Body positive: Est-on vraiment obligé·e d’aimer son corps? (et que faire si l’on n’y parvient pas)
La bodypositivité est un mouvement qui prône l’acceptation de soi. Il se veut une réponse à la relation déplorable que beaucoup de gens entretiennent aujourd’hui avec leur corps. La question est de savoir si c’est utile et si, paradoxalement, cela ne rajouterait pas une nouvelle injonction et encore un peu plus de pression.
Nombreux sont celles et ceux à entretenir une relation compliquée et complexe avec leur corps. Bien sûr, tout le monde ne déteste pas son corps, certaines personnes en sont satisfaites, voire sont carrément heureuses du corps que leur a prêté dame nature. Mais, tout de même, il ne s’agit pas là d’une majorité. La grande majorité est critique, voire très critique, envers son propre corps. La plupart des femmes et beaucoup d’hommes n’ignorent en effet rien de ce qu’ils aimeraient changer chez eux. « Essayez de trouver une femme qui n’a jamais fait de régime », déclare encore la journaliste et réalisatrice radio Layla El-Dekmak, qui a réalisé un podcast sur le sujet pour la VRT.
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Cette sévérité envers notre corps est particulièrement regrettable lorsqu’on sait que notre estime de soi y est si fortement liée. Si les médias sont, à juste titre, souvent blâmés pour cette vision sans pitié de nous-mêmes, on a un peu trop vite tendance à oublier l’impact de notre environnement direct qui est lui aussi d’une sévérité à couper le souffle. « Le plus triste, c’est que les recherches ont montré que cette image faussée de soi commence déjà chez les enfants de l’école primaire », dit El-Dekmak. « Et cette pression, on la trouve aussi dans les petites choses. « Je ne me maquille pas souvent, mais quand je le fais, j’ai toujours des compliments. Parce que c’est plus proche de la norme, je suppose. »
« J’ai fait un régime pendant des années », dit Marie (42 ans). Je voulais absolument rentrer dans une taille 38. Quand j’ai perdu du poids après mon divorce, j’avais tout le temps des compliments. Que j’étais si bien. Alors que mon coeur était en mille morceaux. C’est alors que j’ai réalisé la quantité d’énergie, de temps et même d’argent que je consacrais à mon apparence, alors que cela ne me procurait pas un mariage heureux, des enfants épanouis ou un super travail. Maintenant que j’y consacre moins de temps et cela a libéré tellement d’espace mental et d’énergie. Il m’arrive encore de froncer les sourcils devant le miroir, mais la plupart du temps, je suis en paix avec ma taille 46. Mon corps est sain, il me permet de courir, danser et faire l’amour ». Marie aime-t-elle désormais son corps ? » Je n’irais pas jusque-là », dit-elle en riant. « J’aime certaines choses et d’autres beaucoup moins. Mais je ne le déteste plus. »
L’autocompassion, l’une des clés du succès
Activisme pro gros
S’accepter et s’aimer, quelle que soit son apparence, telle est la définition simpliste de la bodypositivity. Cette idée a été la base d’un mouvement social qui a débuté à la fin des années 1960 avec des militants noirs. Elles ont notamment fondé la National Association to Advance Fat Acceptance, et ont non seulement prêché l’amour de soi, mais aussi lutté contre la discrimination à l’égard de toute personne ne correspondant pas à l’idéal de beauté classique. C’est-à-dire toute personne qui n’était pas mince, blanche, jeune ou valide.
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Cet activisme militait donc aussi contre le capitalisme, la suprématie blanche et le patriarcat. Mais, tout comme pour le féminisme, le mouvement a connu différentes vagues », explique Marijne Van Boeckel, militante de la positivité corporelle.
Les médias sociaux ont été à la base de l’explosion du phénomène. Aujourd’hui, ce terme est très répandu, au point d’être souvent galvaudé puisque sous ce hashtag on retrouve des femmes minces s’exclamant à quel point elles s’aiment, et on peut même voir des entreprises de l’industrie du régime détourner le concept. Ces derniers prônent ainsi que tout corps est un bon corps, mais qu’il serait encore mieux s’il était un tantinet plus mince.
La bodypositity est donc à la mode, bien qu’elle reste principalement un phénomène en ligne. Sur Instagram, il existe des communautés entières autour de ce concept, mais dans les médias traditionnels, on ne voit encore qu’occasionnellement des mannequins de taille normale, plus âgés, ayant un handicap, noirs ou bruns, même si la représentation dans les médias est certainement plus diversifiée qu’il y a dix ans, affirme Sofie Van Bauwel, professeur d’études des médias à l’université de Gand.
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S’il n’y a rien de mal au fait que de nombreuses marques aient embrayées sur ce concept, et certaines étant même sincères, on peut légitiment se demander si ce n’est-ce pas faire preuve d’hypocrisie lorsqu’on imprime des slogans tels qu' »Aimez-vous » sur des T-shirts alors que votre marque de vêtements ne va que jusqu’à la taille 44 ?
Sans oublier que l’accent mis sur la taille fait passer au second plan la lutte contre la discrimination et pour l’inclusion.
Les deux côtés d’une même médaille
« Il ne faut pas sous-estimer la révélation que peuvent représenter des personnes ayant un « autre » corps et qui parlent d’elles-mêmes en termes positifs sur les réseaux sociaux et autres médias », déclare M. El-Dekmak. C’est souvent un réconfort, et aussi un premier pas vers l’acceptation de soi. Cela vous oblige à regarder votre corps d’une manière différente, plus positive. Quelque chose que Lara (27 ans) reconnaît. « Je suis allée pour la première fois chez une diététicienne à l’âge de dix ans, en espérant que la dame m’aiderait à être comme les autres filles ». Mais les graphiques avec ses courbes de poids et la honte de son corps, vont la cantonnée à une adolescence faite de régimes.
« Pendant longtemps, tout tournait autour de mon poids. J’ai fini par intégrer l’idée que ma valeur dépendait de mon tour de taille. Une idée qui s’est encore renforcée quand j’ai remarqué que les gens me traitaient différemment lorsque j’étais plus mince.
Ce mouvement de positivité corporelle m’a aidé à me sentir mieux. Mais j’y ai vu aussi d’hypocrisie et même des comportements toxiques, comme ceux qui critiquent les filles qu’ils estiment trop minces pour utiliser ce hashtag
Lorsque j’ai découvert la Bodypositivity, j’ai commencé à chercher sur Instagram des filles et des femmes qui me ressemblaient et qui n’avaient pas de mal avec ça. Ça m’a vraiment aidé, ça m’a montré à quel point j’étais cruelle avec mon propre corps. Pour changer cela, j’ai aussi suivi une thérapie. Pourtant, l’idée que je dois m’aimer n’est pas une évidence. Je suis moins stricte avec moi-même, mais je veux toujours perdre du poids et on attend toujours de moi que je le fasse. Alors oui, le mouvement de positivité corporelle m’a très certainement aidé à me sentir mieux, mais je vois aussi beaucoup d’hypocrisie et même des comportements toxiques. On critique par exemple des filles qu’on estime trop minces pour utiliser ce hashtag. Il y a des comptes que j’ai arrêté de suivre à cause de ça. Pour moi, le mouvement de positivité corporelle englobe toutes les formes de honte de son corps. Et on peut aussi être gêné par un corps qu’on estime trop mince. »
Adele est trop mince
Comme l’a souligné Lara, s’aimer tel que l’on est n’est pas si évident. « Je comprends l’idée », admet Louise (34 ans), « mais ce n’est pas comme s’il y avait un bouton dans ma tête que je pouvais actionner pour que j’aime mon corps. Je pense vraiment que mes seins sont trop gros et mon ventre trop gras. Or maintenant je me sens parfois coupable parce que je n’arrive pas à m’aimer. C’est comme si en plus la critique permanente sur mon corps, on m’imposait une obligation supplémentaire. « Aussi révélatrice que soit la positivité corporelle pour de nombreuses jeunes femmes, elle peut en effet compliquer les choses », soupçonne Van Bauwel. Si vous ne vous sentez pas tout à fait à l’aise dans votre peau, la bodypositivity peut en effet vous mettre encore davantage la pression.
L’amour de soi ne devrait pas être imposé comme une obligation. N’oublions pas non plus qu’il existe tout de même un idéal de beauté au sein du mouvement bodypositivity. Vous voyez principalement des images de belles jeunes femmes, à la peau impeccable, et généralement avec une silhouette en sablier. Louise trouve cela extrêmement irritant. Je suis une pomme. J’ai un gros ventre, des jambes fines et pas de fesses. Tout le monde me conseille toujours de porter des robes et d’accentuer ma taille » pour paraître plus mince « . Mais je ne suis pas mince et je n’ai certainement pas au niveau de mon tour de taille. Même sur les sites web des grandes marques, on ne voit souvent que des femmes de type pin-up, et jamais une femme avec un haut de corps comme le mien. Ce qui me donne l’impression d’avoir le mauvais corps « grande taille » .
C’est comme si en plus la critique permanente sur mon corps, on m’imposait une obligation supplémentaire
De plus, lorsque je dis à haute voix que j’aimerais perdre du poids ou que j’envisage une réduction mammaire, on me le reproche. Apparemment, il n’est plus de bon ton de vouloir changer son corps. Voyez aussi les tonnes d’insultes que se prend la chanteuse Adele, qui fût pendant des années une icône de femme ronde, depuis qu’elle a perdu du poids de manière drastique. « L’intensité de ces réactions est étonnante », convient le professeur Van Bauwel. Il semble qu’il n’y ait pas d’échappatoire. Si vous prenez du poids, c’est critiqué, mais si vous perdez du poids, c’est pareil. Tout le monde ressent le besoin de faire des commentaires sur quelqu’un comme Adele, alors qu’en fin de compte, ce qu’elle fait de son corps ne regarde qu’elle ».
La chanteuse Adele a été une femme ronde iconique. Elle se prend des tonnes d’insultes depuis qu’elle a perdu du poids de manière drastique.
L’idée que vous devez célébrer tout votre corps, et donc même les parties que vous n’aimez pas, est épuisante selon Layla El-Dekmak. « Tu dois dire non toute la journée, car tout le monde doit suivre un régime puisque seul un petit groupe est naturellement doté d’un corps qui correspond à la norme de minceur. Hier, j’ai vu un groupe de jeunes gens sur une terrasse : les garçons mangeaient des hamburgers et les filles des salades. C’est un combat de chaque instant. En plus, elles devraient en théorie presque avoir honte de faire cela, car cela fait d’elle des personnes vaniteuses qui ne sont pas positives envers leur corps. Les magazines ne parlent peut-être plus de régimes amaigrissants, mais ils parlent de faire le plein d’énergie et de rester en bonne santé. Cela qui revient à la même chose. En réalité, cela reste très difficile de parler honnêtement de ce sujet », affirme M. El-Dekmak. « Ces sentiments et ces idées contradictoires nous hantent. C’est non seulement épuisant, mais aussi incroyablement solitaire ».
Un piège vicieux: si on s’aime pas, c’est de sa propre faute
« L’une des clés de tout ce débat est le fait que la bodypositivity fait appel à notre responsabilité individuelle », dit Van Bauwel. Il s’agit de la façon dont la société nous impose un idéal de beauté, mais aussi de quelle façon nous sommes les gardiens de notre propre corps et de la manière dont nous le regardons. Seulement, nous ne vivons pas seuls au milieu de nulle part. Les images de corps de rêves auxquelles nous aspirons sont peut-être irréalistes, mais elles n’en sont pas moins tout autour de nous ».
La bodypositivity reconnaît que nous avons un problème avec notre image de soi et que nous poursuivons des idéaux irréalistes.
La bodypositivity reconnaît que nous avons un problème avec notre image de soi et que nous poursuivons des idéaux irréalistes. Elle critique à juste titre ce système, plaide pour plus de diversité et ouvre le débat en ligne. Le mouvement pose le bon diagnostic, mais offre-t-il le bon remède ? On a en effet pas toujours le contrôle sur la façon dont vous regardez votre corps et cette individualisation n’aide pas. La bodypositivity vient du même monde que l’idée qu’elle combat, affirme Giselinde Kuipers, professeur de sociologie à la KULeuven.
Dans son essai Appearance and Exclusion, Kuipers précise que la beauté a pris beaucoup d’importance au cours des cent dernières années. Il y a cent ans, seules les personnes aisées, et surtout les femmes, se souciaient de leur apparence. En l’espace d’un siècle, un changement culturel s’est opéré et le statut social de la beauté a changé. Aujourd’hui, nous attachons tous de l’importance à avoir une belle apparence. Si en 1900, s’habiller était moralement douteux, aujourd’hui c’est une sorte de devoir moral : il faut être beau. Un ménage belge moyen consacre désormais quinze pour cent de ses revenus à son apparence.
Les médias jouent certainement un rôle puisqu’il y a un siècle, nous voyions beaucoup moins d’images des autres et de nous-mêmes. Aujourd’hui, ils sont omniprésents et nous regardons les autres et nous-mêmes avec un oeil acéré. L’essor de la société de consommation, qui esthétise tout ce qu’elle produit, a conduit à la création d’une industrie de la beauté qui nous dit que notre apparence peut être fabriquée. La beauté d’aujourd’hui est un projet permanent et qui dure toute la vie, puisqu’on ne peut pas avoir l’air vieux. Mais cela coûte de l’argent, donc la beauté reste quelque chose d’élitiste et, pour beaucoup un idéal inaccessible. Et puis il y a l’essor de l’économie des services. Celui qui travaillait dans les champs ou dans une usine n’avait pas besoin d’être beau. C’est le cas de ceux qui travaillent à un bureau ou avec des clients. Les employeurs exigent donc que les gens prennent soin d’eux-mêmes. L’essor récent des médias sociaux, quant à lui, a fait en sorte qu’il n’existe pas un, mais plusieurs idéaux de beauté. Nous voyons donc tout un système social qui nous dit que l’apparence est cruciale pour notre estime de soi et que la beauté est le fruit d’un travail. La bodypositivity s’inscrit dans ce cadre, car il s’agit toujours de votre apparence individuelle. Elle demande aux individus de lutter contre le système sans remettre en question le système lui-même. Elle nous enseigne que l’image compliquée que nous avons de nous-mêmes est de notre propre faute tout en omettant la discrimination qui existe dans de nombreux domaines’.
La neutralité corporelle est effectivement un meilleur concept que la positivité corporelle, mais elle renvoie toujours la responsabilité aux individus.
On ne doit pas s’aimer, on peut aussi n’en avoir rien à faire
Et si nous nous penchions sur ce qui fait notre valeur, indépendamment de notre apparence ? Cette question a été posée par l’actrice britannique Jameela Jamil à ses followers sur les médias sociaux. C’est une belle idée, dit El-Dekmak. Vous prenez ainsi le temps de réfléchir à ce que vous êtes, à ce qui fait que vous êtes vous. C’est un bon exemple de neutralité corporelle, car il s’agit de l’idée que votre apparence n’est pas tout, et que votre corps est juste là pour vous permettre de vivre votre vie. La neutralité corporelle est effectivement un meilleur concept que la positivité corporelle, reconnaît M. Kuipers, mais elle renvoie toujours la responsabilité aux individus. Quelqu’un qui a une meilleure image de lui-même sera tout de même confronté aux standards omniprésents’. Comment faire du coup ? Honnêtement, je n’en ai aucune idée. Mais nous devrions commencer par oser regarder le système en face et le critiquer ».
La neutralité corporelle a quelque chose de rafraîchissant, malgré cet aspect individuel, pense Van Bauwel. Et le concept a beaucoup de potentiel. Se défaire de cette pression de la beauté et de l’apparence, et surtout réduire son influence sur notre estime de soi et notre place dans la société est une évolution positive. Ne serait-ce que parce que cela ouvre le débat. Parfois, c’est même presque faire acte de rébellion, comme nous le précise Jesse (50 ans). Je suis gros, et quand j’utilise ce mot, certains se crispent. Parce que pour eux, c’est un jugement, alors que je le vois comme une description, comme « cheveux bruns » ou « drôle ». Tout comme les gens sont interloqués lorsque vous leur dites que vous ne voulez pas perdre de poids parce que la vie est trop courte pour y consacrer du temps et de l’énergie alors qu’il y a des centaines de choses plus fascinantes. Les gens sont sincèrement surpris parce que cette idée est tellement inhabituelle. Un ami m’a dit : « c’est même carrément révolutionnaire ». Peut-être que c’est effectivement le cas. »
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