Les adeptes du fooding ne tarissent pas d’éloges sur la cuisine péruvienne, fruit d’une fusion fantastique entre traditions incas et influences hispano-mauresques, ponctuée de touches chinoises ou japonaises.

Cela ne saute pas encore aux yeux sous nos latitudes, mais la cuisine andine est bien partie pour conquérir le monde ! Les bonnes adresses péruviennes sont déjà très courues à Buenos Aires et à New York, où le nombre de restaurants dédiés au genre a quadruplé en cinq ans. Même Londres semble avoir pris goût au ceviche et à la cocina novoandina (qui use des techniques modernes pour la préparation d’ingrédients traditionnels de la région des Andes). Gastón Acurio, 45 ans, figure de proue de la nouvelle cuisine péruvienne, exploite pas moins de trente-deux restaurants dans une douzaine de villes, un peu partout dans le monde. Dans les rues de Lima, la capitale qui s’étale sur une zone de plus en plus étendue le long de la côte pacifique, l’évolution est clairement perceptible : même si les Péruviens n’ont découvert que depuis peu la gastronomie locale et internationale, celle-ci affiche d’ores et déjà une progression… irrésistible.

500 ANS DE FUSION

En substance, la gastronomie péruvienne est une sorte de cuisine fusion spontanée qui s’est développée au fil des rebondissements de l’histoire. Le ceviche, plat national par excellence, en est le parfait exemple. Cette préparation, qui existait déjà à l’époque précoloniale, a été revue et corrigée une première fois par les conquistadors espagnols, avant d’être perfectionnée par des immigrés japonais (qui prirent l’habitude de faire mariner brièvement le poisson plutôt que de le laisser longuement macérer dans le jus de citron vert). Au Pérou, il s’agit d’un en-cas de la mi-journée qui se mange attablé à un long comptoir, souvent servi dans une coquille Saint-Jacques et généreusement parsemé d’oignons et de piments. La marinade acidulée qui sert à le préparer est aujourd’hui devenue un élément tellement incontournable de l’héritage gustatif national que les Péruviens la consomment même en boisson, sous le nom de leche de tigre (lait de tigre). Ce mélange d’agrumes, d’ail, d’oignons et de jus de poisson passe pour être un remède souverain à la gueule de bois, et d’aucuns lui prêtent même des vertus aphrodisiaques ! Le leche de pantera (lait de panthère) en est une variante plus corsée, agrémentée de coquillages noirs, que l’on sert notamment à La Canta Rana, l’un des huariques les plus courus de Lima.

A côté de ces cantines populaires qui offrent à bas prix des plats authentiques, la capitale péruvienne possède une abondance de petits snacks affichant une carte immuable, souvent installés dans la salle de séjour du propriétaire, où bourdonne l’inévitable télé. On y trouve aussi nombre de sangucherías (sandwicheries), qui servent des tapas sous forme de bocadillos garnis de jambon cru, d’anchois blancs cuits ou de chicharrones (morceaux de peau de porc cuite), un grand classique pour le petit-déjeuner – et vraisemblablement un bien meilleur remède à la gueule de bois que le leche de tigre ! Plus exotiques, les chifas se spécialisent dans la cuisine sino-péruvienne, tandis que les anticucherias, vendeurs de rue afro-péruviens, proposent au chaland des brochettes de boeuf grillé généreusement épicées. Enfin, Lima offre encore quelques bonnes adresses italiennes et plusieurs bars à sushis qui passent pour être parmi les meilleurs en dehors du Japon. Sans oublier, bien sûr, les temples de la nouvelle gastronomie andine, qui ne cessent de gagner du terrain dans les classements des adresses les plus réputées au globe. Même les Chiliens, qui ont longtemps regardé avec un certain mépris la cuisine primitive de leurs voisins du nord, organisent aujourd’hui des excursions culinaires à Lima !

LA CUISINE, MOTEUR DU CHANGEMENT

C’est dans le quartier branché de Miraflores que le pionnier Gastón Acurio a ouvert en 1994 sa première adresse, Astrid y Gastón. Qui aurait pu deviner que celui qui n’était alors que  » chef Acurio  » deviendrait le cuisinier le plus célèbre du pays et donnerait ses lettres de noblesse à la gastronomie péruvienne ? Aujourd’hui présenté comme un candidat potentiel à la présidence, il a réalisé en 2012 un documentaire sur la cuisine de son pays (Peru Sabe ; Cuisine as an Agent of Social Change) dont la première américaine s’est tenue au QG des Nations unies à New York, excusez du peu ! Quoiqu’un peu ronflant, le titre reflète parfaitement la réalité du sujet. Il y a une vingtaine d’années, il était impensable qu’un cuisinier jouisse au Pérou de la moindre once de respect. C’est donc dans les écoles de France et d’Espagne que Gastón Acurio est parti apprendre son métier, en dissimulant soigneusement ses ambitions aux yeux de son politicien de père, pour qui un chef-coq ne valait guère mieux qu’un forain. Aujourd’hui, les Péruviens sont plus de 80 000 à être inscrits dans une école de gastronomie. Le célèbre chef espagnol Ferran Adrià n’a d’ailleurs pas caché son admiration au terme de sa visite au Pérou, en constatant que  » les jeunes d’ici ne rêvent plus de devenir des stars du ballon rond, mais des cuisiniers « .

PÉRUVIEN, LA HONTE…

Virgilio Martinez, 35 ans, ancien protégé de Gastón Acurio, est un autre chef très en vue. Après avoir roulé sa bosse pendant dix ans pour affiner son expérience aux quatre coins du monde, il a commencé sa carrière comme chef de cuisine chez Astrid y Gastón. En 2010, il a ouvert à Miraflores son Central, élu meilleur nouveau restaurant d’Amérique latine par Time Out en 2012. Une seconde adresse a suivi à Cuzco, l’ancienne capitale inca nichée au pied des Andes. Brasserie péruvienne très classe, Senzo a pris ses quartiers dans le Palacio Nazarenas, hôtel de la chaîne Orient Express installé dans un ancien cloître entièrement rénové qui possède encore son propre jardin. La même année, le trentenaire ouvrait aussi à Londres son restaurant Lima.

Virgilio Martinez est conscient de ce qu’il doit à Gastón Acurio :  » Il m’a avant tout appris à être fier de mon pays « , souligne le jeune chef, qui ne se souvient que trop bien du temps où les seules bonnes adresses de Lima proposaient de pâles ersatz de cuisine française ou italienne, et de son embarras lorsque sa mère servait à ses amis des plats péruviens typiques. A l’époque où le pays vit dans la crainte des maoïstes du Sentier Lumineux, il choisit comme beaucoup de fuir à l’étranger.  » Nous avions honte d’avouer que nous étions péruviens, nous qui avions été élevés dans l’idée que notre pays était désespérément pauvre et n’avait rien à offrir. C’est dans un restaurant londonien où je travaillais que j’ai entendu pour la première fois faire l’éloge de notre cuisine. Cela m’a décidé à retourner à Lima pour en avoir le coeur net. Dès le premier jour, j’ai su que je ne repartirais plus.  »

UNE FORMIDABLE DIVERSITÉ

A son retour au pays, Virgilio Martinez est surtout frappé par l’extraordinaire richesse de la cuisine de rue, la formidable diversité des produits disponibles sur le marché et, évidemment, le développement de la cocina novoandina.  » Avec ses vingt-huit zones climatiques, le Pérou possède un éventail de produits pratiquement infini. J’ai déjà utilisé une soixantaine de variétés de pommes de terre… et il en existe encore au moins trois mille autres !  » Les fruits, à eux seuls, suffiraient à occuper le cuisinier le reste de sa vie : la saveur des bananes, la caresse des mangues sur le palais, les citrons verts à la délicate écorce (utilisés notamment dans la préparation du ceviche, mais aussi dans celle du fameux cocktail pisco sour), les granadillas (variété de fruit de la passion), les coeurs de boeuf et chérimoles, les mandarines… Parmi les autres incontournables de la cuisine péruvienne, citons encore les piments aji odorants et colorés, ou des produits basiques comme le quinoa et le maïs sous toutes ses formes, du chulpe aux gros grains jaunes à la variété violette inconnue chez nous qui sert à préparer la chicha morada, une boisson sucrée agrémentée d’ananas et de cannelle. Une incroyable richesse de saveurs que le monde commence seulement à découvrir…

PAR ISOPIX / BAUER MEDIA

 » Au Pérou, le développement de la gastronomie est aussi un levier social.  »

 » Avec ses vingt-huit zones climatiques, le Pérou produit un éventail d’ingrédients incroyablement riche.  »

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