Comprendre l’impact mental de la ménopause: « J’étais si agressive que mes proches m’évitaient »

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Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste
Nathalie Le Blanc Journaliste

Si la ménopause est indissociable des bouffées de chaleur et d’une croissance du tour de taille inversement proportionnelle à la durée du sommeil, son impact mental a longtemps été passé sous silence. Un sujet heureusement de plus en plus abordé, cette période n’étant pas toujours synonyme de souffrances.

Lors d’un mariage, Nathalie, 53 ans, se surprend à pleurer à chaudes larmes deux heures durant. « C’était un moment merveilleux dans un endroit magnifique, rempli d’amour, et j’ai ressenti très fort le manque de ma mère, qui aurait été si heureuse pour les mariés. Mais même si la situation était très émouvante, la virulence de ma réaction m’a stupéfaite. Jusqu’à ce que j’en parle à une connaissance, qui m’a dit d’emblée que c’était lié à la ménopause ».

Un diagnostic sans appel qui a permis à Nathalie de remettre d’autres situations en perspective, de sa difficulté à affronter le confinement à son incapacité soudaine à gérer le stress au travail. Et de confier que tout à son soulagement de ne souffrir d’aucun des symptômes «classiques» de la ménopause, entre bouffées de chaleurs et insomnies, elle n’avait pas pris en compte le fait que s’effondrer après une journée de travail difficile pouvait aussi y être lié.

Un fait qui ne surprend pas la Belge Leen Steyaert, consultante en ménopause, pour qui cette période de la vie pâtit encore d’une image bien trop étriquée. En l’occurrence, si on y associe sans peine la triade chaleur-insomnie-prise de poids, on ne réalise pas toujours que crises de larmes, susceptibilité, anxiété, sautes d’humeur, panique, sentiments dépressifs ou encore problèmes de concentration peuvent aussi y être rattachés.

La méno-quoi?

Une litanie de problèmes d’autant plus impressionnante quand on sait que techniquement, la ménopause ne dure… qu’un jour, le premier des toutes dernières règles, explique Leen Steyaert. La période qui les précède et qui peut commencer dès la quarantaine et durer plusieurs années est la pré-ménopause. Ensuite, on parle de péri-ménopause, qui survient dès l’apparition des premiers signes et jusqu’à un an après les dernières menstruations, date à laquelle une femme est officiellement ménopausée.

Et si la chronologie est relativement similaire d’une personne à l’autre, les symptômes, eux, diffèrent grandement. 23% des concernées confient ainsi avoir à peine remarqué la transition, tandis que pour celles qui en souffrent, les troubles sont extrêmement variables. Cheveux cassants, peau sèche, troubles de la mémoire, douleur lors des rapports sexuels, prise de poids… Mais aussi ostéoporose et autres problèmes cardiaques et vasculaires. Sans oublier que des études ont révélé un lien potentiel entre baisse des œstrogènes et augmentation du risque de démence, et que la ménopause a aussi de potentielles conséquences mentales non négligeables.

Pour le spécialiste en endocrinologie gynécologique Dominique de Ziegler, « l’idée a été longtemps largement répandue que la ménopause était suivie par une augmentation de la prévalence des troubles dépressifs ». Après tout, dès 1824, le médecin Charles Prosper de Gardanne, auteur de l’Avis aux femmes qui entrent dans l’âge critique, ne décrivait-il pas déjà la femme ménopausée comme étant « morose, angoissée, taciturne, regrettant sans fin des jouissances perdues avec l’âge »? Sauf qu’ainsi que le souligne Dominique de Ziegler, des travaux récents suggèrent que c’est plutôt la période périménopausique, « et plus particulièrement les deux ans situés autour des dernières règles » qui serait plus à risque de développement de troubles dépressifs.

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La ménopause joue aussi sur le mental – Getty Images

Un timing qui n’est pas anodin puisqu’il coïncide avec l’apparition d’un faisceau de symptômes à même de malmener le mental, entre bouffées de chaleur qui perturbent le sommeil et rendent plus irritable et un élargissement du tour de taille qui peut lui aussi influencer négativement l’humeur. Pas surprenant, donc, que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pointe la myriade de répercussions que cette période peut avoir sur le bien-être «physique, émotionnel, mental et social» des femmes, et considère que «le soutien social, psychologique et médical pendant la transition vers la ménopause et après celle-ci devrait faire partie intégrante des soins de santé». D’autant qu’à l’heure actuelle, nombre de femmes sont encore susceptibles de «ne pas savoir que les symptômes qu’elles éprouvent sont liés, ou qu’elles peuvent obtenir des conseils ou des traitements qui les soulageront».

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La fureur de vivre

Katherine, 49 ans, en sait quelque chose. Si elle n’a jamais vraiment été du genre à avoir la langue dans sa poche, depuis quelque temps, elle confie avoir l’impression d’être plus irascible envers ses proches. Résultat des courses: son fils lui a avoué avoir pris ses distances parce qu’elle était «toujours si méchante avec tout le monde». Et si ses collègues ont parfois pu être choqués par certaines de ses sorties, c’est son mari qui lui a conseillé d’aller chez le médecin, après que sa sœur lui ait glissé que cette agressivité soudaine pouvait être liée à la ménopause.

« Il m’a dit que soit j’allais consulter, soit on entamait une thérapie de couple, parce que la situation était devenue intolérable pour lui. Quand le médecin m’a dit que mon agressivité et mon irascibilité étaient liées à mes hormones, je me suis sentie incroyablement stupide de ne pas avoir fait le lien. Pourquoi n’explique-t-on pas plus aux femmes à quoi s’attendre? »

Katherine, 49 ans.

Et Katherine de se réjouir que le sujet soit enfin abordé dans les médias et en privé. Une prise de parole nécessaire: d’après l’OMS, en 2021, les femmes âgées de 50 ans et plus représentaient ainsi 26% de toutes les femmes et filles dans le monde, soit une hausse de 22% par rapport à dix ans plus tôt. En outre, l’augmentation de l’espérance de vie fait que les femmes d’aujourd’hui sont ménopausées bien plus longtemps que leurs grands-mères.

« Si vous commencez à en ressentir les effets vers l’âge de 45 ans et que vous vivez jusqu’à 85 ans, cela vous laisse quarante ans après vos dernières règles »

Leen Steyaert

Et de marteler qu’il est « donc grand temps d’accorder plus d’attention mais aussi de soutien à la question, d’autant plus que de nos jours, une femme de 45 ou 50 ans n’est pas vieille. Elle travaille toujours, peut avoir de jeunes enfants, est active, dynamique et se sent toujours jeune. Il ne s’agit donc pas de voir cette période comme une fin mais bien plutôt comme un nouveau départ ».

Une approche positive qui a toutefois ses écueils: « C’est très bien qu’on s’intéresse enfin au sujet, mais la vision qu’on en promeut aujourd’hui est une source de pression supplémentaire », regrette Katherine. Qui y voit un élément à ajouter sur sa to-do list, égrainant la nécessité de rester « positive, fine, jeune, sexy et dynamique jusqu’au cercueil. Rien que d’y penser, ça m’épuise ».

Repli nécessaire

Une fatigue indissociable de ce moment de changements en tout genre? Pour Leen Steyaert, avoir moins d’énergie à consacrer est une autre conséquence évidente des changements biologiques qui se produisent dans le corps des femmes entre 40 et 50 ans. «Le taux d’ocytocine, dite hormone du lien, chute. C’est une manière pour la nature d’assurer que les mères puissent voir leurs enfants quitter le nid de manière apaisée. Cela implique aussi pour certaines femmes un besoin de repli. Elles vont moins sortir et socialiser et préférer plutôt profiter de moments de quiétude.» Anna, 55 ans, a décidé de lever le pied, au grand dam de ses enfants.

« J’avais l’habitude de tout plaquer pour être aux petits soins dès qu’ils revenaient à la maison, mais maintenant, ils n’ont qu’à tirer leur plan. J’ai récemment vu un documentaire de la BBC sur le pic de femmes ménopausées qui sont licenciées ou qui démissionnent, et je dois dire que je n’ai pas été surprise. Je dors moins maintenant qu’avant, et je suis trop vieille pour fonctionner de manière optimale en étant fatiguée tout le temps ».

Anna, 55 ans

Un constat que ne partage pas Conny, qui, du haut de ses 58 ans, doit bien avouer que ses craintes sur une éventuelle perte de libido étaient infondées. « Avec mon mari, nous avons une vie sexuelle plus stimulante que jamais. On a discuté avec franchise de ce sujet quand j’ai senti que j’abordais la transition, et cela nous a permis de maintenir le lien – et des rapports réguliers. On a rédigé une liste de fantasmes à accomplir, allant de la fessée à l’amour en plein air, et quand la pénétration s’est avérée plus difficile, on a simplement acheté du lubrifiant ».

Pour répondre aux besoins d’un marché en pleine croissance, de nouveaux produits sont développés, à commencer par Tides, un sextoy aux lignes design pensé spécifiquement pour les femmes ménopausées. Lesquelles, avec Naomi Watts, ont désormais une égérie de la «ménopause positive», ainsi que la ligne de cosmétiques dédiés à leurs besoins spécifiques qu’elle a fondée, Onda Beauty. Longtemps tabou, le sujet est désormais brandi fièrement par les actrices en interview, d’Angelina Jolie assurant «adorer» avoir passé ce cap et «ne plus vouloir être jeune», à Monica Bellucci, qui y voit une «étape naturelle de la vie», sans oublier Sophie Davant, qui rappelle qu’il y a «de plus en plus de quinquas belles et désirables». Même si, à trop affirmer, comme Cameron Diaz, que la manière dont on vit cette période est liée à l’approche qu’on en a, il ne faudrait pas en minimiser les souffrances, réelles et inéluctables, de certaines femmes pour qui il s’agit de tout sauf d’une transition épanouissante.

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Voir l’ovaire à moitié plein lors de la ménopause

Fran, 49 ans, a ainsi eu l’impression de vivre «le début de la fin»: «C’est comme si je devenais une version plus faible de moi-même, à douter professionnellement et à arrêter le sport parce que mon corps refusait de bouger. J’ai eu la chance qu’un médecin me prescrive un traitement hormonal, qui m’a permis de dormir à nouveau et de retrouver une forme de stabilité mentale.» Des traitements que Leen Steyaert voit comme une bénédiction − à condition qu’ils soient bien administrés.

« On prescrit souvent des somnifères et des antidépresseurs pour traiter les symptômes, sans avoir une approche globale du problème. Il y a une forme de crainte, alors même que l’étude qui liait hormonothérapie et cancer du sein a été déboutée il y a belle lurette. C’est comme si le monde médical se divisait en deux: ceux qui voient cette période comme un cap naturel à franchir, et ceux qui l’envisagent comme un problème qu’on peut traiter ».

Leen Steyaert

Et d’enjoindre chaque femme concernée à se renseigner en profondeur sur le sujet avant de déterminer si elle veut recourir ou non aux hormones… Même si ces dernières ne pourront pas contribuer à endiguer la potentielle prise de poids crainte par tant de femmes. Ainsi que l’explique le gynécologue liégeois Gautier Vandenbossche sur la plate-forme Gyn&Co, « la ménopause entraîne un bouleversement au niveau des hormones de croissance et de stockage, telles que l’insuline. Comme le corps élimine moins facilement les graisses, il prend légèrement du poids ». D’autant qu’en vieillissant, le corps perd de sa masse musculaire et brûle plus difficilement les calories.

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Un changement pas simple à accepter dans une société qui idéalise la minceur et la jeunesse: sur Google, la recherche des termes « poids » et « ménopause » livre plus de 4,8 millions de résultats, la plupart tournant autour de « comment perdre/ne pas prendre du poids » une fois passées les dernières règles. Un diktat pesant dont les femmes commencent tout juste à s’affranchir. Confiant avoir vu son tour de poitrine tellement augmenter ces dernières années qu’elle en a eu des douleurs dorsales, Salma Hayek, 56 ans, rappelle que les femmes ont « le droit d’être aimées pour ce qu’elles sont ».

« On peut rêver, s’accomplir et être romantique à tout âge, nous ne sommes pas sur terre uniquement pour faire des enfants ».

Salma Hayek

N’en déplaise à Simone de Beauvoir, pour qui ce sentiment de renouveau n’était qu’une « illusion », les femmes qui passent le cap de la fin du cycle menstruel semblent toujours plus décidées à l’envisager comme une nouvelle vie – et à voir l’ovaire à moitié plein.

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