Cacahuète
Réjouissante ou relou, la cacahuète? DR Vif Weekend Canva

La cacahuète, un cadeau empoisonné?

23, 33, 43, 53 ans: voit-on forcément la vie autrement avec (plusieurs fois) dix ans d’écart ? Positionnés chacun dans une décennie différente, nos journalistes confrontent chaque vendredi leurs points de vue en débattant des sujets dont tout le monde a parlé lors de la semaine écoulée. Cette semaine : la cacahuète. 

Appartenant respectivement aux générations Z, Millenial et X, Thibault Dejace, Kathleen Wuyard, Nicolas Balmet et Nathalie Le Blanc confrontent leurs points de vue sur le buzz du moment dans notre chronique « 10 ans d’écart ». Le sujet de la semaine?

La cacahuète

Une pratique redoutée ou réjouissante selon la personne avec qui vous en parlez, d’aucuns ne jurant que par la « convivialité » et le budget (en règle générale) raisonné qu’impliquent la cacahuète tandis que d’autres en ont marre de recevoir des cadeaux, si pas empoisonnés, du moins franchement pas folichons. Une question de point de vue, donc, mais celui-ci est-il influencé par l’âge?

© Thomas Sweertvaegher

Thibault, 23 ans : « Les cacahuètes, je préfère les manger à l’heure de l’apéro »

C’est chaque année la même rengaine. « On se fait une petite cacahuète avant les fêtes ? ». Comme si trouver un cadeau de Noël valable pour mes parents et ma moitié n’était pas déjà suffisamment stressant, il faut que je trouve en plus « une cacahuète » pour Pierre-Paul-Jacques de la compta’, une autre pour un ou une membre de mon groupe d’amis et une troisième pour la famille étendue. Désolé, mais moi, j’appelle ça l’enfer sur Terre.

Déjà, on n’est jamais d’accord sur le budget, soit « pas plus de 15 euros », mais certainement pas en dessous de ce montant établi arbitrairement, sous peine de passer pour le radin de la bande. Et puis pardon, mais collectionner des mugs à café remplis de chiques, très peu pour moi. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, un livre de poche sera toujours reçu avec plaisir. Mais force est de constater que ma collection de tasses fantaisie n’a fait que croitre ces dernières années, là où ma pile de livres de poche à dévorer semble, elle, stagner.

Bref, les cacahuètes, je préfère les manger à l’heure de l’apéro plutôt que de m’échiner à rivaliser d’originalité pour une cacahuète qui finira oubliée dans le recoin sombre d’un cagibi quelconque en moins de temps qu’il n’en faut pour la déballer. Mais c’est le jeu ma pauvre Lucette et puis, n’oublions pas… C’est ça le « plaisir d’offrir ». Allez, je vous laisse, la cacahuète de Pierre-Paul-Jacques ne va pas se trouver toute seule.

© Clément Jadot

Kathleen, 33 ans : « Les règles sont injustes »

Il existe deux explications différentes de pourquoi je ne sais pas jouer aux échecs. La première, celle de mon mari, est que je n’ai aucune patience, je n’ai rien écouté quand il expliquait les règles, et en plus, je suis mauvaise perdante. La seconde, la raison réelle, est que ma seule tentative d’y jouer s’est soldée par une frustration exponentielle à chaque nouvelle règle rajoutée en cours de partie et ayant visiblement pour seul but de me mener en bourrique.

La cacahuète, c’est pareil: sur le principe, je suis plutôt pour. Mais dans les faits, c’est un vrai casse-tête. S’il fallait simplement s’accommoder des règles préétablies (nombre de participants, nom à pêcher, budget déterminé), la cacahuète serait un véritable cadeau, allégeant à la fois le budget fêtes et la charge mentale : un seul cadeau à trouver, emballé c’est pesé.

Malheureusement, non seulement ces maudites règles ne cessent de changer en cours de partie (« On peut repêcher? J’ai 0 inspi’ pour ma cacahuète. Et attendez, on n’augmenterait pas un peu le budget aussi? Ceux qui ont déjà acheté leur cadeau, c’est pas grave, vous pouvez compléter! ») mais en prime, la règle tacite semble être d’acheter un cadeau « humoristique », c’est à dire, soyons honnêtes, pourri. Même avec un budget crise friendly de 5€, il y a moyen d’offrir quelque chose de chouette (voir aussi la suggestion livres de poche de mon collègue Thibault), mais non, ça tourne toujours autour d’un gadget de l’enfer qui passe 11 mois dans un placard en attendant de pouvoir être refourgué à la prochaine cacahuète. Vous me direz, au moins, c’est circulaire.

© Thomas Sweertvaegher

Nicolas, 43 ans : « C’est sympa, mais ça provoque un peu trop de questions à mon goût »

J’ai connu les deux périodes. Celle où toute ma famille – un daron, une daronne, un frangin et une sister, c’est fou comme mon vocabulaire rajeunit depuis que je collabore à cette rubrique – offrait des cadeaux à tout le monde. Et celle où, soudainement, l’on entra dans l’ère de la sacro-sainte Cacahuète. Ma préférence ? L’époque où je pouvais acheter des chaussettes à mon père, un bijou à ma mère, un t-shirt Anarchy à mon frère et une compile des plus beaux chants de Noël (a cappella) à ma sœur.

J’aimais bien ces soirées en forme de mini foutoirs, où il y avait plein de cadeaux sous les épines, puis autant d’emballages éparpillés sur le sol – même qu’on se demandait déjà si ça allait dans la poubelle normale ou celle à papier. Avec l’instauration de la cacahuète, la machine est devenue trop bien huilée et les règles un peu trop strictes. En plus, chez nous, l’armada de questions est toujours la même : qui s’occupe des p’tits noms ? Quoi, déjà ? On est en juillet, quand même. On fait un tirage traditionnel ou on utilise une appli ? Et c’est quoi le budget ? Entre 30 et 50 euros, comme l’année dernière ? C’est la crise, on devrait peut-être s’adapter. On n’inviterait pas Tata, pour une fois ? Si vous tombez sur son nom, elle sera contente avec des bougies. Et tiens, dans le fond, on fait le repas où ? Chez les parents ? Parce que chez nous, on refait la cuisine. Bah, on verra, ton père a raison : on n’est qu’en juillet, quand même.

Bref ! La cacahuète, c’est sympa, mais ça provoque un peu trop de débats à mon goût. Surtout que le soir-même, une ultime interrogation agitera à nouveau l’assemblée : est-ce qu’on fait les cadeaux à minuit ou après le dessert ? Sacré nom d’une crèche.

© Thomas Sweertvaegher

Nathalie, 53 ans : « C’est un cadeau pour l’incorrigible curieuse que je suis »

C’est pratique mais aussi et surtout une loterie à bien des égards, ce système de cadeaux. Dans ma famille, on avait l’habitude d’y recourir à l’approche des fêtes, et puis on a fini par laisser tomber parce que d’un côté, personne ne voulait tomber sur les oncles ou les pères, trop difficile à gâter, et de l’autre, tout le monde voulait pêcher les enfants de la famille, ravis à la moindre boîte de Lego à déballer.

Et pourtant, je n’ai jamais pris autant de plaisir à gâter les autres que lors de tirages de Secret Santas (comme la tradition s’appelle si joliment en anglais) pour des personnes que je ne connaissais pas forcément intimement, les membres de mon cours de danse ou d’italien, par exemple. Une fois le nom tiré, se met en place un véritable travail d’investigation (lire: une excuse en or pour passer au peigne fin les flux Facebook et Instagram de la personne) qui est déjà un cadeau en soi pour l’incorrigible curieuse que je suis.

Et une fois le cadeau ainsi déniché offert, la joie et la reconnaissance de son ou sa destinataire en découvrant la couleur de vernis à ongles parfaite ou le résumé d’un livre garanti de lui plaire est d’autant plus satisfaisante qu’elle a demandé un peu plus d’efforts. Et ça, c’est pile l’esprit de Noël.

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