C’est quoi le trauma dumping et comment savoir si quelqu’un vous prend comme déversoir

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Êtes-vous victime (ou coupable) de trauma dumping sans le savoir? Getty Images
Kathleen Wuyard
Kathleen Wuyard Journaliste & Coordinatrice web

Il y a des gens qu’on voit à reculons, parce que chaque interaction se transforme en litanie de plaintes et de griefs. Un phénomène qui porte un nom, le trauma dumping, et qui consiste à prendre son entourage pour un déversoir. Jusqu’à ce que la coupe soit pleine? Décryptage et pistes pour s’en sortir.

Peut-être s’agit-il d’une amie d’enfance, de votre (belle-)mère, d’un collègue de bureau ou encore d’un de ces ex avec qui vous demandez bien pourquoi vous avez décidé de garder le contact. Qu’importe l’identité de celui ou celle qui l’incarne, le rôle est toujours le même: cette personne va mal. Très mal. Pour le dire autrement: rien ne va bien. Pardon, les deux sont synonymes? Qu’à cela ne tienne, il s’agit pour vous d’écouter, en boucle, votre interlocuteur vous peindre 50 nuances de gris, chaque problème étant, par définition, insurmontable, et chaque contrariété, aussi infime soit-elle, un affront à ressasser ad nauseam. Ces interactions vous laissent quelque peu sous le choc? Pas étonnant: vous venez d’être victime de trauma dumping, soit, en français dans le texte, de servir de déversoir humain à quelqu’un pour qui les relations sociales font office d’exutoire.

Comme si, en se déchargeant de toute sa souffrance verbalement, on pouvait l’alléger en transférant un peu de son poids sur la personne avec laquelle on en parle. Problème, cette dernière joue souvent ce rôle de vase communicant à son corps défendant, et se retrouve ensuite aux prises avec une douleur dont elle sait d’autant moins quoi faire qu’elle ne lui appartient pas.

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Maux de corps

« À chaque fois que je vois ma mère, je ressens un contrecoup physique » confie ainsi une victime de trauma dumping que nous appellerons Justin pour les besoins de cet article (et de la protection de son anonymat). « Quel que soit le moment où je la vois, tout va toujours mal: mon père, dont elle est séparée, est un salaud, tout comme les autres hommes – d’ailleurs, si elle reste célibataire, c’est de leur faute. Ses copines sont des sorcières, ses voisins, des malappris et ne la lancez pas sur le sujet de ses enfants, des ingrats. Quand elle a des choses à faire, elle se plaint d’être débordée, mais si son agenda est plus vide, c’est la catastrophe parce qu’elle est abandonnée. Bref, chaque chose est sujet à plainte, et pas de chance, elles sont toutes pour ma pomme ».

Pas de chance pour Justin, il est le déversoir favori de sa mère, et l’incarnation du cas classique de trauma dumping. Ainsi que l’explique la psychologue américaine Kia-Rai Prewitt, qui étudie le phénomène au sein de la Cleveland Clinic, bien qu’il ne s’agisse pas d’un terme clinique, la pratique désigne l’acte de partager à outrance pensées et émotions négatives avec les autres, le plus souvent, à des moments inopinés.

C’est, par exemple, votre collègue qui décide en plein repas à la cantine de vous détailler son divorce compliqué, ou bien belle-maman, qui se dit que le réveillon de Noël est le moment parfait pour détailler à quel point sa vie est pénible, sans laisser la parole à qui que ce soit d’autre. « Dans les situations de trauma dumping, la personne qui reçoit les griefs de l’autre se sent souvent submergée mais aussi impuissante, parce qu’elle ne sait pas bien comment répondre à ce barrage de négativité, voire même, elle n’a pas l’opportunité de tenter ne fût-ce qu’une réponse » explique encore le Dr Prewitt. C’est ainsi qu’après chaque coup de fil ou rendez-vous avec sa mère, Justin se surprend à avoir le dos noué et la mâchoire douloureuse d’avoir été trop serrée, « parce que ça me demande un effort physique d’encaisser tout ce qu’elle me raconte. Par le passé, j’essayais d’apporter des éléments de solution, ou au moins, de lui faire voir le positif, mais ça ne sert absolument à rien ».

« Dans les situations de trauma dumping, la personne se sent impuissante car elle ne sait pas comment répondre à ce barrage de négativité ».

Heurts partout, balle au centre

Pour la psychologue et thérapeute familiale Nelisha Wickremasinghe, la prévalence actuelle de ce type de comportement peut s’expliquer par une tendance sociétale à encourager les émotions exacerbées. À travers le prisme déformant des écrans, la retenue ne suffit plus, étouffée qu’elle est par une approche maximaliste du moindre ressenti: adieu, la notion de milieu, tout est ou noir ou blanc, génial ou atroce, drôlissime ou tragique, superbe ou horrible… Là où, par le passé, une forme de réflexion et de modération pouvait encore être encouragée, désormais, tous les stimuli auxquels nous sommes exposés nous poussent à aller vers les extrêmes – en ce compris dans notre manière de gérer nos ressentis.

Et si le trauma dumping est particulièrement pénible pour les déversoirs, qu’on ne s’y trompe pas: c’est tout aussi désagréable pour celles et ceux qui ont recours à la pratique. « C’est problématique pour toutes les personnes impliquées, parce que ce type de discours et de comportements stimulent une partie de notre système nerveux qui va inonder notre corps d’hormones et de produits chimiques pour nous garder ultra-vigilants. Revenir à un état normal prend du temps, parce qu’il faut littéralement se libérer de cet afflux physiologique » explique Nelisha Wickremasinghe. Qui compare le phénomène à celui du binge-drinking: « On se sent bien sur le moment, mais les effets négatifs se font ressentir longtemps après et sont très douloureux. La personne qui a ‘dumpé’ sa souffrance peut ressentir de l’anxiété en réalisant que ça n’a diminué en rien sa douleur, ainsi que de la honte et de la culpabilité d’avoir partagé trop de détails intimes ».

« Docteur, c’est du trauma dumping? »

Oui, mais parfois, ça fait du bien de se plaindre, non? Comment déterminer où s’arrête un bon vieux vidage de sac cathartique et où commence le trauma dumping? D’après les experts en santé mentale (et les différentes clés dichotomiques relatives à la problématique) tout est une question de timing – et de proportion.

Faire part de ses frustrations à quelqu’un, tout en lui laissant la possibilité de partager les siennes et en prenant ses responsabilités, ainsi qu’en étant ouvert à d’éventuelles solutions? Pas de problème, on est dans une forme d’évacuation saine. Par contre, là où cela se transforme en déversoir, c’est si l’autre ne peut pas en placer une, que chaque possibilité de résolution est immédiatement dégagée, que le partage s’étire sur la longueur et se perd dans les détails, ou qu’il a lieu à un moment tout sauf approprié. D’autres signes qui ne trompent pas? Tout est toujours de la faute des autres (voire, la vôtre), le feedback constructif est perçu comme une attaque, les mêmes sujets sont rabâchés sans cesse et la personne ne fait preuve d’aucune considération envers le temps que vous lui accordez, toute concentrée qu’elle est sur son malheur – et tant pis si sa tirade dure des heures.

Comment arrêter la décharge

Cette description vous est douloureusement familière et comme Justin, vous réalisez que vous avez un·e spécialiste du trauma dumping dans votre entourage? Cela vous fait une belle jambe, vous dites-vous. Sauf que contrairement à ce que le sentiment d’impuissance ressenti lors de ce type d’interaction pourrait laisser penser, des pistes existent pour s’en libérer.

Première étape: cadrer la conversation. La tactique n’est certes pas infaillible, mais en prévenant d’emblée qu’on ne dispose que d’un laps de temps assez bref, on se protège a priori d’un déversement qui tire sur la longueur. Autre élément important: être acteur du changement de dynamique. Si on souffre de la tendance de l’autre au trauma dumping, mais qu’on accepte d’écouter ses problèmes, voire qu’on tente systématiquement d’y apporter des solutions, on se maintient dans un rôle qui ne nous convient pas. En limitant ses réactions à de la compassion ou une interrogation sur comment l’autre compte gérer la situation, plutôt que de s’impliquer directement, on change la dynamique et on pousse délicatement la personne à apprendre à gérer ce qui lui arrive.

Si le trauma dumping est si (mentalement et physiquement) drainant, c’est parce qu’il implique le plus souvent de porter le poids de la souffrance de l’autre en plus de la sienne. En posant des limites, qu’elles soient temporelles ou concrètes, on se protège. Même si cela peut être inconfortable, il est donc conseillé d’exprimer clairement à l’autre jusqu’à quel point on se sent disposé à l’aider – et de lui dire si ces interactions déséquilibrées nous font souffrir.

Et si on est celui qui déverse? Pour en prendre conscience, il est important de se poser une série de questions. La plupart de vos conversations tournent autour de vous? Vous appelez directement telle ou telle personne en cas de problème parce que vous savez que vous avez en elle une oreille attentive? Cette personne semble frustrée, stressée ou tout simplement dépassée par ce que vous lui racontez? Les gens ont tendance à prendre leurs distances avec vous, et vous regrettez souvent de vous être trop livré·e? Si vous répondez « oui » à ces questions, il est fort probable que vous vous rendiez coupable de trauma dumping. Bonne nouvelle: ce n’est pas une fatalité.

Raison et sentiments

Les comportementalistes du réseau de cliniques dédiées à la santé mentale Banyan ont ainsi rassemblé une série de pistes à explorer pour se libérer (ainsi que son entourage) d’une tendance à prendre les autres pour des déversoirs. Parmi celles-ci, on retrouve notamment le recours à un journal, pour pouvoir déverser tout ce qu’on ressent, aussi négatif que cela soit, sans surcharger personne, mais aussi la pratique du sport, pour évacuer cette négativité d’une autre manière, ou encore le suivi thérapeutique. Parce qu’après tout, « la majorité des gens qui s’adonnent au trauma dumping traitent leurs proches comme des thérapeutes: ils veulent que la conversation tourne uniquement autour d’eux et ne cherchent pas tant une solution concrète à leurs problèmes que l’opportunité d’en parler, sans se soucier de ce que cela suscite chez l’autre, ce qui est extrêmement dommageable pour leurs relations avec les proches en question. La solution pour l’éviter est de consulter un vrai thérapeute, lequel est formé à recevoir les ressentis négatifs de ses patients et à les accompagner au mieux à travers une douleur parfois pas toujours simple à naviguer ».

Certes, contrairement à une conversation avec un membre de votre entourage, le suivi thérapeutique n’est pas gratuit, mais préserver la qualité de vos relations avec vos proches n’a pas de prix…

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