Patricia Tourancheau, autrice d’un livre sur le braquage de Kim Kardashian: “Le fait divers est une matière noble”

© Hermance Triay

Après trente ans à couvrir les faits divers pour Libération, la journaliste française est devenue une référence dans les cold cases à travers des livres et mini-séries docu sur les grandes affaires criminelles des dernières décennies. Son nouveau livre, Kim et les papys braqueurs, retrace le braquage de Kim Kardashian par une bande de seniors.

Le métier de fait-diversière

Il faut savoir rester à sa place. Je ne suis ni flic ni procureur. Je me revendique « fait-diversière ». C’est un mot que je trouve très beau parce qu’il a longtemps été mal considéré. Autrefois, on prenait ces journalistes pour des voyeurs qui faisaient les « chiens écrasés ». Ça a changé maintenant, c’est devenu prestigieux voire même à la mode avec le true crime.

L’amour de la lecture

La lecture est un ascenseur social. Dès le cours préparatoire et durant toutes mes années de primaires, j’ai chaque fois reçu le prix d’excellence pour mes dissertations. L’écriture et la lecture me plaisaient. Pour me récompenser, l’école m’offrait des livres que je m’empressais de dévorer. Ce n’était pourtant pas la culture de ma famille. Ces ouvrages ont construit mon écriture et mon amour pour la langue française.

L’art de l’empathie

La mort d’un proche vous fait grandir très vite. Mon père est décédé d’un cancer quand j’avais 13 ans. Maman était propriétaire d’une entreprise de transport et moi l’aînée de deux sœurs de 8 et 3 ans, j’ai été obligée de la seconder. Ça m’a permis de devenir rapidement autonome mais aussi de pouvoir me mettre au diapason auprès de certaines victimes.

‘Je prends tout autant plaisir à discuter avec un clochard qu’avec un ministre de l’Intérieur.’

Une relation de confiance

Le fait divers est une matière noble. C’est ce que j’essaie d’inculquer à mes étudiants. C’est une matière profondément humaine. J’aime les gens de toutes sortes ; je prends tout autant plaisir à discuter avec un clochard qu’avec un ministre de l’Intérieur ou un enquêteur. Les sources sont soumises au secret de l’instruction et de l’enquête, écrire sur une affaire en cours constitue un réel défi. C’est dur et c’est pourquoi il est nécessaire d’instaurer une relation de confiance sans pour autant se montrer complaisant pour obtenir des informations.

Le braquage de Kim Kardashian

Le choc des cultures est passionnant. Sitôt l’arrestation des braqueurs de Kim Kardashian à Paris en janvier 2017, quand j’ai su leur âge et leur profil, l’histoire a tout de suite titillé mes papilles de fait-diversière. Kim et les papys braqueurs c’est le télescopage entre ces vieux voleurs pépères et sans retraite qui semblent tout droit sortis des films de gangsters français des sixties et le monde de paillettes et de richesses de la star planétaire des réseaux sociaux, l’influenceuse et businesswoman américaine Kim Kardashian. Le bling-bling face aux passe-murailles, au discret. La bicyclette contre le jet privé. Les rades à voyous, les vieux bistrots parisiens à l’opposé des showrooms de la mode. Cela dit, je ne verse ni dans la complaisance ni dans l’accusation à outrance. J’ai retracé le parcours de chacun de mes papys braqueurs. Mais je ne fais aucunement l’apologie de leurs crimes. Le but c’est comprendre où et pourquoi ils en sont arrivés là.

Une capacité à relativiser

Voir des horreurs peut renforcer l’optimisme. Depuis mes 20 ans, je mène ma vie sans illusion mais avec la pêche. Quand un évènement grave m’arrive, je le surmonte facilement car ce que j’ai rencontré au travers de mon métier me permet de relativiser. J’aime enquêter, suivre l’intrigue d’une affaire. Je ne me fais pas d’idées sur les choses et je n’ai pas la prétention de changer le monde.

Pas de lumière sur le criminel

Je ne mets jamais en lumière le criminel. Quand je traite une grosse affaire en série documentaire, je m’efforce toujours de trouver un angle qui ne place pas la lumière sur le criminel. Par exemple, dans Les femmes et l’assassin, sorti en 2021 sur Netflix, je retrace l’interpellation du tueur en série Guy Georges en plaçant l’intrigue sur le travail acharné de deux femmes : une commissaire de police et la mère d’une victime. Pour moi il était hors de question que ce soit Guy Georges qui soit sur le devant de la scène !

Les réseaux sociaux, c’est fake

Il est urgent de recréer l’essence même de notre métier. Les réseaux sociaux, c’est fake. Les amis ? Ce sont des faux. Ça casse le lien humain de croire que les gens qui nous likent sont nos amis. Ces plates-formes mettent une distance entre la vraie vie, les vrais gens et les internautes qui scrollent derrière leur compte. C’est un danger pour moi. J’ai envie que les jeunes journalistes retournent sur le terrain et aillent réellement à la rencontre des gens.

Kim et les papys braqueurs, par Patricia Tourancheau, éditions du Seuil.

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