Et si vous n’étiez ni Zèbre ni HP mais juste pénible? Quand l’autodiagnostic freine le progrès

comment savoir si je suis zèbre
Et si on arrêtait de s'autodiagnostiquer zèbre ou HP? Getty Images
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Vous l’aviez toujours trouvée un peu pénible, cette amie d’amis. Maintenant, elle l’est tout autant, mais elle clame à tout va que c’est parce qu’elle est « zèbre », ce qui n’arrange rien, d’autant que ce label ne lui a pas été accolé par un professionnel de la santé mais par elle-même. Et il en va de même pour les HP, voire, dans certains cas, des personnes qui s’affirment autistes ou pourvues de personnalités multiples.

Des troubles ainsi autodiagnostiqués, comme nous le confie un psychiatre qui préfère garder l’anonymat vu la sensibilité du sujet (et sera donc désigné sous le pseudonyme de Dr X dans ce reportage), il en voit de plus en plus dans son cabinet. Celles et ceux qui s’en revendiquent ne lui laissent d’ailleurs parfois même pas le temps de leur demander ce qui les amène que déjà, ils se lancent dans une tirade au sujet de l’étiquette qu’ils se sont apposée, qu’ils soient ‘zèbre’, ‘haut potentiel émotionnel’ (HPE) ou autre.

Une approche qui les « trahit » d’emblée, car ainsi qu’il le précise, « à part certains cas précis de maladies mentales telles que la schizophrénie ou les troubles bipolaires, par exemple, on ne va que peu voire pas dire à nos patients qu’ils sont ceci ou cela. En outre, des termes tels que zèbre ou HP ne correspondent pas à un diagnostic médical » pointe celui qui dénonce le « business juteux » derrière ces troubles à la mode, entre centres de diagnostic, accompagnement par des professionnels plus ou moins qualifiés et véritable mine d’or pour le secteur de l’édition.

Une simple recherche sur la plateforme en ligne de la Fnac révèle ainsi pas moins de 96 titres contenant le terme « haut potentiel », de L’équilibre naturel du zèbre, un « guide d’épanouissement intégral pour les hauts potentiels intellectuels et sensibles » à Femme atypique, un manuel pour aider les personnes « hypersensibles, haut potentiel ou TDAH » à « faire la différence au travail », en passant par Douance, une boîte à outils pour « accompagner le haut potentiel chez l’enfant » et Je ne suis pas un âne, je suis un zèbre, un « conte pour aider les enfants haut potentiel à s’aimer ».

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Et si, a priori, on peut comprendre que d’aucuns choisissent de s’accoler cette étiquette dénotant, comme son nom l’indique, des capacités supérieures à la moyenne, l’engouement, si on peut le qualifier ainsi, est le même pour d’autres appellations « à la mode », de zèbre à « sur le spectre autistique » (« une hérésie, puisque par définition, si on parle de spectre, on est tous dessus » sourit le Dr X) sans oublier des pathologies plus lourdes, telles que le trouble dissociatif de l’identité (TDI).

Qui cartonne sur TikTok, où les vidéos de personnes affirmant passer en live d’une de leurs personnalités (dites « alters ») à l’autre sont légion et comptabilisent des centaines de millions de vues. Une visibilité qui n’aide pas les personnes vraiment atteintes des maladies mentales en question, au contraire.

@chameleonteam

#dissociativeidentitydisorder #didsystem #dissociativedisorder #alters #LiveForTheChallenge #fyp

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Miroir aux alouettes ou miroir déformant?

Le Dr X prend ainsi en exemple une jeune patiente TDI qui évoquait la prévalence de ces capsules sur TikTok (populaires, certes, mais dont la majorité des représentations ne sont pas du tout fidèles à la réalité) et les effets que cela avait sur son quotidien. Des effets doublement délétères, « d’abord, parce que vu que la plupart de ces vidéos sont mises en scène, elles ne correspondent pas du tout à la réalité de la maladie, ce qui a retardé le moment où elle a réalisé qu’elle en souffrait, alors même qu’elle était régulièrement exposée à ce contenu sur les réseaux. Et ensuite parce que son entourage, qui les voit passer aussi, a désormais d’elle l’image déformée et théâtrale véhiculée par ces capsules depuis qu’elle a fait part de son diagnostic ». Malgré un flux continu d’information, ou plutôt justement à cause de lui, distinguer le vrai du faux est plus complexe que jamais, avec des conséquences regrettables pour les malades qui ne sont pas imaginaires.

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S’il ne s’agit pas d’une maladie mais plutôt d’un trouble, reste que le fils de notre journaliste Amélie Micoud a bien été diagnostiqué d’un TDAH (trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité). Un label « à la mode », avec tout ce que ça charrie de négatif. « À des personnes qui, comme nous, avons un « vrai diagnostic », ces modes peuvent nuire quand on souffre déjà suffisamment au quotidien d’une non reconnaissance par certains champs de la santé mentale (la psychanalyse notamment) qui utilisent justement cet argument du « à la mode ». Sur Facebook, il existe pléthore de groupes dédiés, aux noms parfois comiques, qui mélangent tout: les troubles du neurodéveloppement (tdah, tsa…), les caractéristiques d’un individu comme le HP (qui, pour rappel, n’est pas un trouble), certains pseudo-diagnostics comme le HPE ou l’hypersensibilité qui ne reposent sur absolument rien de fondé scientifiquement et se font par pure interprétation subjective (aucun test ni grille de critères qui ne fait consensus), voire qui flirtent carrément avec l’ésotérisme ».

Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai lu des adultes dire qu’ils sont hauts potentiels ou TDAH parce qu’ils ont fait un test vite fait sur internet. Parfois, il peut s’agir d’une première étape vers une « vraie » démarche diagnostique. Mais bien souvent les gens sont confortés d’être HP ou autistes Asperger parce qu’ils ont des difficultés dans la vie et n’iront pas voir plus loin. Or il faut se méfier de l’effet Barnüm: lorsqu’on accepte une vague description de la personnalité comme s’appliquant à soi. Tout le monde, dans l’absolu, peut se reconnaître dans certains traits du TDAH. Cela ne signifie pas pour autant qu’on souffre d’un TDAH. »

Amélie Micoud

Et notre journaliste d’ajouter: « Pour autant, je n’aime pas qu’on parle de « troubles à la mode ». Quand vous évoquez ce que vous vivez avec votre enfant et qu’on vous balance un « c’est un trouble à la mode ça », sous-entendu, « ça n’existe pas », c’est franchement pénible. Qui plus est quand la démarche diagnostique vous a coûté de nombreux rendez-vous avec différents spécialistes, qui restent eux-mêmes très prudents avec le diagnostic. Dans la réalité, on est bien loin du sensationnalisme des livres ou des séries sur le sujet, ou de ce que les gens fantasment! Et puis ce ne sont pas des troubles nouveaux. Ce qui a changé, c’est la méthode diagnostique et la façon d’envisager ces troubles, de les considérer socialement et même philosophiquement… Et bien-sûr, d’en faire un commerce sacrément lucratif. Je vois parfois des gens dépenser des sommes folles pour un test neuropsy, et ça devient problématique: nous avons fait tous les tests en structure hospitalière, mais des parents qui s’adressent à des pros en libéral sont parfois confrontés à des situations délirantes, où on leur demande plusieurs centaines d’euros pour faire passer un test de l’attention et/ou de QI à leur enfant, dans le cadre d’une démarche diagnostique qu’ils ne font, croyez-moi, pas de gaieté de cœur ».

Autre problème? « Même sans cette surabondance de diagnostics qui n’en sont pas vraiment, le réseau de santé mentale belge est déjà surchargé. On se retrouve donc dans des situations ubuesques, où les ‘vrais’ patients ne peuvent pas être pris en charge parce qu’il s’agit d’abord de faire le tri parmi tous les autres », dénonce le Dr X. Qui relate la mésaventure arrivée à cette consœur téléphonant à un centre de dépistage de l’autisme pour prendre rendez-vous pour un patient, et se voyant prévenir qu’il y avait 400 (quatre cents) personnes avant lui sur la liste. « Sur le moment, elle s’est demandée si ce n’était pas un patient du centre qui avait décroché et qui lui faisait une blague, mais la vérité est que tellement de gens ont besoin de pouvoir mettre un mot sur leur malaise que ça met les vrais malades en difficulté » décrypte encore notre psychiatre anonyme. Mais ce mot, que change-t-il au fond?

Zèbres, HP, TDI et autres victimes de la mode

Pour la psychiatre liégeoise Joséphine Dubois, ce besoin de labels peut être « le reflet d’une angoisse d’appartenance. Cela peut aussi dé-responsabiliser les individus de certains de leurs comportements inadéquats, ainsi qu’entretenir également une inertie, voire même une non-initiation du travail introspectif ».  En d’autres termes: ce n’est pas de ma faute, je suis … (insérer ici l’étiquette choisie). « On est le plus souvent face à des profils de gens qui ont besoin de s’identifier par quelque chose qui ne va pas, qui apprécient le côté ‘je suis malade, je suis unique' » ajoute le Dr X, aux premières loges pour assister aux effets de mode: « Le courant HP commence quelque peu à s’essouffler, même si on en voit encore plein en consultation, par contre, il y a quelques années encore, on ne voyait quasi pas de TDI, et désormais, il y en a beaucoup plus ».

« On vit dans une société très individualiste, où les gens souffrent énormément, avec toutes les répercussions que ça peut avoir. On est en perte de sens, tout va à une vitesse ahurissante, et rien ne permet que cette souffrance soit légitimée, donc c’est beaucoup plus simple de se dire ‘ce n’est pas moi qui ai un problème, je suis zèbre ou HPI’. Avec le danger qu’en rattachant ainsi sa souffrance à quelque chose, on la place à l’extérieur de soi et on se déresponsabilise ».

Dr X

Et la psychologue liégeoise Jennifer Moers de renchérir. Pour elle aussi, ce phénomène qu’elle qualifie de « labelling », répond à une série de besoins importants, entre besoin de sens, de cohérence, de contrôle mais aussi d’appartenance.

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« De toutes les espèces peuplant la terre, nous sommes assurément celle qui possède le cerveau le plus développé et complexe. Ce qui nous confère une capacité de réflexion importante, dont découle un besoin important d’expliquer et de catégoriser les choses » souligne celle à qui il « semble important de rappeler que le cerveau est programmé pour la survie. Le but est de perpétuer l’espèce et d’être le plus efficace possible, d’avancer et de préférence, pas à l’aveugle. Dans cette optique, l’être humain aime se coller des étiquettes car cela le rassure, ça lui donne une sensation de contrôle ».

« Il y a une forme d’illusion, on se dit que si nous comprenons les choses, nous savons, si nous savons, nous maîtrisons et si nous maîtrisons alors nous ne risquons rien. Cela explique en partie pourquoi nous avons tendance à nous enfermer dans des labels , des étiquettes et des diagnostics. Tout simplement car c’est apaisant, parce qu’en trouvant des réponses, il y a l’espoir d’apporter des solutions ».

Jennifer Moers

S’affranchir des étiquettes (et de la souffrance)

Et la Liégeoise de pointer que s’apposer une étiquette, quelle qu’elle soit, permet également de se sentir compris, d’appartenir à quelque chose de plus grand, et donc, d’être moins seul. Malheureusement, il s’agit-là d’un des seuls effets positifs de cette démarche selon elle.

« L’écueil du labelling, c’est qu’il nous clive et peut nous enfermer dans des conduites rigides où il n’y a plus de place pour l’expansion. C’est alors que la souffrance s’invite, car c’est la nature même de l’Homme d’évoluer et de fluctuer. À mon sens, il est primordial d’apprendre à unifier toutes les facettes de notre personnalité et de réconcilier des parties qui peuvent sembler opposées ».

Jennifer Moers

Le Dr X conclut quant à lui que l’important n’est pas de se dire « je suis ceci ou cela », mais bien « je me reconnais dans tels ou tels éléments qui semblent correspondre à ce label et cela génère chez moi une souffrance dont je veux me libérer. Cela peut s’appeler zèbre, haut potentiel émotionnel ou n’importe quoi d’autre: le nom n’a aucune importance. Ce qui compte avec le mal-être psychique, c’est de comprendre d’où il vient non pas en termes de diagnostic, mais bien en termes de ce qui fait dans notre système de valeurs et notre équilibre interne qu’il y a un malaise ».

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