atmosphère y est totalement différente et l’esthétique aussi. Je trouve que cela fait le lien avec ce que nous sommes censés être ou avec ce que nous pensons devoir être : derrière une façade qui semble parfois simple, il y a beaucoup plus – 99 % des gens se révèlent bien plus complexes que ce qu’il y paraît au premier abord.

La veste rose est signée Botter, ce n’est pas un duo vraiment belge mais Rushemy a étudié à l’Académie des beaux-arts d’Anvers. Le voile est un napperon qu’on a trouvé dans un magasin turc et le chapeau est un vase qu’on a détourné.

Il est signé Shishi San, une artiste conceptuelle basée à Bruxelles qui s’inspire de l’art de la tapisserie et crée notamment des vases tuftés et des vêtements en crochet, c’est incroyablement beau. »

A(R)MOUR, par Mous Lamrabat, MAD Brussels, 10, place du Nouveau Marché aux Grains, à 1000 Bruxelles. mad.brussels Du 9 juin au 2 septembre.
A voir aussi: l’exposition Bienvenue au Mousganistan à Toulouse, à la Galerie Le château d’eau, du 2 juin au 27 août. chateaudeau.toulouse.fr

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