Maladie, vieillesse… Comment gérer quand le rôle parent-enfant s’inverse?

comment gérer la vieillesse de ses parents
La parentification se produit quand la relation parent-enfant s'inverse - Getty Images
Nathalie Le Blanc Journaliste

Un enfant qui s’occupe de son parent, ou qui adapte son comportement pour lui causer moins de soucis… C’est ce qu’on appelle la parentification. La psychologue Annie Nuyts nous éclaire sur sa signification en nous avertissant d’emblée: le concept doit être nuancé, et l’usage du mot adapté au contexte familial. Explications.  

La parentification, comme le terme le laisse supposer, est liée à la parentalité. Pour faire simple, « la parentification est une période d’inversion des rôles, au sein d’une famille, lorsqu’un enfant prend un peu le rôle de parent », explique Annie Nuyts, thérapeute familiale, chargée de cours au programme de thérapie systémique postuniversitaire de Thomas More et auteure avec Lieve Sels, de Between people. Contextual thinking about relations, family and company (LannooCampus).

Le mot « parentification » est parfois usité dans la littérature, dans les services sociaux et appartient désormais au langage courant – « cette personne est parentifiée ». Mais il s’agit en réalité d’une mauvaise utilisation du concept. La parentification décrit une dynamique relationnelle au sein d’une famille, pas d’une personne. Ce n’est pas non plus un diagnostic.

Le terme a été utilisé pour la première fois en 1967, par un psychothérapeute argentin, Salvador Minuchin. L’idée a ensuite été développée par l’Américain d’origine hongroise Ivan Boszormenyi-Nagy. Minuchin parlait principalement des conséquences négatives de la parentification. Boszormenyi-Nagy, psychiatre, thérapeute familial et fondateur de la thérapie contextuelle, a quant à lui découvert qu’il existe une parentification à la fois destructrice et constructive.

Aide à la maison

« L’exemple type est celui d’un parent qui tombe malade et où l’enfant commence à s’occuper des tâches ménagères ou bien aide à prendre soin de son père ou de sa mère. Cela va donc au-delà d’une simple aide à la maison. Cela peut également prendre la forme d’une sorte de « partenariat », où l’enfant devient confident, soutien émotionnel et défenseur du parent. Mais on parle aussi de parentification pour un enfant qui fait des efforts incroyables à l’école, ou qui essaie de se comporter aussi bien et discrètement que possible pour éviter d’inquiéter davantage des parents qui traversent une période difficile.

Supposons qu’un parent soit déprimé. L’enfant peut alors commencer à adopter un comportement afin de rassurer le parent et de lui apporter une certaine tranquillité. Ou à l’inverse, il pourra causer des problèmes, pour le faire réagir. C’est un mécanisme qui permet de s’assurer que ses parents, perturbés à cause d’une dépression ou d’un divorce par exemple, portent néanmoins un peu d’attention au bien-être de leurs enfants.

Enfin, il y a les enfants qui ressentent un besoin d’attention chez leur parent et qui, par conséquent, se font tout petits. On observe souvent ce phénomène au sein de familles où la relation de couple a perdu de son sens et où la parentalité bienveillante essayer combler cette lacune. » La parentification prend donc de nombreuses formes. Si vous vous interrogez sur votre passé, demandez-vous: comment avez-vous essayé d’être un bon enfant pour vos parents?

Une inversion des rôles pas forcément négative

« Nous avons probablement tous vécu des moments de parentification », affirme Annie Nuyts. « Dans le cours normal des choses, les parents s’occupent de leur enfant, mais dans des situations de crise ou de problèmes, il est effectivement normal que les rôles soient parfois confus. La crise perturbe l’équilibre au sein d’une famille et la parentification peut être considérée comme une tentative de l’enfant et de la famille de faire face à cette crise. Ce n’est pas nécessairement un problème, et ce n’est pas toujours aussi négatif qu’on le prétend souvent. »

Lorsqu’un enfant assume le rôle de soignant, on peut voir cela comme une forme d’auto-préservation, ou plutôt de préservation de la famille. De cette façon, celle-ci peut continuer à fonctionner et à survivre, même dans des circonstances plus difficiles.

Apprendre à prendre soin

« Si un certain nombre de conditions sont remplies, la parentification ne devrait pas avoir de conséquences négatives, ajoute la psychologue. La thérapeute familiale néerlandaise Annelies Onderwaater voit d’ailleurs différents degrés à ce phénomène. Il existerait ainsi un comportement d’aide normal, les enfants effectuant certaines tâches ménagères et assumant certaines responsabilités. C’est une sorte d’école de formation à la vie adulte, un processus tout à fait normal. 

Ce n’est que lorsque cette aide devient réellement un renversement des rôles, que la parentification apparaît. Cela ne devrait pas non plus poser de problème si cette inversion est temporaire et si l’enfant est reconnu pour ses efforts. Autrement dit, quand on dit clairement qu’il est bien qu’un enfant fasse un tel effort, et quand on reconnaît que ce n’est ni facile ni évident. »

Ce rôle de « parent » temporaire ne doit pas gêner le développement de l’enfant. S’il requiert du travail, par exemple pour s’occuper d’un parent malade, et qu’il implique un rognage sur le temps scolaire, les passe-temps ou les amis, par exemple, c’est que cette parentification est négative.

« Le sentiment de justice qu’éprouve un enfant est également important, précise Annie Nuyts. Les situations peuvent être tout à fait différentes. Faire des courses parce que son parent est gravement malade, ou parce qu’il a un problème de dépendance, ça n’est pas la même chose que de prendre en charge papa ou maman pour des problèmes de violence ou de dépendance. Dans le premier cas, l’enfant comprend que c’est difficile, mais que c’est aussi important. « J’aide maman. » Dans le deuxième cas, l’enfant sent que ce n’est « pas bien ». Souvent, ça doit rester secret. Cela rend la situation beaucoup plus lourde et négative. »

La loyauté est ici également un facteur important et bien sûr la personnalité des parents et des enfants joue également un rôle, continue la thérapeute. « Tous les enfants ne réagissent pas de la même manière face à la même situation. Les enfants d’un tempérament dévoué seront plus prompts à remplir spontanément des rôles de soins, par exemple. »

Si l’inversion des rôles est temporaire, si l’enfant est considéré dans ce qu’il fait, si son développement est pris en compte et est perçu comme juste, la parentification peut être une sorte d’expérience d’apprentissage, affirme l’experte. « Cela peut aider à développer des compétences, à découvrir que vous êtes résilient et peut-être même que vous êtes doué, par exemple, pour prendre soin des autres. On rit parfois en disant que les soins de santé ne seraient rien sans la parentalité, car de nombreux professionnels de la santé ont été confrontés à de telles circonstances parentales en grandissant, mais ont réussi à transformer cette vulnérabilité en qualité. »

Parentification négative

« Si la situation dans laquelle un enfant assume le rôle de parent dure trop longtemps ou est trop difficile, et si l’enfant n’a plus la possibilité d’être un véritable enfant, alors on parle de parentification destructrice, continue la psychologue. L’enfant n’est alors pas considéré dans ce qu’il fait, et peut même être traité de paresseux ou de maladroit si tout ne se passe pas comme prévu. Ce constat est souvent fait dans le contexte de familles où l’un des parents a un problème de dépendance, ainsi que dans les familles où surviennent des violences domestiques ou de la négligence. L’enfant est parfois confronté aux troubles de l’humeur de ses parents dès son plus jeune âge et assume de nombreuses tâches et responsabilités. Il y a aussi souvent de la honte et de la culpabilité, car ce qui se passe à la maison ne peut pas être partagé avec le monde extérieur, et est vécu de manière incroyablement solitaire. C’est comme s’il n’y avait pas d’air dans la famille. Ce ne sont pas les tâches de garde qui ont un impact négatif sur l’enfant le plus souvent, mais bien cette solitude. »

Un autre problème se situe dans l’impact de ce type de parentification destructrice à long terme. « Ce rôle endossé par l’enfant, pour ainsi dire, vous pénètre dans la peau, s’intègre à votre personnalité et peut également l’affecter, explique encore Annie Nuyts. Cela vous empêche de devenir ce que vous pourriez être parce que vous avez dû vous occuper de beaucoup de choses. Les conséquences de cette forme négative de parentification sont multiples: augmentation des risques de dépression, de sentiments de culpabilité, de colère réprimée et une susceptibilité accrue à l’épuisement professionnel parce que les gens n’ont pas appris à fixer des limites. On voit souvent que ces personnes sont prises dans une sorte d’ambivalence. Ils se demandent qui va s’occuper d’eux, mais en même temps ils ne sont pas disposés à recevoir eux-mêmes des soins, de l’attention. Leur identité est trop centrée sur le souci des autres, avec toutes les conséquences que cela implique. »

Et la psychologue de pointer le fait que, la plupart du temps, les gens ne viennent pas voir des thérapeutes ou des prestataires de soins parce qu’ils se sentent “parentisés”. « La parentification vécue est généralement abordée indirectement pour expliquer d’autres soucis, telles que la dépression, l’épuisement professionnel et des problèmes relationnels. Il est bon d’y accorder l’attention appropriée et, dans le cas d’un burn-out, par exemple, de ne pas se limiter aux questions liées au travail, mais aussi de vérifier ce qui s’est passé dans le contexte familial et si la parentification a pu jouer un rôle dans ce contexte.»

L’évolution du statut de l’enfant

Ce qui était autrefois considéré comme une simple tâche quotidienne fait aujourd’hui partie du rôle d’aidant. Cela change notre vision du statut de l’enfant, de son rôle et de sa position au sein de la famille. « Parentification » est un mot récent qui a été mis sur un concept qui, autrefois, n’était pas (ou peu) décrit.

Annie Nuyts donne l’exemple des familles de migrants ou de primo arrivants, où les enfants sont amenés à servir de « traducteurs » dans certaines conversations, dans les services administratifs par exemple, tout simplement parce qu’ils parlent mieux la langue que leurs parents.

« Nous fonctionnons tous au sein d’une société, d’un contexte et d’un cadre temporel. Les changements sociétaux jouent un rôle dans la façon dont nous envisageons la relation entre parents et enfants, analyse la psychologue. Alors qu’autrefois, les enfants devaient fournir beaucoup d’efforts à la maison, c’est beaucoup moins le cas aujourd’hui. Très jeune, ma sœur se déplaçait à vélo avec un bébé dans un siège arrière. On attendait des filles qu’elles participent très tôt aux tâches ménagères, ce qui est beaucoup moins le cas aujourd’hui. » Et d’ajouter qu’aujourd’hui, les séparations et les familles composées sont également plus nombreuses, ce qui peut contribuer à créer de la confusion dans les rôles de chacun, et dans la perception de celui de son enfant, et des éventuelles conséquences sur sa vie actuelle et future.

La thérapeute met en garde: « On entend parfois dire que les parents pensent que leur enfant a tout assimilé correctement, parce que ses notes à l’école sont restées excellentes. Mais ce n’est pas toujours un signe de bien-être mental: il est possible que l’enfant s’efforce juste de soulager ses parents en ne leur causant pas de problèmes supplémentaires. »

Parentification à la maison: que faire?

D’une certaine manière, la parentification fait partie de la vie des familles. Elle est souvent inéluctable, et quand on sait qu’elle peut aussi avoir des conséquences positives, il n’est pas toujours nécessaire de se sentir coupable en tant que parent, insiste Annie Nuyts. « Mais pour éviter les conséquences négatives, il faut rester vigilant. Assurez-vous que la situation ne dure pas et nommez-la. Expliquez clairement à votre enfant que vous savez que cela ne va pas de soi et que c’est même difficile pour lui ou pour elle. Cette appréciation et le simple fait d’être considéré sont très importants pour un enfant: cela l’empêche de se sentir seul. »

Les travailleurs sociaux ou les personnes de l’entourage sont parfois sévères avec les parents et les rappellent à l’ordre lorsqu’ils constatent une parentification. Mais la plupart du temps, cela ne fonctionne pas. Au contraire, cela peut aggraver le phénomène, qui est alors dissimulé. Si la parentification est un problème, l’élargissement de son cercle social est bénéfique pour l’enfant. Recherchez des personnes de soutien supplémentaires qui peuvent aider l’ensemble de la famille. Des amis, des membres de la famille, des voisins qui peuvent intervenir. Les familles isolées – et leurs enfants – sont plus exposées aux problèmes, il est donc primordial être attentif à cela ».

Dans cette dynamique de parentification, il est essentiel de veiller à ce que l’enfant ait toujours un endroit où il peut rester un enfant, quoi qu’il se passe dans sa vie.  « Les amis, un hobby, voire un mouvement de jeunesse sont essentiels à ce stade ». Le thérapeute familial Peter Rover souligne, pour sa part, l’importance des « îlots de calme » comme moyen de réduire ou de prévenir les risques de parentification problématique.

Pour Annie Nuyts, ce qu’il ne faut surtout pas faire, c’est utiliser le terme de parentification à tort et à travers. Ni présupposer qu’il est entièrement négatif. « Il s’agit d’un concept nuancé et nous devrions nous méfier d’une inflation ou d’une vulgarisation trop large du terme. » Dont acte.

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