Au coeur du ventre: comment le microbiote intestinal influe sur la santé mentale (et inversement)
Près de dix ans après le succès de l’ode de Giulia Enders à son « charme discret » en librairies, l’intestin fait son grand retour avec Parle à mon ventre, ma tête est malade de Maud Gabriel et Dimitri Jacques. Leur postulat? Santé mentale et microbiote intestinal seraient intimement liés.
L’adage voudrait que l’amour passe par l’estomac, mais si cela reste à prouver, une chose est certaine: la santé mentale, elle, est indissociable de celle de l’intestin. Et pourtant, dans l’imaginaire collectif, le lien qui le relie au cerveau est ténu, voire inexistant. Une méconnaissance à laquelle ont tenu à remédier le journaliste scientifique breton Dimitri Jacques et la micronutritionniste bourguignonne Maud Gabriel. Avec, à la clé, un ouvrage que le médecin spécialiste de l’immunonutrition Roger Mussi décrit en préface comme une « extraordinaire partie de double mixte, où chaque paragraphe claque comme un « ace » asséné à la bien-pensance médicale ». Tout un programme.
Comment et pourquoi décide-t-on de s’intéresser de plus près à l’intestin quand on n’est ni chercheur ni gastro-entérologue?
Maud Gabriel: Avant de devenir naturopathe, j’ai souffert pendant vingt-cinq ans d’anorexie mentale restrictive, de dépression résistante et de troubles du spectre autistique. Des longues périodes de dénutrition, associées à la prise de psychotropes, qui m’ont provoqué des troubles digestifs si aigus que les douleurs intestinales ont fini par supplanter les souffrances psychiques. Sur les conseils d’un diététicien, j’ai tenté l’éviction du gluten et des laitages pour apaiser les maux de ventre, et le miracle s’est produit, mais pas celui escompté: c’est le brouillard mental qui s’est dissipé en cinq jours à peine! J’ai alors découvert la multitude des promesses thérapeutiques qu’on prêtait au microbiote intestinal en me documentant sur le sujet et sur l’axe intestin-cerveau, qui m’était jusqu’alors totalement inconnu.
‘Corps et esprit font partie d’une même entité qu’il convient d’harmoniser de manière holistique.’ Maud Gabriel
Dimitri Jacques: Outre mon métier de journaliste scientifique, j’exerce aussi celui de psychonutritionniste, soit un professionnel de la santé formé à la fois à la psychologie et à la nutrition. C’est le métier de celui qui refuse de choisir, ce qui fait sens car toute maladie est à la fois biologique et psychologique et nous ne sommes réductibles ni à notre corps ni à nos pensées. Nos états d’âme influencent notre alimentation, mais celle-ci est capable d’agir sur nos émotions, notre humeur et nos comportements. C’est logique: le fonctionnement des cellules humaines, et donc des neurones, dépend étroitement de la qualité des nutriments qu’elles reçoivent.
D’où la propension récente à qualifier l’intestin de « deuxième cerveau »?
M.G.: Lors de ma longue errance thérapeutique, mon psychiatre s’occupait de l’esprit, mon généraliste, du corps, et il n’y avait aucune collaboration entre les deux. J’ai subi des internements psychiatriques, avalé un nombre incalculable de médicaments, et mes troubles digestifs n’ont jamais été pris au sérieux: c’est seulement quand je suis devenue proactive que j’ai pu gagner mon combat contre la maladie. Malheureusement, mon cheminement vers la guérison n’a pas reçu beaucoup d’appui, entre proches dubitatifs et médecins incrédules. J’ai toutefois eu la chance de bénéficier du soutien indéfectible de mon gastro-entérologue dans ma quête des implications du microbiote intestinal sur la santé mentale: je parle d’ailleurs de lui comme de mon deuxième psy!
D.J.: J’aime bien aller directement à la base des choses, et en ce qui concerne la santé humaine, la base, c’est l’intestin et son microbiote. C’est la porte d’entrée de l’organisme: si vous la ratez, ça commence mal. D’ailleurs, je ne me souviens pas avoir rencontré une seule personne souffrant d’une maladie longue avec un intestin en bon état de marche. Les allergies, la dépression, la fatigue chronique, la maladie de Lyme, des infections hivernales fréquentes? Des anomalies intestinales ne sont jamais très loin. Nous hébergeons dans nos entrailles quelque cent mille milliards de bactéries avec lesquelles nos cellules ont signé une sorte de contrat donnant-donnant, ce qu’on appelle une symbiose. Des processus aussi courants que la digestion, le métabolisme énergétique, les défenses immunitaires ou encore la production des hormones qui régulent notre sommeil et notre appétit, dépendent de nos relations avec ces bactéries. Impossible de faire l’impasse sur quelque chose d’aussi crucial.
La condition sine qua non pour un esprit sain serait donc un intestin sain?
M.G.: Prétendre qu’on peut guérir tous les troubles émotionnels et psychiques de quelqu’un en soignant son intestin est évidemment faux. Mais ne pas se préoccuper de la santé digestive d’une personne confrontée à de telles souffrances me semble une erreur. L’intestin et le cerveau communiquent via une autoroute à quatre voies: la voie nerveuse (nerf vague), la voie endocrine, la voie immunitaire et la voie sanguine. Quand l’autoroute est embouteillée ou accidentée, la communication est moins fluide. La majorité des messages est synthétisée par les bactéries de notre microbiote intestinal et ceux-ci sont positifs ou négatifs selon la composition de notre flore. Par exemple, nous sommes souvent grognons lorsque nous avons mal au ventre. Inversement, une perturbation émotionnelle impactera négativement notre confort digestif: nous avons tous connu des maux de ventre à l’approche d’un événement stressant. Corps et esprit font partie d’une même entité qu’il convient d’harmoniser de manière holistique.
D.J.: Vous pouvez avoir des problèmes de santé importants mais aucune raison de vous plaindre de votre intestin, ou à l’inverse, vous pouvez être psychologiquement très zen et avoir l’intestin en pagaille. Il existe toujours des exceptions, chacun de nous est unique, de par son patrimoine génétique mais également de par son microbiote. Si l’écosystème intestinal est le socle de la santé, ne lui mettons pas tout sur le dos: tant de choses nous échappent encore.
‘Nous sommes au XXIe siècle, nous devrions tous avoir accès à la connaissance de soi.’ Dimitri Jacques
Pourtant, ces dernières années, il devient un sujet d’étude de plus en plus populaire. Il suffit de voir le succès du Charme discret de l’intestin et ses plus de 5,5 millions d’exemplaires vendus…
D.J.: Le livre de Giulia Enders a contribué à sortir l’axe intestin-cerveau du domaine des spécialistes et à lui donner une réelle visibilité auprès du grand public. L’autrice, dont le charme a peut-être aussi participé au succès, a su faire passer le message, avec un certain humour qui marque les esprits. D’autres ouvrages lui ont emboîté le pas et les articles de presse consacrés au sujet pleuvent ces dernières années. Pour mettre les pieds dans le plat, j’aimerais toutefois que le sujet ait le même succès dans les cabinets de gastro-entérologie. Il y a un important décalage dans le temps entre les découvertes scientifiques et l’évolution des pratiques en cabinet. Les malades attendent…
M.G.: Un de vos compatriotes, le Dr Stéphane Résimont, déplore un délai de vingt ans entre la validation de données scientifiques et leur application en cabinet. Plus nous serons nombreux à réclamer des conseils visant à optimiser la santé digestive pour des bénéfices physiques et psychiques, plus les pratiques évolueront rapidement.
Prendre les choses en main
A l’Espace Sérénité, en région liégeoise, on n’a pas attendu la popularité soudaine de l’axe cerveau-intestin pour imaginer des rituels qui permettent de mettre les « deux cerveaux » en veille. « Le ventre est le centre énergétique de la vie où siègent nos émotions, c’est donc le cerveau de l’intelligence émotionnelle« , explique la fondatrice de ce centre dédié au bien-être sous toutes ses formes, Christelle Hardy. Elle propose entre autres un massage « ventre content », avec bilan micronutritionnel et conseils pour un confort digestif et émotionnel en prime. « Le massage des organes de l’abdomen désintoxique et revitalise vos organes vitaux, harmonise vos émotions et libère vos énergies négatives », explique la jeune femme, qui affiche la séance de 90 minutes au tarif de 80 euros et assure que « noeuds à l’estomac, porosité des intestins, stéatose hépatique mais aussi maux de nuque et de dos, céphalées et insomnies ne seront bientôt plus qu’un lointain souvenir ». Des bienfaits que l’on s’offre également à Bruxelles, chez Nadia di Pasquale, qui pratique non seulement le Chi Nei Tsang (75 euros les 60 minutes), « un massage de guérison puissant, issu de la plus ancienne tradition taoïste chinoise », mais aussi le yoga du ventre (70 euros les 60 minutes), entre apprentissage de techniques de respiration abdominale et de gestes d’automassage d’un côté et mouvements issus du Qi Gong de l’autre. « Votre ventre est le réservoir de votre énergie et de votre force vitale », assure celle pour qui retrouver la paix dans son abdomen relève de plus que du simple massage: « C’est un chemin vers soi, une véritable thérapie. »
Parce que si l’intestin va, tout va?
M.G.: Disons plutôt « quand la santé digestive va, tout va ». Celle-ci commence dans la bouche avec la mastication, qui est la seule étape de la digestion sous notre contrôle. On peut conseiller de « mâcher le travail » pour optimiser la santé digestive. Plutôt que de nous focaliser sur l’intestin et ses éventuels dysfonctionnements, je suggère de mettre en lumière toutes les actions du quotidien qui favoriseront l’état d’eubiose digestive en chouchoutant nos bactéries intestinales amies. L’approche holistique de la prévention est essentielle. Je propose d’opter pour une alimentation de qualité, bio si possible, bien mastiquée, de pratiquer une activité physique régulière, de veiller à un sommeil de qualité, de s’octroyer des moments de détente. Voilà des conseils simples et peu onéreux dont les bénéfices sur la santé digestive favoriseront un bon état de santé physique et psychique.
D.J.: Pourquoi se focaliser sur une partie du corps en particulier? Le tube digestif, en incluant l’univers microbien qui le peuple, est un écosystème, avec ses critères d’équilibre, ses fragilités et ses capacités de résilience. Nous devons connaître et respecter tout ce qui permet d’en prendre soin. A commencer par notre alime ntation, que certains considèrent comme la première médecine.
Qu’espérez-vous que vos lecteurs retiendront du livre une fois la dernière page tournée?
D.J.: Les cas d’anorexie mentale pour lesquels la cause principale est biologique sont minoritaires, mais pas si rares: ils sont surtout largement sous-diagnostiqués. Combien de personnes sont dans le cas de Maud, sans soins adaptés? J’espère qu’un maximum d’entre elles se reconnaîtront à travers ce témoignage et pourront entamer une démarche de soins adaptés. Quant aux mécanismes biologiques qui peuvent conduire aux troubles psychiatriques, le moment est venu de les faire connaître du plus grand nombre, parce que nous pouvons agir dessus. Nous sommes au XXIe siècle, nous devrions tous avoir accès à la connaissance de soi, au mode d’emploi de notre esprit aussi bien que de la merveilleuse mécanique humaine.
M.G.: Porter mon témoignage par écrit a pour seul dessein d’informer et de délivrer un message d’espoir. Tout est possible. La guérison nécessite la participation active du patient. Informez-vous et attachez-vous à l’ensemble de votre personne sans vous focaliser sur vos symptômes.
Parle à mon ventre, ma tête est malade – Le rôle du microbiote intestinal dans la santé mentale, par Maud Gabriel et Dimitri Jacques. 216 pages. Editions Grancher.
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