Massimo Bottura, chef de l’Osteria Francescana: « Tomber et ne rien en faire, c’est du gâchis »
Massimo Bottura (60 ans) est l’un des chefs italiens les plus influents, connu pour son engagement en matière de durabilité et d’activisme social. Son restaurant 3-étoiles de Modène, l’Osteria Francescana, a figuré à plusieurs reprises sur la liste des 50 meilleurs restaurants du monde ces dernières années. Nommé nouvel ambassadeur d’Illy, il vient de créer son propre mélange de café.
Les débuts
Tout a commencé pour moi dans la cuisine de mes parents à Modène. Avec mes cinq frères et sœurs et mes grands-parents, nous formions une grande famille dont la cuisine était l’épicentre. C’était non seulement l’endroit où on se retrouvait pour manger et transmettre notre amour de la bonne chère d’une génération à l’autre, mais aussi celui où nous planifions l’avenir, où nous nous déchirions pour mieux nous réconcilier. Enfant, j’adorais me cacher sous la table, où pendant que ma grand-mère Ancella déroulait la pâte, je prenais en cachette un tortellino et le dévorais cru. C’est là que ma passion a pris racine.
La détermination
Il faut consacrer son énergie à un projet auquel on croit vraiment. C’est ce que disait ma mère. J’étudiais le droit à l’époque, mais à ses yeux, je ne deviendrais jamais un bon avocat, quoi qu’elle en dise à tout qui voulait l’entendre. Pourtant, quand j’ai choisi à 22 ans de devenir plutôt chef cuisinier, mon père désapprouvait. Lors d’une de nos disputes, je lui ai juré qu’un jour, j’apporterais trois étoiles à Modène, ce qui est toujours resté mon objectif par la suite. La route pour y arriver n’a pas toujours été facile et j’ai connu des moments sombres, mais j’ai toujours persisté: je devais et j’allais prouver que ma mère avait raison.
Créativité et tradition
La cuisine est devenue une sorte de langage. Parfois, je me dis que je n’ai pas choisi la gastronomie, mais que c’est elle qui m’a choisi, en laissant la porte ouverte à l’inattendu. Aujourd’hui, je ne pourrais pas imaginer une autre vie loin de ma cuisine. L’endroit où je me trouve, la créativité, la recherche, la musique, l’art, la tradition: tout est lié.
L’expérience
Un bon cuisinier est comme un musicien de jazz. Tous deux improvisent, mais de manière contrôlée. Cela exige une connaissance encyclopédique, mais aussi la capacité à tout oublier. Ou comme Picasso l’a décrit un jour: «Il m’a fallu quatre ans pour peindre comme Raphaël, mais toute une vie pour peindre comme un enfant.» C’est la même chose dans mon métier. Il faut connaître le passé, mais aussi l’analyser de manière critique afin d’en tirer les meilleurs aspects et de les transposer dans l’avenir avec sa propre expérience et une approche contemporaine.
Les erreurs
Sur le chemin de la créativité, il y a toujours des moments où l’on trébuche et où l’on tombe. Les gens considèrent parfois qu’il s’agit d’un faux pas, mais à mon avis, tomber est une opportunité. Après tout, à terre, on voit le monde d’un point de vue totalement différent. La seule chose qui serait vraiment un gâchis, c’est de tomber et de ne rien en faire: retourner à la vie de tous les jours sans rien changer. Les revers ne servent qu’à être surmontés et à nous faire voir de nouvelles opportunités. C’est ainsi qu’est née la recette de mon dessert «Oups, j’ai fait tomber la tarte au citron». Une tarte au citron vert fraîchement préparée est tombée par terre, j’ai vu la beauté dans l’adversité et je l’ai transformée en quelque chose d’extraordinaire.
‘Les revers ne servent qu’à être surmontés et à nous faire voir de nouvelles opportunités.’
Le changement
La beauté ne fait pas les révolutions, mais un jour vient où elles ont besoin d’elle. C’est une phrase de Camus. Il en va de même de la lutte contre le gaspillage alimentaire et l’isolement. Pour moi, c’est dans ce sens que mon métier doit se diriger. Le changement n’est possible que grâce à l’action quotidienne de chacun d’entre nous, de sorte que chaque chef et chaque restaurant a également la responsabilité d’y contribuer. Comme l’art, le design et l’architecture, la gastronomie doit être au service des autres et de la planète, en construisant l’avenir avec courage et imagination. Je ne doute pas que la cuisine servira de plus en plus cet objectif: les jeunes d’aujourd’hui sont plus conscients et plus responsables dans la vie que ma génération ne l’était à leur âge.
La passion
Pour un chef, il est essentiel de grandir lentement. A son propre rythme, comme un arbre qui plonge ses racines de plus en plus profondément dans le sol. Je conseille toujours aux jeunes chefs qui rejoignent nos rangs de voyager le plus possible et de s’imprégner de leur identité et de leur culture, de remplir leur sac à dos de littérature, de musique et d’art. C’est la seule façon de découvrir ce qui vous motive vraiment, quelles sont vos véritables passions. Faites-le autant que possible, et ensuite seulement, mettez-vous aux fourneaux. On l’oublie souvent, mais l’ingrédient et l’outil le plus important dans la cuisine, c’est la tête.
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