Confronter ses parts d’ombre, la clé du bonheur? Décryptage du phénomène « shadow work journal »

shadow work journal
Le shadow work, un travail à entreprendre avec précaution - Getty Images
Kathleen Wuyard
Kathleen Wuyard Journaliste & Coordinatrice web

Des rayonnages de votre librairie favorite aux posts qui apparaissent dans votre feed sur les réseaux sociaux, le shadow work journal est partout, et les éditeurs s’empressent d’en proposer leur propre version. Pourquoi, comment, et avec quels effets: décryptage d’un phénomène qui captive l’inconscient collectif.

« Prenez soin de vous et des autres » exhorte la devanture de la Fnac, sur laquelle une bannière colorée fait ressortir les couvertures d’ouvrages promettant de vous aider à y parvenir. Parmi ceux-ci, Mon shadow work journal d’Emeric Lebreton figure en bonne place. C’est que le Docteur en psychologie français, déjà auteur de deux précédents bestsellers, Ce que j’aimerais te dire et Mon Autothérapie, a le don de partager le résultat de ses recherches sur le mieux-être d’une manière qui parle au grand public. Lequel ne l’a pas attendu pour se prendre de passion pour le concept du shadow work, déjà culte outre-Atlantique et sur TikTok. Pas mal, pour un concept datant des années 30…

À l’origine de cette fascination pour la part d’ombre, on retrouve en effet le psychiatre suisse Carl Gustav Jung, qui voyait dans l’ombre une partie de la psyché détenant la part individuelle qui se connaît pas elle-même, et dont les individus ignorent le plus souvent l’existence même. Résultat: les dissonances entre ces parts d’ombres inconscientes et la conscience des personnes seraient la source d’antagonismes, eux-mêmes à l’origine de nombre de conflits psychiques, responsables notamment du caractère et de l’humeur de l’individu. Et si Jung décrivait l’ombre comme quelque chose d’inadapté et de malencontreux, il rappelait toutefois qu’il n’y a « pas de lumière sans ombre et pas de totalité psychique sans imperfection. La vie nécessite pour son épanouissement non pas de la perfection mais de la plénitude. Sans imperfection, il n’y a ni progression, ni ascension. »

Un paradoxe au coeur de l’engouement actuel pour le shadow work journal sous toutes ses formes.

Mettre l’ombre en lumière

Ainsi que le précise Emeric Lebreton, « l’ombre désigne la partie de notre être inconscient qui recèle tout ce que l’on cache, tout ce que l’on ne voudrait pas montrer aux autres, à cause de la honte, de la culpabilité, ou simplement de la gêne que l’on éprouverait en le faisant. Sur ce point, l’ombre s’oppose à la lumière, qui correspond à la part de notre être que nous montrons chaque jour aux personnes que nous côtoyons. Les êtres humains cherchent, à la manière d’un influenceur qui se filme pour réaliser une vidéo sur Instagram, à ne montrer que leur meilleur profil, et pour ce faire, ils gomment leurs défauts et effacent les éléments qu’ils ne jugent pas dignes d’intérêt ».

Et ce, en public comme en privé: « En tant que thérapeute, je suis témoin de ces comportements quotidiennement. Mes patients sont à la recherche d’une solution à leurs problèmes, mais s’ils ne me montrent que la part lumineuse de leur être, nous ne pouvons pas cherche ensemble la source de leurs blocages » regrette le Dr Lebreton. Pour qui « la clé de leur mieux-être est cachée dans leur ombre ».

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Et ils sont toujours plus nombreux à aller l’y chercher à l’aide de l’un ou l’autre journal, comme celui publié chez Marabout par le psychologue français, ou bien tout simplement d’une série de questions facilement (et gratuitement) trouvables en ligne et allant de « en quoi est-ce que je ressemble (et que j’espère ne pas ressembler) à mes parents » à « quel a été mon plus grand échec et pourquoi ».

Entre inconfort et apaisement

Des questions confrontantes, que toujours plus d’adeptes du processus se posent pourtant avec gusto. Et quitte à mettre l’ombre en lumière, ils y vont franco, et partagent les résultats de leurs questionnements (mais aussi et surtout l’effet de ceux-ci) sur les réseaux sociaux. Dans une vidéo partagée à ses plus de 22.000 abonnés YouTube, Mélina-Univers partage ainsi sa « révélation inconfortable, intense et libératrice », évoquant « l’énorme inconfort » provoqué par la démarche, mais assurant aussi qu’y faire face a « quelque chose d’apaisant ». Sur Instagram, près de 2 millions de publications sont rassemblées sous la coupole du #shadowwork, tandis que sur TikTok, les vidéos intitulées d’une variante autour de « mon témoignage honnête/sincère/… du shadow work » sont légion.

@silkandsonder

shadow work is not easy. if youre having a really hard time, take a break and give yourself some compassion 💛 #shadowwork #dailyjournalingprompts #journalingprompts #journalingpromptsforyou #howtodoshadowwork #whatisshadowwork #greenscreen

♬ Aesthetic – Tollan Kim
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Et parmi ce flot de contenu, on retrouve aussi des capsules signées de thérapeutes, dont Joshua Terhune, pédopsy aux 345.200 abonnés sur le réseau social chinois, pour qui explorer sa part d’ombre est important, mais attention: pas n’importe comment. Choisissant de se concentrer sur un des ouvrages les plus célèbres, soit le Shadow Work Journal de Keila Shaheen, décrit par sa maison d’édition comme « le best-seller TikTok mondial de l’auto-assistance pour vous aider à améliorer votre santé mentale et votre bien-être », il regrette que le livre ne comporte pas beaucoup d’informations relatives à la part d’ombre telle qu’elle a été théorisée par Carl Jung, et surtout, sur la manière de l’explorer.

Le shadow work, un travail à faire bien accompagné·e

Or c’est bien là qu’est l’os. Ainsi que le souligne Joshua Terhune, le livre invite à « transcender sa part d’ombre ». Sauf que justement, « il ne s’agit pas de la transcender. Il faut l’intégrer, car elle fait partie de nous, mais essayer de la surmonter n’est qu’un mécanisme de défense similaire au fait de l’ignorer, plutôt que de choisir d’accepter cette part d’ombre ».

Dans sa critique (nettement moins nuancée) rédigée pour Business Insider, la journaliste spécialiste de la santé Julia Pugachevsky confie pour sa part avoir été incapable de terminer les exercices proposés par l’ouvrage de Keila Shaheen, qu’elle qualifie d’incomplet et « inefficace », surtout comparé aux effets d’une thérapie. Ce qui n’est peut-être pas surprenant puisque l’auteure de ce livre vendu à plus d’un millions d’exemplaires n’est pas thérapeute. Shadow work journal et poudre de perlimpinpin, même combat? Pas si vite, car le fondement de la technique est bien basé sur les recherches d’un des psychiatres les plus respectés du siècle dernier, et la pratique est toujours utilisée par des thérapeutes aujourd’hui, Emeric Lebreton en tête. Même si, ce dernier met en garde en préambule à son livre que ce dernier « est susceptible de réveiller des émotions et traumatismes enfouis, ce qui peut s’avérer déstabilisant », et que l’ouvrage « ne peut se substituer à la consultation d’un professionnel de la santé ».

Car la clé pour passer de l’ombre à la lumière, surtout si ce cheminement suscite l’un ou l’autre malaise, c’est bien d’en parler à une personne habilitée à l’accompagnement, même si cela n’exclut pas de réaliser un travail personnel en parallèle. Et ce n’est certainement pas ce bon Carl Jung qui nous contredirait…

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