Les pantouflounes sont-elles le comble du mauvais goût?
23, 33, 43, 53 ans: voit-on forcément la vie autrement avec (plusieurs fois) dix ans d’écart ? Positionnés chacun dans une décennie différente, nos journalistes confrontent chaque vendredi leurs points de vue en débattant des sujets dont tout le monde a parlé lors de la semaine écoulée. Cette semaine : les pantouflounes.
Appartenant respectivement aux générations Z, Millenial et X, Thibault Dejace, Kathleen Wuyard, Nicolas Balmet et Nathalie Le Blanc confrontent leurs points de vue sur le buzz du moment dans notre chronique « 10 ans d’écart ». Le sujet de la semaine?
Les pantouflounes
Née à l’automne 2022 dans l’esprit de stylistes qui ont bien compris qu’il allait s’agir de trouver des alternatives créatives pour se chauffer sans chauffage, ces drôles d’hybrides matelassés sont tellement récents qu’ils n’ont pas encore de nom officiel. Laissez-nous donc vous présenter les « pantouflounes », croisement audacieux de la pantoufle et de la doudoune, et chaussure d’intérieur non officielle de l’hiver 2023.
Thibault, 23 ans : « Tant pis pour moi, j’aurai froid aux pieds cet hiver »
C’est un étrange croisement entre la doudoune « puffer » et la mule. Il parait qu’elle allie confort, chaleur et style (ce dernier point reste – selon moi – encore terriblement ouvert au débat). Mais une chose est claire, c’est qu’à en croire Instagram, cette pantoufle sera la chaussure de l’hiver.
Véritable déferlante qui s’abat sur les réseaux sociaux, la mule Thermoball Traction de The North Face est la chaussure du moment! Mouais… Pour être tout à fait honnête, je suis un fan et membre inconditionnel fièrement revendiqué de la team Birkenstock, alors bon, ces thermo-machin-choses ne risquent pas de faire leur arrivée chez moi.
Qu’on me donne plutôt un confortable modèle d’Arizona ou alors, le saint-graal, une paire de Boston (avec grosses chaussettes de laine). Je n’ai rien contre lesdites pantoufles révolutionnaires de The North Face, mais bon, je passe mon tour sur cette tendance. D’abord, parce que j’ai déjà une veste de la marque et que j’aimerais éviter le total look bonhomme Michelin, et puis bon, on ne va pas se mentir, le design est loin de m’emballer. Dernier (contre-)argument ? On me glisse à l’oreille que les pantouflounes sont faites pour les fans de Ugg ou encore de Crocs… Deux marques que j’abhorre. Tant pis pour moi, j’aurai froid aux pieds cet hiver.
Kathleen, 33 ans : « L’incarnation même de l’esthétique jolie-laide »
Au grand dam de mon mari, qui a parfois bien du mal à contenir sa consternation face à certains de mes achats, je suis particulièrement sensible à l’esthétique « jolie-laide », caractérisée par une approche atypique du beau et un dédain joyeux pour ce qu’on accepte comme tenant du « bon goût ». Un courant dans lequel s’inscrivent résolument les pantouflounes, même si la notion de joliesse reste à démontrer. Et non, je ne vois pas d’ironie à rédiger cette phrase les pieds chaussés d’un combo Birk + chaussettes en laine.
C’est que ces drôles de pantoufles me rappellent mes cours de danse classique, lesquels se déroulaient avec une dizaine de paires de Stan Smith en équilibre précaire sur l’appui de fenêtre des vestiaires pour aérer le tissu fort peu respirant (mais très odorant) de leur semelle intérieure. Et je n’ose imaginer l’effet produit par l’enfermement de ses pieds, aussi frigorifiés soit-ils, dans ce qui n’est jamais qu’une doudoune modifiée. Disons que je ne la sens pas, cette tendance.
Nicolas, 43 ans : « On n’arrête pas le progrès »
Ainsi donc, on y est : pour la modique somme de 50 euros, on peut désormais se procurer une paire de pantoufles qui ne se contente pas de ressembler vaguement à notre veste d’hiver, mais qui se révèle être son sosie parfait. C’est beau, le XXIe siècle, quand même. Dire que quand j’étais plus jeune, je l’imaginais avec des voitures volantes, des ordinateurs translucides et, surtout, les Nike Air de ce cher Marty McFly vissées aux pieds, puisque l’incarnation du futur, c’était lui et personne d’autre.
Au lieu de ça, je continue à gratter le pare-brise de ma voiture-même-pas-volante chaque matin, mon ordinateur est toujours accroché à un foutu clavier dont le quart des touches ne servent à rien depuis le début de l’histoire de l’informatique (au hasard : la touche qui réunit les sigles £ et µ), et tout ce qu’on me propose pour avoir les orteils un peu tièdes, ce sont des chaussons en forme de doudoune. Des pantouflounes, pour utiliser l’euphémisme (désormais?) consacré.
Alors, d’accord, je vais être bon joueur : quand tu te payes des vacances à Saint-Moritz où l’on organise des après-ski « Moët & Chandon, fondue au caviar et dresscode pantouflard », je peux comprendre l’intérêt de l’objet. Ça permet de se la péter auprès de Marc-Antoine et Gwendo qui, eux, sont encore convaincus que la charentaise est revenue à la mode, alors que c’était l’année dernière, ouh les ringards, trop la gêne. Mais honnêtement, hormis pour ce cas de figure qui ne court quand même pas les rues, je ne vois pas pourquoi je céderais à la tentation. Sauf, bien sûr, si on m’offre un voyage à Saint-Moritz. Mais je crois que, comme d’hab’, je vais plutôt recevoir des chaussettes. Tiens, on en parle quand, des gens qui offrent encore des chaussettes à Noël ?
Nathalie, 53 ans : « Il y a des limites, à commencer par l’esthétisme »
Its a no from me, je le crains. Et pour une fois, c’est carrément lié à mon âge. C’est que j’ai grandi à l’ère pré-snekaers, où les chaussures de sport étaient l’apanage exclusif de celles et ceux qui s’apprêtaient à en faire, du sport. Aux terrains de basket les Allstars, à la piste d’athlétisme les Gazelle d’Adidas et à Wimbledon ses Stan Smith. Une ère désormais révolue, sans que cela ne me déplaise pour autant: j’ai moi aussi cédé aux sirènes des baskets et de leur confort. Mais il y a des limites, tout de même, à commencer par l’esthétisme.
Porter des « chaussures de sport », d’accord, mais pas de Yeezy’s, de New Balance ou de Zoom, je préfère les modèles rétro, et il n’existe aucun niveau de confort capable de me convaincre de fourrer mes pieds dans des Uggs – c’est vraiment trop laid. Et j’oserais affirmer que les pantouflounes s’en rapprochent un peu trop. Certes, elles ont l’air chaudes et confortables. Elles ressemblent aussi à ce que pourrait porter un astronaute s’apprêtant à quitter Cap Canaveral pour partir en orbite. Tant que je garde les pieds sur terre, disons donc que je ne vois pas l’utilité d’en chausser.
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