Chanel Kapitanj, designer métal : « Il n’y a pas de métiers d’hommes et des métiers de femmes »

© TITUS SIMOENS
Kathleen Wuyard
Kathleen Wuyard Journaliste & Coordinatrice web

De retour du Salon du meuble de Milan, où sa chaise en métal maillé a notamment tapé dans l’œil des équipes du prestigieux magazine AD cet été, la designer de meubles liégeoise Chanel Kapitanj, à qui on doit aussi la table Pylône, défend une vision de la création comme barrière contre le tumulte actuel.

Comment êtes-vous devenue métallière?

Le métal est fascinant. C’est un matériau très versatile, avec lequel on peut imaginer énormément de choses. Mon papa est tourneur-fraiseur: je ne sais pas si mon intérêt vient de là ou si c’est parce que c’est une matière qui correspond bien à ma personnalité. Le métal est froid, par contraste avec la chaleur du bois, et moi j’ai un caractère plus réservé.

L’essence des matières est importante pour vous?

Le toucher joue un rôle important dans la création. Petite, j’adorais bricoler, et j’ai suivi une formation de métallier parce que j’avais besoin de toucher la matière. Je suis quelqu’un de tactile, c’est une déformation professionnelle: tous les architectes et designers que je connais ont aussi besoin de toucher les choses partout où ils vont.

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Comment vous positionnez-vous par rapport à vos pairs?

Tout qui crée travaille forcément pour une forme de reconnaissance. C’est important de pouvoir se dire que tout ce travail n’est pas vain: j’aime savoir que les gens ont vu ce que je fais et que mon travail plaît un peu plus loin qu’à Namur ou à Liège. En ça, Instagram joue un rôle positif, parce qu’il permet d’ouvrir le travail des artistes à un public beaucoup plus large et de transcender les frontières.

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La renommée est-elle une fin en soi?

C’est important de distinguer le travail d’un artiste de la transformation de son nom en une marque. Certains s’inscrivent parfois dans une démarche fort commerciale, mais il reste important de retenir les pièces qui les ont lancés, car ce sont deux choses différentes. Si on regarde Ann Demeulemeester, elle a d’abord créé des vêtements, puis acquis une renommée internationale et aujourd’hui elle développe des assiettes et du mobilier pour Serax. Il ne faut pas le voir comme une trahison de son processus créatif initial, mais bien comme des opportunités qui s’intègrent dans le processus d’édition.

Est-ce que le fait d’être une femme dans un univers masculin est un avantage ou un inconvénient?

Il n’y a pas de métiers d’hommes ou de femmes. L’important est de faire ce qu’on veut, et quand on le fait, on n’a rien à prouver. Il ne faut surtout pas s’arrêter à ce que les autres disent et pensent, mais bien se lancer et avancer. Quand j’ai bifurqué vers la ferronnerie, j’ai eu la chance de ne recevoir aucune réaction négative. Ce n’est qu’au moment de chercher du travail que j’ai été confrontée à certaines entreprises butées, pour lesquelles le fait que je sois une femme posait problème.

Où trouvez-vous votre inspiration?

Pour moi, la mode est une forme d’art. Ma maman a toujours adoré la mode: c’est de là que vient mon prénom ainsi que mon intérêt pour cette discipline. J’aime beaucoup le travail de quelqu’un comme Virgil Abloh, qui montre bien les liens qui existent entre les différentes formes de création. Il a fait des vêtements, mais aussi des meubles, des objets… L’art est un langage qui ne se limite pas à une seule forme d’expression, il s’adapte à tout.

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Quel rôle peut-il jouer dans notre contexte économique difficile?

L’art et le mobilier sont des plaisirs personnels, qui réconfortent et renvoient à soi. L’acte de décorer son intérieur est une manière d’échapper au tumulte extérieur. En s’entourant de beau et en se concentrant sur ses goûts, on peut se mettre des œillères et oublier un peu les crises qui nous touchent. L’art existe pour plaire, et même si on pourrait croire l’inverse, c’est plus important que jamais dans le contexte actuel.

Vous avez grandi à Liège, vous habitez le namurois… Vous êtes fière de vos racines?

Je suis fière d’être belge. Que ce soit culturellement ou artistiquement, on n’a pas à rougir de notre production. Je fabrique chacune de mes pièces moi-même, et les découpes laser sont sous-traitées en Belgique. Non seulement le made in Belgium est un argument vendeur pour ma clientèle, mais en prime, je vis et travaille ici, et c’est important pour moi de faire vivre l’économie belge.

Comment voyez-vous évoluer votre carrière?

L’idéal est de combiner le succès critique et populaire. Même si, quand on fait des études de design, on nous répète toujours que les deux sont bien distincts: il y a les gens comme Philippe Starck, qui vendent beaucoup et sont reconnus, et puis ceux qui travaillent dans l’ombre, mais gagnent parfois tout aussi bien leur vie. Je ne sais pas trop où je me situe par rapport à ça. Je crée dans l’optique que les gens reconnaissent et aiment mon travail, parce que ça m’ouvre des portes vers d’autres opportunités. Je trouve ça positif si mon esthétique est reconnaissable: c’est une forme de signature.

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