Quand le trouble dysphorique prémenstruel dérègle le mental: « Mon cerveau est pris en otage 10 jours par mois »

Symptômes du trouble dysphorique prémenstruel
Reconnaître les symptômes du trouble dysphorique prémenstruel - Getty Images
Kathleen Wuyard
Kathleen Wuyard Journaliste & Coordinatrice web

Aussi méconnu que dangereux, le trouble dysphorique prémenstruel se caractérise par un faisceau de symptômes émotionnels, cognitifs et physiques parfois très graves, qui se manifestent chez les femmes dans la phase lutéale de leur cycle menstruel, soit entre l’ovulation et les règles. Atteinte depuis un peu plus de deux ans, Suzanne*, trentenaire du reste en parfaite santé, témoigne d’un mal qui lui pèse toujours plus lourd.

« Je me souviens très bien du moment où j’ai commencé à souffrir du trouble dysphorique prémenstruel, même si à l’époque, à quelques semaines seulement de mon mariage, je n’avais pas de mots pour décrire ce qui m’arrivait et j’ai juste cru que j’étais en train de devenir folle. D’ailleurs, je pense que j’ai momentanément perdu la tête, ce qui est clairement un des symptômes de cette saleté. Et qui fait qu’alors que j’avais passé des mois à me faire confectionner la robe parfaite, je me suis retrouvée un soir, en pleurs, à exploser le plafond de ma carte de crédit pour commander trois robes de mariée différente parce que j’étais persuadée d’être horrible, dégoûtante même, et que ma robe n’allait faire qu’accentuer tout ça. Je ne le savais pas encore à ce moment-là, mais ma première « crise » de trouble dysphorique prémenstruel venait de se manifester, et il allait me falloir plus d’un an et demi avant de comprendre ce qui m’arrivait.

Vu que mon mariage approchait, j’ai d’abord cru que je souffrais d’une forme très sévère de ce que d’autres marié·e·s peuvent décrire, cette espèce d’angoisse qui étreint à l’approche d’un cap si important, et qui fait qu’on spirale un peu même si on ne doute pas une seule seconde d’avoir envie de dire « oui ». Sauf que ce n’était pas le jour J qui occupait mes pensées, mais bien une conviction profonde et ultra douloureuse que j’étais horrible, bête, nulle, un échec vivant, et que la vie était une souffrance sans fin et sans aucun sens. Pendant une dizaine de jours, je n’ai pas eu besoin de regarder l’heure parce que chaque soir, aux alentours de 19h, je me mettais à pleurer sans pouvoir m’arrêter. En dehors du malaise généralisé qui m’étreignait, il n’y avait pas de raison particulière pour l’ouverture des vannes lacrymales, juste des larmes qui arrivaient toutes seules et repartaient après 30 minutes à 2h de sanglots.

Quand j’y repense, je suis incroyablement reconnaissante à celui qui est aujourd’hui mon mari d’avoir été un soutien sans faille, même si à certains moments, il m’a confié être complètement désemparé face à la magnitude de ce que je ressentais. J’ai la chance de venir d’une famille de médecins, qui ont pu m’entourer et me prescrire un anxiolytique léger, et après environs deux semaines la tête dans un nuage noir et poisseux, j’ai commencé à aller mieux.

Jusqu’à la crise suivante de trouble dysphorique prémenstruel. Aujourd’hui, cela me semble fou, mais au final, il m’aura fallu plus d’un an pour comprendre ce qui m’arrivait, malgré la régularité (et la périodicité) des crises, parce que je me convainquais que je tirais juste trop sur la corde. J’exerce le job de mes rêves, passionnant mais aussi très prenant, tout en gérant des projets personnels qui m’occupent beaucoup, la rénovation d’une maison et la gestion d’une famille étendue pas toujours simple, avec tout ce que cela peut entraîner comme pics de stress, manque de temps, et donc, alimentation pas toujours au top. Autrement dit: à chaque fois que les symptômes revenaient, il y avait toujours bien une autre cause à blâmer. Jusqu’à ce que je lise un livre fascinant sur les nourritures ultra-transformées, que je décide d’arrêter d’en manger ainsi que d’arrêter de boire de l’alcool dans la foulée et que, les idées ainsi éclaircies, je finisse par percuter que c’était à chaque fois au même moment de mon cycle que je me sentais aussi mal.

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Une recherche Google de « dépression + règles » et une conversation avec une gynécologue plus tard, le diagnostic tombait: trouble dysphorique prémenstruel. Si je devais décrire ce qui m’arrive, c’est comme si mon cerveau était pris en otage 10 à 15 jours par mois. Durant cette période, je suis assaillie de pensées hyper intrusives et négatives, qui vont de « tu es nulle à pleurer, tu vas te faire virer » à « tu es horrible et pénible et ton mari va te quitter » en passant par des interrogations déprimantes sur le sens de la vie… Le tout, en boucle, jusqu’à ce que ce mal-être profond disparaisse quelques jours après la fin de mes règles.

La mauvaise nouvelle? À l’heure d’écrire ces lignes, il n’existe pas encore de traitement du trouble dysphorique prémenstruel, mais en fonctionnant par essai-erreur, en me documentant énormément sur le sujet et en en parlant avec les médecins de mon entourage, j’ai pu mettre au point quelques mécanismes de survie. Déjà, puisque je sais que je vais me sentir mal à l’approche de mes règles, et que j’ai malheureusement une idée assez précise de la bande-son horrible qui va prendre mon cerveau d’assaut, à chaque nouvelle invasion, je me répète calmement, en respirant profondément, que mes pensées ne sont pas des faits.

Ensuite, même si c’est ultra tentant de me dire que je vais mal et que j’ai bien mérité de me récompenser avec un petit apéro des familles / du binge-watching d’épisode / un grand verre de soda bien frais, j’ai remarqué que maintenir une bonne hygiène de vie était la clé pour garder les symptômes plus ou moins sous contrôle. Même si c’est la dernière chose que j’ai envie de faire, je fais du sport dès le réveil, je suis hyper attentive à ce que je mange et je veille à aller me coucher tôt et à boire encore plus d’eau que d’ordinaire. Je suis convaincue qu’avoir arrêté de boire de l’alcool contribue aussi à maintenir ma santé mentale plus ou moins stable durant cette période compliquée, mais j’espère que prochainement, un traitement un peu plus efficace sera développé.

Quand on parle de syndrome prémenstruel, on tombe vite dans les clichés hyper éculés de la « bonne femme » à qui on demande à grand renforts de rires gras si elle est réglée dès qu’elle est un peu irritable, mais la vérité, c’est que c’est incroyablement handicapant, surtout quand il s’agit du trouble dysphorique prémenstruel. Donner le change demande un effort énorme, et savoir qu’on a à peine le temps de souffler que déjà, la fin du cycle approche et il faut à nouveau batailler, est épuisant moralement. Je suis soulagée d’avoir pu mettre en place une série de mécanismes me permettant d’être le moins affectée possible par ces symptômes ultra pénibles, mais je ne pourrai véritablement souffler que quand j’en serai véritablement débarrassée, et j’espère ne pas devoir attendre l’arrivée de la ménopause pour ça ».

Le trouble dysphorique prémenstruel, kézako?

D’après le Manuel Merck de diagnostic et thérapeutique, il s’agit d’une forme sévère de syndrome prémenstruel, avec des symptômes qui se produisent régulièrement et seulement pendant la 2e moitié du cycle menstruel et se terminent avec les règles ou peu après. L’humeur est nettement déprimée avec une anxiété, une irritabilité et une labilité émotionnelle importantes. Des idées suicidaires peuvent être présentes. L’intérêt pour les activités quotidiennes est fortement diminué.

Pour que le diagnostic soit établi, les femmes doivent présenter au moins 5 des symptômes suivants (qui sont minimaux ou absent durant la semaine suivant la menstruation) pendant la plus grand partie de la semaine précédant les règles:

1) Sautes d’humeur marquées (p. ex., sentiment de tristesse soudaine)
2) Irritabilité ou colère marquées ou une augmentation des conflits interpersonnels
3) Humeur dépressive marquée, sentiments de désespoir ou d’auto-dépréciation
4) Anxiété et tension marquées, ou nervosité
5) Diminution de l’intérêt pour la vie quotidienne, qui peut-être cause de retrait
6) Difficultés de concentration
7) Faible énergie ou fatigue
8) Modifications marquées de l’appétit, suralimentation, ou fringales spécifiques
9) Insomnie ou hyperinsomnie
10) Sentiment d’être submergée ou de perdre le contrôle
11) Symptômes physiques associés au syndrome prémenstruel (p. ex., douleur du sein, œdème)

Si vous vous reconnaissez dans ces symptômes, qu’ils ont eu lieu pendant la plupart des 12 mois précédents et qu’ils sont graves au point de perturber les activités et fonctions quotidiennes, prenez contact avec votre gynécologue, votre médecin traitant ou un professionnel de la santé mentale.

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* pseudonyme.

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