La renaissance de la Taverne du Passage, restaurant mythique bruxellois

La Taverne du Passage dans la mythique Galerie de la Reine, à Bruxelles. © Anthony Florio
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Adresse bruxelloise mythique, La Taverne du Passage incarne la belgitude depuis près d’un siècle. Après une fermeture de plusieurs mois, ce restaurant culte renaît de ses cendres, porté par la vision d’Antoine Mariscal, un chef de 25 ans.

« Avec ma femme, on s’est vraiment demandé ce que l’on allait faire. On venait ici plusieurs fois par mois depuis quarante ans. Nous avons d’innombrables souvenirs en ces murs. Nous n’imaginions pas nous passer des croquettes aux crevettes… C’est à peine croyable, elles sont encore meilleures qu’avant. » Serviette sur les genoux et pils à la main, Jean ne cache pas sa joie de poser à nouveau les coudes à la table de la belle enseigne aux lignes Art déco. Depuis que La Taverne du Passage a rouvert le 8 décembre dernier, il vient aussi souvent qu’il le peut avec son épouse Evelyne. Dire que ce couple était inquiet de la fermeture de l’institution à la mi-octobre 2020 relève de l’euphémisme. « La faillite m’a donné un coup au moral, c’était comme si le Bruxelles que j’avais connu avait disparu, comme si une partie de mon histoire personnelle s’effaçait », explique cet ancien architecte collectionnant les vieilles cartes postales de la capitale. Inauguré en 1928, le fameux restaurant de la Galerie de la Reine a marqué l’imaginaire bruxellois. Nombreux sont ceux qui y ont laissé une anecdote ou un souvenir festif. Il n’est donc nullement surprenant que l’annonce de sa faillite en ait fait trembler plus d’un. Raphaël Nataf, le repreneur, qui pourtant a tout juste 30 ans, s’est lancé dans l’aventure pour raisons affectives. « Quand je travaillais à La Chaloupe d’Or, je venais ici prendre un déjeuner tardif. Cette tradition de service en continu est quelque chose de fascinant et d’identitaire. A une époque où les centres-villes sont souvent formatés par le tourisme, il n’y a qu’une adresse comme La Taverne qui puisse attirer les locaux. Ce lieu possède un supplément d’âme que l’on peut ressentir même si comme moi on est né il y a trois décennies », explique l’entrepreneur.

La renaissance de la Taverne du Passage, restaurant mythique bruxellois
© Anthony Florio

Envol au vent

Pour mener son projet à bien, Raphaël Nataf n’a pas misé sur une équipe de vieux routards de l’Ilot Sacré. « Je voulais des gens avec un regard neuf, avec une fraîcheur, résume-t-il. C’était important pour redonner une dynamique au lieu. Le chef est lui aussi tout jeune. Je l’ai engagé entre autres pour cela mais également parce qu’il avait un curriculum intéressant. Pour le tester, je l’ai soumis à une épreuve de type Top Chef qu’il a remporté haut la main. » Le talent en question, c’est Antoine Mariscal, un jeune cuisinier originaire de Dour. Quand on le sonde sur le sujet, l’intéressé en sweat à capuche se revendique « autodidacte » et « aimant l’action » avant toute chose. Il faut dire qu’après un début de carrière centré sur le sport de haut niveau, le tennis en l’occurrence, ce n’est que sur le tard, à 20 ans, que la cuisine s’est invitée dans la vie de ce fils d’un avocat passionné de bonnes tables. « Pendant deux ans, je rénovais des appartements le jour et suivais des cours le soir », commente Antoine Mariscal.

La renaissance de la Taverne du Passage, restaurant mythique bruxellois
© Anthony Florio

La suite? La jeune pousse fait ses armes en compagnie de Maxime Maziers au restaurant gastronomique Bruneau mais surtout avec Stefan Jacobs (Hors-Champs), à l’époque du pop-up Chez Marie. A 25 ans, il se voit propulsé à la tête de La Taverne du Passage, établissement où il lui faut parfois envoyer, avec une petite équipe de six personnes, jusqu’à plus de 230 couverts par jour. Le tout 7 jours sur 7 et, comme évoqué plus haut, en continu. On connaît l’adage « La valeur n’attend pas le nombre des années »… Mariscal se plaît à donner raison à la sagesse populaire. Son vol-au-vent en est un excellent exemple qui prend le parti de déstructurer le célèbre classique crémeux. « J’adore le ris de veau mais je trouve que cette préparation ne fonctionne pas seule. C’est un accompagnement. En revanche, je ne suis pas trop fan du vol-au-vent tel qu’il est servi habituellement. La pâte feuilletée emporte tout sur son passage, elle étouffe le plat. Le problème de cette préparation, c’est qu’elle est faite avec du fond de volaille en poudre et que tout cuit en même temps. Pour sublimer ce classique, il faut cuire tout séparément et assembler minute dans l’assiette, c’est plus difficile mais c’est au prix de ce travail qu’on fait la différence », analyse l’ancien champion de Belgique de tennis. Pas question pour lui de céder aux impératifs de rapidité qui sévissent dans la restauration, Antoine Mariscal prépare ses fonds de sauce en bonne et due forme. « C’est la base », assure celui qui avoue quasiment « vivre dans sa cuisine ».

Il reste que le coup de force consiste à avoir osé un vrai parti pris, à savoir réduire le vidé à sa plus simple expression. A La Taverne, il prend la forme d’une longue « allumette » avec laquelle le convive ponctue sa dégustation au rythme de son envie de croquant. Les croquettes aux crevettes? « J’utilise un mélange de panko et de chapelure que je réalise avec les restes de pain. Une fois encore, la bisque n’est pas en poudre. Je la réalise avec des carcasses et des têtes de crevettes. Du coup, le goût est plus subtil. Pour la texture, j’emploie du gruyère de façon parcimonieuse. Cela me permet d’avoir un appareil qui se tient, de l’onctuosité. » La soupe à l’oignon? Le Dourois s’est inspiré de Paul Bocuse et de sa fameuse soupe aux truffes VGE. La préparation s’avance à la façon d’un soufflé. « L’idée, c’est que lorsqu’on casse la croûte, on fabrique soi-même ses croûtons… qui tombent en dernière minute dans le potage », commente le chef qui reconnaît passer beaucoup de temps à regarder les archives de l’Institut national de l’audiovisuel. « J’aurais aimé naître dans les années 50, sauf pour le gaspillage », confesse Antoine Mariscal. Et quid des frites, marqueur essentiel de la cuisine nationale? Là aussi, pas question d’ânonner une version formatée. Il a été choisi de les cuire à la graisse de boeuf, fidèle à la tradition, mais surtout de présenter les pommes de terre avec la peau, signe de leur caractère maison. Celles-ci témoignent aussi de l’ouverture du chef. « Mon goût personnel me porte vers un calibre de 9 mm, que j’ai proposé jusqu’ici. J’ai eu beaucoup de remarques pour qu’elles soient plus grosses, 1,5 cm. Pour moi, c’est trop épais, cela ressemble à de la purée. Cela dit, je vais opter pour 1,2 cm, ce sera ma version du compromis à la belge », sourit celui qui avoue n’avoir d’autre ambition que de remplir chaque jour son restaurant.

La Taverne du Passage, 30, Galerie de la Reine, à 1000 Bruxelles. Tél.: 02 512 14 13. latavernedupassage.be

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