« Un cadeau n’est jamais « juste » un cadeau », ou pourquoi un présent à côté de la plaque fait si mal

Pourquoi les cadeaux ratés nous affectent tant - Getty Images
Pourquoi les cadeaux ratés nous affectent tant - Getty Images
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Qui dit fêtes de fin d’année dit cadeaux, des emballages déchiquetés au pied du sapin aux étrennes offertes pour bien commencer janvier. Autant d’occasion de se faire gâter, donc, mais aussi, d’avoir de mauvaises surprises. Lesquelles, parce qu’un cadeau n’est jamais juste un cadeau, peuvent causer bien plus de peine qu’on ne pourrait le penser.

Le papier, légèrement irisé comme le veut la saison, avait été plié et collé dans les règles de l’art. Le ruban, soumis à quelques passages sur la lame d’un ciseau, formait un joli pompon métallisé. Tout s’annonçait si bien, mais malheureusement, on ne peut pas plus juger un cadeau à son emballage qu’un livre à sa couverture. Et en l’occurence, une fois celui-ci joyeusement déchiré (ou délicatement ouvert, selon le camp auquel vous appartenez) vous devez bien vous rendre à l’évidence: le paquet, aussi esthétiquement plaisant soit-il, renfermait un cadeau pourri.

Dans le meilleur des cas, vous vous rappelez le temps lointain du Bigdil, et la déception des candidats ayant succombé aux cris de « Le rideau! Le rideau! » et voyant leur espoir de remporter une voiture réduit à néant (avec un lot grotesque en guise de consolation). Pire, mais plus probable: plutôt que d’avoir la nostalgie du PAF des années 2000, la découverte du cadeau complètement à cadeau de la plaque qu’on vient de vous offrir suscite en vous un cocktail de tristesse et de colère.

Mais pourquoi, au fond? Après tout, c’est « juste » un cadeau, non? Et bien non, justement, expliquent Jennifer Moers et Sarah Denis. Toutes deux originaires de Liège, où elles reçoivent leur patientèle, elles sont respectivement psychologue clinicienne et sexologue, et ont accepté de répondre à nos questions de saison. À commencer par la plus pressante, peut-être…

Pourquoi les cadeaux ratés suscitent-ils des sentiments si vifs?

« Chez certaines personnes, recevoir un cadeau, même symbolique, peut activer des attentes émotionnelles importantes » pointe Jennifer Moers. La faute aux langages émotionnels de chacun et chacune: si l’un de vos langages de l’amour est celui des cadeaux (plutôt que des mots d’affirmation ou des actes de service, par exemple) quand vous recevez des « cadeaux ratés », puisque ceux-ci sont « perçus comme une représentation manifeste de l’attention ou de l’affection qu’une personne nous témoigne, quand ils sont décevants, ils sont vus comme le reflet d’un manque de respect, de considération ou d’implication de la part de celui qui offre. En poussant le raisonnement jusqu’au bout, cela peut même être interprété comme un signe de désintérêt ou de désamour » décrypte la Liégeoise.

« En outre, le sentiment de gêne, d’incompréhension peut même s’accentuer si d’autres personnes présentes reçoivent des cadeaux qui semblent plus adaptés ou attentionnés, cela peut amplifier le sentiment d’être moins considéré que le reste du groupe »

poursuit-elle.

Et d’ajouter que « dans le contexte particulier des fêtes de Noel et toutes les pressions et les attentes qui l’entourent, un cadeau mal choisi peut déclencher des réactions que peuvent sembler disproportionnées ».  

Et notre sexologue, elle, qu’en dit-elle? Pourquoi peut-on ressentir tellement de colère ou de tristesse envers notre moitié s’il s’avère que son cadeau n’est pas à la hauteur de celui auquel on s’attendait?

« Un cadeau, surtout dans le cadre d’une relation amoureuse, représente bien plus qu’un simple objet. Il est chargé symboliquement pour la plupart d’entre nous: il témoigne de l’attention, du temps, de l’énergie et de la compréhension que notre partenaire investit envers nous. Ce n’est jamais « juste un cadeau » : c’est un reflet de ce que l’on perçoit de l’attention et de l’amour que l’on reçoit dans la relation »

liste Sarah Denis.

Qui explique que « lorsque le cadeau ne correspond pas à nos attentes, nous avons parfois tendance à interpréter cela comme un manque d’attention à ce que l’on dit et à ce qui nous fait plaisir, un manque de connaissance de nos goûts personnels, un manque d’investissement dans le couple, (surtout si à l’inverse on a passé des heures à chercher le cadeau parfait pour son partenaire). L’intensité de la déception teintée de colère que l’on ressent à la réception d’un bon cadeau pourri, va dépendre aussi de notre histoire personnelle, et plus particulièrement, des manques, des blessures émotionnelles vécues ».

Comprendre: « Si on a vécu dans son enfance une carence affective avec cette croyance que nos besoins étaient pas importants, on va peut-être être davantage blessé. Si on a peur d’être incompris et ne jamais trouver une personne qui nous correspond, on peut prendre le cadeau pourri comme un signe d’incompatibilité avec notre partenaire. Et de cadeau naze, on vrille sur des questionnements sur l’avenir de notre couple »

Dans les cas les plus extrêmes, on en vient parfois à se dire que c’est « fait exprès », ou du moins, que la personne n’a vraiment mis aucune intention dans son cadeau… Mais est-ce forcément le cas?

« Non! » répondent les deux thérapeutes en choeur.

« Un cadeau raté n’est pas nécessairement le signe d’une insensibilité flagrante ou d’un manque d’amour, mais plutôt d’un décalage dans les façons de s’exprimer » nuance ainsi Sarah Denis Moers. « Il se peut donc que votre partenaire soit plus doué pour cuisiner le soir, se blottir contre vous dans le divan ou encore envoyer des messages mignons que pour trouver LE cadeau génial ».

« Il y a aussi un détail que l’on oublie souvent : on n’est pas toujours clair sur ce qu’on veut. Parfois, on s’attend à ce que l’autre devine nos envies d’un simple regard ou, pire, à travers une conversation énigmatique six mois plus tôt (« Oh, ce truc est trop cool j’adoooore… »). Puis, quand le message subliminal ne passe pas, on râle. Soyons honnêtes : si notre partenaire n’a pas de don de télépathie, ce n’est pas forcément la faute de Cupidon »

sourit la sexologue.

Qui rappelle que « la manière dont une personne perçoit les cadeaux peut aussi entrer en jeu. Si elle a grandi dans un environnement où les cadeaux étaient une façon maladroite de compenser un manque d’amour ou d’attention (« Tiens, un vélo, oublie que je ne serai pas là au spectacle de fin d’année »), elle peut avoir une relation plus distante ou ambivalente avec cet acte ».

« Il peut aussi y avoir des freins personnels liés à notre fonctionnement. Par exemple, une personne anxieuse ou perfectionniste, peut être paralysée à l’idée de mal choisir, peut finir par opter pour un cadeau banal (voire bizarre) juste pour éviter de se planter » complète-t-elle.

Et sa consoeur d’ajouter que « plusieurs raisons peuvent expliquer un cadeau perçu comme étant « raté », et toutes ne traduisent pas un manque d’attention ».

Comme le liste Jennifer Moers, il peut s’agir d’une question de manque de temps ou de ressources, de stress de performance (« certains sont tétanisés à l’idée de mal choisir, ce qui peut être contre-productif et les amener à faire le mauvais choix ») ou encore de différence de perception: « ce qui semble « raté » pour le destinataire peut avoir une grande valeur pour celui qui offre. Par exemple, un objet artisanal ou humoristique peut être vu comme un beau cadeau par celui qui le donne. D’ailleurs, précisément dans ces cas là, souvent les personnes ont passé du temps à trouver ledit cadeau ce qui traduit un réel investissement même si cela ne plait pas ».

Et la psychologue de suggérer que « si le cadeau vient d’une personne que l’on estime proche, ou si l’on n’est pas trop fan des surprises et prises d’initiative en tout genre, il peut être intéressant de fonctionner avec une liste d’envies. Cela permet de guider ou de donner des idées aux proches, et d’éviter ainsi les malentendus ». Même si… « On ne peut pas exclure que la personne qui offre soit effectivement peu concernée, ou peut-être même un peu taquine et dans la provocation. À nouveau, je ne pense pas que cela soit dans un but de vraiment faire « mal », mais nous n’accordons pas tous la même importance aux valeurs de Noël et nous n’avons pas la même lecture des choses. Certains considèrent les cadeaux comme un geste symbolique où on peut faire un petit clin d’œil, tandis que d’autres les investissent d’une forte charge émotionnelle ».

Voilà qui permet de mieux comprendre pourquoi Machine offre toujours des bibelots horribles, mais pas forcément de mieux gérer la déception au moment de les découvrir…

Alors comment peut-on garder la tête froide au moment du déballage, même si on n’aime (vraiment) pas ce qui se cache dans le paquet?

Jennifer Moers recommande de « se rappeler au préalable ce que représente Noël à nos yeux et les valeurs que l’on a envie d’honorer à ce moment. Une attitude plus légère, où l’on se dit que la partie des cadeaux n’est qu’un aspect des festivités, permet de prendre du recul sur la situation. Il peut être intéressant de voir cela comme un bonus : si le ou les cadeaux plaisent, tant mieux ; si cela n’est pas le cas, ce n’est pas bien grave car le focus a été mis sur d’autres aspects ».

De manière plus concrète, « afin d’éviter tout malaise durant la soirée », elle recommande 4 stratégies à mettre en place.

  1. Changer de perspective et se placer dans le cadre de référence d’autrui.

    « On se concentre sur l’intention derrière le cadeau, plutôt que sur l’objet lui-même. Même un cadeau raté peut être une preuve d’effort ou de volonté de partage  même si nous ne partageons pas les mêmes gouts, les valeurs de partage peuvent être communes. On se rappelle aussi que l’autre personne n’a probablement pas voulu mal faire, et qu’il est important de ne pas prendre personnellement les choses ni de s’offusquer. Si le contexte s’y prête, rien n’empêche de demander à la personne ce qui a guidé son choix et pourquoi elle a pensé à vous en offrant cela, ce qui permettra peut être d’activer un peu d’empathie et de vous décentrer en allant à la rencontre de la démarche de l’autre et de se départir de fausses idées ».
  2. Adopter une réponse bienveillante

    « On remercie sincèrement la personne, parce que même si l’objet ne plaît pas, on peut apprécier le geste et l’intention. Cela permet de cultiver la gratitude et l’aspect humain est peut être plus important que le bien en tant que tel ». 
  3. Gérer ses émotions

    « Si la déception est au rendez-vous, respirez profondément et rappelez-vous que ce n’est qu’un objet, et qu’il y a bien pire que de recevoir quelque chose qui ne vous plaît pas.Essayez de relativiser : ce cadeau ne définit pas votre valeur ni la relation que vous avez avec la personne, cela témoigne simplement du fait que nous avons tous des perceptions différentes ».
  4. Détourner l’attention

    « Il ne sert à rien de s’attarder sur le moment. Après avoir dit merci pour le cadeau, il peut être de bon ton d’orienter la conversation vers quelque chose de positif ».

Et si « une mauvaise intention est suspectée, si le cadeau est volontairement moqueur ou blessant, alors dans ce cas, il conviendra d’en parler calmement avec la personne concernée au moment voulu ». Lire: pas le soir du réveillon, histoire de ne pas entamer le 25 décembre ou la nouvelle année avec une gueule de bois, une crise de fois, et une petite dispute des familles pour tasser tout ça.

D’autant plus qu’il « est toujours possible de trouver un usage inattendu à un cadeau, même « nul ». Qui sait peut être que cet épisode rejoindra le palmarès des anecdotes cocasses à raconter aux diners familiaux » sourit Jennifer Moers.

Tandis que pour Sarah Denis, il s’agit également de prendre une distance bienvenue.

« Avant de tirer des conclusions hâtives, prenez un moment pour vous demander : « Est-ce que ce cadeau remet réellement en question l’amour ou l’engagement de mon partenaire, ou est-ce simplement un faux pas ? ». Vous pouvez remerciez l’autre et faire preuve de curiosité pour savoir d’où vient son inspiration pour le cadeau »

invite-t-elle.

« Vous pouvez alors introduire vos attentes pour un futur cadeau, en les expliquant et en détaillant quoi cela correspond à vos besoins. « Je préfère un truc pas cher mais qui me rappelle un bon souvenir qu’on a vécu ensemble par exemple ou en lien avec mes hobbies que un bon cadeau. Ca me fait ressentir que tu me connais, que tu sais ce qui me fait plaisir. Et si tu as un doute, demande-moi. ». Gardez en tête qu’un cadeau ne résume pas toute la relation. Un faux pas ponctuel n’annule pas tous les autres gestes d’amour et d’attention que votre partenaire peut manifester » rappelle encore la sexologue.

Qui conclut en soulignant qu’ au « pire du pire, ce sera un sujet de discussion ». Il n’y a pas de cadeaux ratés, juste des opportunités.

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