Changement de rythme en cuisine: 3 chefs racontent leur choix de fermer le week-end

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De plus en plus de chefs déplorent la difficulté de concilier vie privée et vie professionnelle. Certains tentent d’aller contre les codes du milieu et font le choix de fermer leurs portes le week-end.

Dans l’imaginaire collectif, la vie d’un cuisinier ou d’une cuisinière, ça ressemble à ça: cuisine matin, cuisine midi, et cuisine soir. La cuisine à toutes les sauces quoi. Parce qu’un passionné, ça ne compte pas ses heures. Néanmoins, une petite chose appelée Covid-19 est venue rebattre les cartes. Pendant que certains découvraient la culture du levain, d’autres se mettaient au crochet quand d’autres encore occupaient leurs soirées à boire des coups lors d’e-peros.

Les confinements, imposant distance et vitres en plexiglass entre nous, ont aussi fait naître une véritable soif de vie. L’après-Covid s’est accompagné d’une véritable recherche de bien-être. On l’a vu, notamment, avec l’envie de réduire la semaine de travail. En juin 2022, le gouvernement belge approuvait le « deal pour l’emploi » qui rendait possible de regrouper ses heures de travail sur 4 jours sans réduction de salaire. L’objectif étant de permettre une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie privée. Après avoir vécu dans un climat post-apocalyptique, il ne parait plus nécessairement logique de dédier sa vie entière au travail.

Les cuisiniers professionnels, de leur côté, ont découvert ce qu’était d’avoir du temps libre et de participer à une vie de famille. L’absence de celle-ci paraissait évidente pour les restaurateurs il y a encore quelques années mais l’est bien moins aujourd’hui. Luc Marchal, président de la Fédération HoReCa Wallonie, ayant lui-même travaillé de nombreuses années derrière les fourneaux, confirme cette appétence de plus d’équilibre entre vie professionnelle et familiale. « On remarque qu’il y a beaucoup de changement dans le fonctionnement de l’Horeca. Beaucoup d’établissements ont, entre autres, adapté leurs périodes d’ouverture. Souvent, ce choix repose sur différentes raisons: pour donner un confort de vie plus intéressant au personnel, qui s’est cruellement raréfié, mais aussi en réaction à l’inflation ».

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Travailler plus pour payer plus

On l’a tous remarqué, 2022 s’est avéré une année record en termes d’inflation. Le coût de la vie a explosé. Ce qui n’est pas sans conséquences pour l’Horeca. C’est ce qu’explique le chef Alexandru Spaco « quand on travaille plus, on paye aussi plus ». Élu jeune Chef de l’Année 2023 par Gault et Millau, il est à la tête du restaurant La Bonne Chère à Bruxelles, dont la cuisine voyage entre bistronomie et gastronomie. Au début de cette année, il a pris la décision, avec son équipe, de fermer son restaurant les week-ends. « En termes de bénéfices nets, sur les deux derniers mois où le restaurant était ouvert le week-end, raconte-t-il, on était à la même chose qu’actuellement. Parce qu’on achète moins de produits, on consomme moins d’électricité et de gaz, et qu’on ne doit pas payer nos employés le double puisque c’est le week-end ». Le président de la Fédération Horeca Wallonie, le rappelle, il n’y a pas que la cuisine à chauffer et à alimenter en électricité, mais aussi la salle qui doit être prête à accueillir les clients à tout moment. « On ne va pas allumer le chauffage quand un client arrive » rigole-t-il. Ouvrir moins de jours ne rime donc pas nécessairement avec moins de revenus.

Un personnel raréfié

Le chef à la tête de La Bonne Chère raconte qu’un élément qui a également appuyé cette décision était le recrutement de personnel. Tout l’Horeca peut en témoigner, le secteur fait face à une pénurie de personnel. Il devient difficile de mettre la main sur des personnes prêtes à passer leurs samedis et dimanches à émincer, éplucher, et ciseler. Le pouvoir s’est déplacé dans le camp des employés. Et puis, « une fois qu’on a trouvé quelqu’un de bien, il faut aussi pouvoir le garder » ajoute Alexandru.

Conséquence: certains restaurants cherchent à proposer des conditions de travail plus attirantes, comme de ne pas travailler (tous) les week-ends. « Le but de ce choix, développe-t-il, n’est pas uniquement pour mon confort personnel, c’est aussi pour changer l’image de l’Horeca. Ce n’est pas de l’esclavage, c’est prendre du plaisir à préparer des plats pour les autres ». Lors de sa formation, une chose qu’il avait retenue des chefs expérimentés, c’était qu’en tant que cuisinier, il faut apprendre à renoncer à la vie de famille. Pas ou peu d’anniversaires, d’après-midis au parc, de « encore une histoire avant de dormir ». Le chef repense aux longues heures qu’il prestait lors des premières semaines, « on commençait à être dégoûtés du métier et à être désagréables avec les clients. Le dimanche, les clients sont tranquilles. Ils ont le temps de prendre le temps. Alors que nous, on ne pense qu’à rentrer chez nous pour dormir parce qu’on est en cuisine depuis mardi matin. » Aujourd’hui, La Bonne Chère n’ouvre que quatre jours par semaine et Alexandru est satisfait du partage qui s’opère entre cuisine et client à chaque repas. Cet échange, c’est la raison pour laquelle il retourne en cuisine chaque matin.

Alexandru Spaco ©SDP
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Comme un arrière-goût de dégoût

Alexandru n’est pas le seul cuisinier à être passé par une phase d’écœurement. Simon Neyens, jeune chef qui a récemment ouvert le restaurant Boa dans le sud de la Belgique, est également passé par ces questionnements. Après être passé par Tournais, Bruges et Copenhague (au noma, élu meilleur restaurant du monde), un déclic s’est produit lorsqu’il était employé dans un grand restaurant bruxellois. « La pression d’excellence constante, la hiérarchie malsaine et les horaires interminables, c’était vraiment trop ». Ces pressions l’ont mené jusqu’à la remise en question de sa vocation.

Simon Neyens ©SDP

C’est alors qu’il décide de lancer son propre projet. Situé dans le centre d’Arlon, le restaurant à cuisine ouverte propose de la street food asiatique. Une passion qu’il a développée lors d’un voyage de sept mois en Asie. Une chose était claire: pour continuer à apprécier son métier et avoir du succès à long terme, des horaires corrects étaient non-négociables. Et qu’en disent les clients ? « Évidemment, il y aura toujours des gens qui vont se plaindre, mais ce sont surtout les personnes de l’ancienne génération qui ont toujours connu des chefs dédiés à 100 % à la cuisine ». Autour de lui, Simon remarque que de plus en plus de jeunes chefs et cheffes cherchent à s’éloigner de ce mode de vie acharné. « Surtout, ceux, qui ont travaillé avec des chefs en fin de carrière pleins de regrets parce qu’ils n’ont pas vu leurs enfants grandir » explique-t-il.

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La recette : une clientèle de destination

Poser un choix comme celui-ci n’est évidemment pas possible pour tous les établissements. Tout ça dépend de la clientèle et de l’emplacement. Ce serait, effectivement, contre-productif pour un restaurant localisé dans un endroit touristique de fermer les jours où il y a le plus de personnes qui frappent à sa porte. La condition pour pouvoir choisir ses jours d’ouverture se résume donc à une clientèle conquise. Et pour établir cela, il faut avant tout se faire un nom. À ses débuts, La Bonne Chère était ouverte le samedi et dimanche. « C’était dur, raconte Alexandru, mais on était obligé de passer par là pour se faire une réputation et pour pouvoir se permettre de fermer les week-ends par après ».

Les premiers mois ont également été une période cruciale pour Les Caves d’Alex. Installée dans un sous-sol ixellois, la cuisine d’Alex Cardoso met à l’honneur la viande de bœuf tandis que son co-gérant Hugues De Cuypes concocte la carte des vins. Comme pour La Bonne Chère, il a fallu faire parler de soi avant de lever le pied. « On a d’abord commencé par fermer le samedi midi et le dimanche, explique Alex. Puis, lorsque mon premier enfant est né en 2014, j’ai décidé que, dorénavant, on allait fermer les week-ends ». Selon Alex, il a pu poser ce choix parce que son restaurant jouit d’une clientèle de destination. « Ils viennent pour nous : ils viennent pour manger de la bonne viande et boire du bon vin, donc qu’on soit ouvert un samedi ou un mardi, ils se déplaceront ». Depuis qu’il a franchi le pas, Alex déclare qu’il ne se verrait pas revenir en arrière un jour. « On dit toujours qu’on est prêt à tout pour son business mais, je ne veux pas sacrifier ma vie de famille pour ça, même si ça veut dire un qu’on fait un peu moins de chiffre d’affaires ».

Alex Cardoso ©SDP
Les caves d’Alex ©SDP

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D’autres restaurants belges qui suivent la tendance :

– Ivresse (Bruxelles)
– Cooqum (Bruxelles)
– St Kilda (Bruxelles)
– La Grappe d’Or fraichement étoilé (Torgny)
– Pré de Chez Vous (Namur)
– Zilte (Anvers)
– Le Coq au Champ (Soheit-Tinlot)

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