En Toscane, une magnifique chambre d’hôtes tenue par des Belges
Carlotta et Kri ont tout abandonné en Belgique pour réaliser un rêve, celui d’ouvrir un gîte d’une grande beauté dans les montagnes de la Maremme toscane, en Italie.
Lorsque nous arrivons à Montegiovi, un minuscule hameau non loin de Castel del Piano, Charlotte et Kristof nous accueillent d’emblée. Ou plutôt Carlotta et Kri, comme les ont rebaptisés leurs nouveaux voisins. Lui est assis par terre, à l’ombre du portico qui entoure complètement leur Pavillon HV en forme de carré.
Comme nous, il contemple la vallée d’oliviers qui se déploie depuis la terrasse. En face se dresse le Monte Amiata, un volcan éteint connu pour sa terre fertile et la forêt de châtaigniers qui fait le bonheur des chefs étoilés et abrite de nombreux sangliers et chevreuils.
Récoltes locales
« C’est une montagne sacrée, depuis les Etrusques, avertit Kri. Parfois, la vue est si pittoresque qu’on a l’impression d’être dans un faux décor. Ou une carte postale des années 70. »
Dans la cuisine, nous retrouvons sa compagne, tout aussi bronzée que son mari. Elle prépare le pain à la farine de châtaignes qu’elle prévoit de servir le lendemain au petit-déjeuner, accompagné des fruits et légumes cultivés, récoltés et préparés par ses soins dans son potager synergique…
Le couple n’a pas seulement essayé de changer de vie. Tous deux autrefois employés, ils consacrent désormais leur temps et leur énergie à embellir également l’existence de ceux qui les entourent.
Un long chantier
Leur projet n’a toutefois pas été un long fleuve tranquille. Douze années se sont écoulées entre la formulation de leur souhait et la réalisation de leur rêve. « Les gens pensent que tout était déjà comme ça quand nous sommes arrivés ici.
Ils ne se rendent pas compte des efforts fournis ni des montagnes de doutes et d’angoisses qu’il a fallu braver avant même de commencer les travaux », insiste Kri.
Avant que GGA, un petit studio d’architecture italien qu’ils avaient repéré sur le site de The Cool Hunter, puisse commencer à construire le bâtiment, aujourd’hui primé, le couple a d’abord dû nettoyer l’oliveraie, totalement envahie par la végétation.
« Pendant deux ans, nous sommes venus en voiture chaque long week-end et durant les vacances. Armés de cisailles et d’un pied-de-biche, nous avons d’abord débarrassé les arbres, un par un, du lierre, des orties et des autres plantes envahissantes. Sous une pluie battante ou un soleil de plomb, juste tous les deux. »
Matières et artisans toscans
Leurs exigences se sont également révélées être de véritables défis. « Nous voulions absolument travailler avec des matériaux et des corps de métier de la région, dans un rayon de 10 kilomètres. L’artisanat est très riche ici, mais les opportunités sont rares.
Nous voulions y remédier. Mais cela ne correspondait pas aux habitudes des architectes. Nous avons cependant réussi ce défi à 90% », affirme le maître des lieux avec fierté.
Le couple a suivi une grande partie de la construction par appel vidéo. Ils se souviennent en riant de la barrière de la langue et des explications techniques données avec des gestes plus qu’avec des mots.
Les architectes et le fabricant de sol sont originaires de Rimini, les autres artisans sont issus de petites entreprises familiales du coin. La menuiserie de Giovanni et Veronica, la centrale à béton de Salvatore, l’entreprise de taille de pierre d’Orazio…
Pour que la maison s’intègre dans le paysage, cette dernière a extrait toutes les pierres du site même de la construction, les a taillées sur place et les a soigneusement assemblées pour former le mur sec qui encadre le toit.
La couleur de l’été
« Comme il ne s’agit pas de maçonnerie, des cavités et des crevasses apparaissent entre les pierres. Toutes sortes d’insectes, d’oiseaux et de chauves-souris viennent y nicher. Nous avons droit au joli ballet de tous nos colocataires », s’émerveille Kri. La sérénité et le bonheur qu’il dégage en racontant son quotidien sont contagieux.
Carlotta nous fait visiter l’intérieur, à commencer par la cuisine épurée en béton et son îlot central monumental en alu. Les céramiques rayées colorées, les légumes frais sur le plan de travail, mais surtout le sol apportent une touche toscane des plus chaleureuses.
« C’est la couleur de l’été », affirme-t-elle, avant d’expliquer comment le carreleur a obtenu cette teinte pour le sol. « En broyant de l’herbe séchée au soleil et en l’incorporant à la résine. Peu de gens maîtrisent cette technique, c’est pourquoi nous sommes allés le chercher à Rimini. »
Huit pièces se succèdent sur une plate-forme en béton autour d’un patio carré. Les vastes baies vitrées sont entrouvertes. Une légère brise fait danser les rideaux de lin. « Le patio est une invention toscane qui a été reprise par les Romains. La cour génère de l’air frais, que l’on peut diffuser dans toute la maison si l’on joue un peu avec les ouvertures des fenêtres. On s’abrite alors de la chaleur », souligne la propriétaire.
Le rêve de Jos
Elle traverse la salle à manger, où une table massive en béton s’élève du sol comme un autel, et pousse une à une les portes pivotantes en épicéa. Nous passons devant trois chambres et autant de salles de bains – dont deux pour les invités – et nous terminons dans le salon. Une photographie en noir et blanc est accrochée au mur. « C’est mon père, Jos. C’est lui qui nous a conduits jusqu’ici », dit-elle.
Elle nous parle de lui et de sa grand-mère Léontine. Ensemble, ils ont ouvert une épicerie à Herentals il y a septante ans. Elle s’est transformée en une grande boutique remplie de fins produits du terroir, Van Eccelpoel. « Il y a cinquante ans, il s’était déjà engagé à faire venir en Belgique les meilleurs vins, huiles, produits laitiers et viandes.
Il était tellement passionné que toutes nos vacances familiales étaient dédiées à sa quête. Il a même envisagé concrètement de s’installer à l’étranger pour y produire ses propres délices », confie notre hôte.
Mais le destin en a décidé autrement et le paternel est décédé dans un accident de voiture à 40 ans. Le cœur de Carlotta, alors âgée de 14 ans, s’est déchiré ce jour-là, et sa famille aussi.
Un nouveau départ
Des années plus tard, lorsque Carlotta et Kri, en couple depuis l’école secondaire, ont décidé de réaliser le rêve de Jos, leur entourage a réagi avec un enthousiasme contenu, même lorsque les recherches se sont concrétisées.
« Si vous voulez changer de vie à l’étranger, c’est souvent ça le plus difficile: trouver le soutien de votre entourage. L’instabilité effraie, constate le tandem. Votre voiture de fonction, votre emploi, votre maison, votre pension… Allez-vous vraiment tout abandonner? »
Ce stress est aujourd’hui derrière eux. Ils ont claqué des portes pour en ouvrir beaucoup d’autres. Ils ont vendu leur maison d’Anvers et son contenu, quitté leur job, rayé leur nom du registre de la population… « Rien ne me fera retourner en Belgique », ajoute Carlotta, qui apprécie manifestement sa nouvelle vie d’oléicultrice et d’agricultrice biologique.
Il y a quelques saisons, c’est avec émotion qu’ils ont proposé l’huile de leur première véritable récolte d’olives à Van Eccelpoel. L’étiquette portait la mention « Jos », en hommage à son père.
« L’huile a tellement de vertus. Elle m’a permis de me rapprocher d’une famille avec laquelle je n’avais eu aucun contact pendant des années, s’émeut l’Italienne d’adoption. Des personnes qui avaient connu mon papa m’ont envoyé des messages via Instagram lorsqu’elles ont découvert les bouteilles en rayons. Personne ne l’avait oublié. »
Une vie villgeoise
Depuis 2021, Carlotta et Kri peuvent se considérer comme des Montegiovis à part entière. Petit à petit, ils construisent leur réseau local. Lorsqu’ils ne sont pas occupés avec leurs hôtes, qu’ils ne travaillent pas dans le verger ou qu’ils ne cultivent pas le potager, tous deux sont à la recherche de spécialités de la région pour leurs proches. A l’instar de Jos dans le passé.
Et quand ils le peuvent, ils aident les artisans locaux à trouver du travail, comme lors du chantier de ce petit paradis terrestre. A un menuisier qui risquait de perdre son atelier, ils ont fait don de leur bois d’olivier, à partir duquel il a pu fabriquer des cuillères et des planches à pain. Grâce à eux, l’atelier de céramique de deux dames connaît aussi une nouvelle vie.
Quand nous nous promenons au village avec eux, et que nous rejoignons une tablée remplie d’habitants de la localité, nous ne pouvons qu’observer leur popularité. « Carlotta pourrait devenir bourgmestre », disent-ils. Le duo fait aussi l’unanimité auprès des personnes de passage, des Italiens et des étrangers qui poursuivent le même rêve. A ceux-là, ils offrent conseils et assistance.
« Nous essayons simplement d’apporter le soutien qui nous a manqué en Belgique, ici, autour de nous », explique Kri. La plupart des gens sont des gens bien, a écrit Rutger Bregman, et certains le sont encore plus que d’autres.
Charlotte ‘Carlotta’ Van Eccelpoel (47 ans) et Kristof ‘Kri’ Huysecom (50 ans)
Tous deux sont nés et ont grandi à Anvers, où ils ont travaillé comme employés.
Aujourd’hui, ils cultivent une oliveraie et une pépinière synergique à Montegiovi, dans la Maremme toscane.
Leur maison Pavillon HV, où ils proposent également deux chambres d’hôtes avec petit-déjeuner (entre 180 et 250 euros, par chambre par nuit, petit-déjeuner inclus), a fait partie de la sélection pour la Biennale d’architecture de Venise en 2021.
Avec Carlotta in Italia, ils souhaitent introduire divers produits régionaux dans notre pays. Leur propre huile d’olive Jos et une collection de céramiques en sont les premiers résultats. Ils sont présents chez Lourdon à Brasschaat et chez Van Eccelpoel à Herentals.
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