Devenir Capitale de la culture : des stratégies plus ou moins payantes

Vue sur l'ancien port de Gênes, capitale européenne de la culture en 2004 © Belga Image

Pour les deux Capitales de la culture 2017, inconnues au-delà des frontières de leur pays, ce coup de projecteur médiatique est une aubaine. Décryptage d’un programme phare de la politique européenne.

Aarhus, au Danemark, et Paphos, sur l’île de Chypre. Ce sont les candidatures retenues par la Commission au titre de Capitales européennes de la culture en 2017. Un titre décerné chaque année à des villes du Vieux Continent, avec à la clé un effet dopant indéniable. Les rubriques touristiques des magazines se penchent sur ces destinations parfois méconnues du grand public, les comparateurs de vols voient les statistiques du pays accueillant augmenter et le secteur horeca se frotte les mains en attendant la manne censée accompagner l’événement.

Amsterdam (1987)
Amsterdam (1987)© Getty Images/iStockphoto

Mais à quoi correspond exactement ce statut, créé il y a un peu plus de trente ans ? Perçues aujourd’hui comme de vastes opérations marketing, ces capitales culturelles furent avant tout un habile coup politique. « Nous sommes au début des années 80, l’Acte unique européen se prépare et présente un bond en avant pour les Communautés, contextualise Oriane Calligaro, chercheuse à l’Institut d’Etudes européennes. On est dans la phase qui va mener au grand marché unique, le déficit démocratique est déjà dans l’air, il y a cette idée chez plusieurs dirigeants européens qu’il faut créer un plus grand attachement des citoyens pour la cause européenne. »

Le ministre de la culture français, Jack Lang, aidé par l’ancienne actrice et populaire ministre grecque Melina Mercouri, vont pousser le concept. L’impact sur l’Union que l’on connaît aujourd’hui est beaucoup plus important qu’il n’y paraît. « A l’époque, les Communautés européennes n’ont aucune compétence dans le domaine de la culture. Certains pays comme le Danemark ou la Grande-Bretagne se sont d’ailleurs vivement opposés au projet. La culture est un domaine sensible, lié aux identités nationale et régionale. On peut considérer que ce qui ne deviendra un programme que dans les années 90 a joué en faveur de l’apparition de la culture comme compétence de l’Union européenne, dans le traité de Maastricht, en 1992. »

Redynamiser des villes

Glasgow (1990)
Glasgow (1990)© Getty Images/iStockphoto

En 1985, la première « ville européenne de la culture » – titre original de l’événement – fut Athènes. Suivirent Florence, Amsterdam, Berlin et Paris, des cités à l’offre culturelle préexistante forte. Comment est-on passé de la gardienne de l’Acropole à des villes comme Bologne (2000) ou Cork (2005) ? Glasgow 1990 constitue un tournant : « C’est un choix que l’on n’attendait pas, note Oriane Calligaro. Il y a un changement de stratégie. A partir de là, on voit apparaître la volonté d’utiliser le programme comme un moyen d’aider les villes à se régénérer par la culture. »

Un pari amplement réussi, à en croire Robert Plamer, directeur de Glasgow 1990 : « Il y a eu un spectaculaire changement d’image. La cité écossaise était perçue comme une ville post-industrielle violente. Désormais, elle est célébrée comme un pôle culturel et créatif important. L’héritage de l’événement inclut une amélioration globale des infrastructures, notamment les transports publics. Cela a entraîné un développement économique et a permis à la ville d’accroître son centre d’affaires. Le boom touristique, lui, a été énorme. »

De nombreuses autres villes ont profité du titre pour redorer leur blason et amorcer une nouvelle politique culturelle. Ainsi, la Commission européenne estime que chaque euro public investi dans Lille 2004 a permis à l’économie locale d’en gagner huit.

Lille (2004)
Lille (2004)© sdp

Guide à Liverpool, capitale européenne de la culture 2008, Neil McDonald note un « avant » et un « après » cette année clé. « L’impact social, économique et culturel a été considérable. Nous avons vu arriver 9,7 millions de visiteurs, soit une augmentation de 34 %, et cela a généré 753,8 millions de livres (NDLR : environ 875 millions d’euros). Un nombre incroyable d’événements à succès continuent de se produire et découlent de ce moment-là, cela a fait croître le nombre d’étudiants dans nos universités, et nous avons aussi reçu le prix Turner pour l’architecture. »

Un long processus

Une belle carotte qui a notamment poussé Mons à se porter candidate pour 2015.

Chef de cabinet d’Elio Di Rupo puis secrétaire générale de la fondation Mons 2015, Anne-Sophie Charle a suivi le projet depuis le début et relate les étapes d’un processus au très long cours. « En 2002, Mons avait été nommée capitale culturelle wallonne, nous étions en plein redéploiement par les arts et l’on parlait beaucoup de Lille 2004 qui se préparait. Nous nous sommes dit que c’était une belle occasion à saisir. En 2004, nous avons annoncé que nous étions candidats pour 2015, année où la Belgique était désignée. Nous avons ensuite dû passer devant une commission d’experts issus du monde de la culture : patrons de grandes structures ou d’anciennes capitales culturelles, hauts fonctionnaires européens, etc. Nous avons été régulièrement auditionnés, des remarques ont été formulées et Mons a été officiellement nommée en 2010. »

Mons (2015)
Mons (2015)© ELECTRO NIGHT © JEAN-FRANÇOIS BERHIN

Comme chaque participant, elle a pu profiter de plusieurs années pour mener à bien un projet dont le pilotage artistique est toujours confié à un organisme censé être indépendant des pouvoirs en place dans la ville.

Devenir Capitale de la culture : des stratégies plus ou moins payantes
© Belga Image

Mons 2015, le vrai bilan

Pas de subsides

Si le titre est associé à des « promesses » de succès, il ne vient avec aucune enveloppe budgétaire offerte par l’Europe. « Il n’y a pas de subvention. La seule chose qui existe est un prix.

Berlin (1988)
Berlin (1988)© Getty Images/iStockphoto

Lors du dernier passage devant un jury de la Commission, six mois avant le début de l’événement, si tout se passe comme convenu, il y a une recommandation pour le prix Melina Mercouri d’une valeur de un million et demi d’euros, c’est tout. Il faut néanmoins noter que l’Europe contribue autrement, ne serait-ce que par les projets de type FEDER (fonds destinés à redynamiser des régions). Dès que l’on a décidé d’être candidat, nous avons déposé des fiches-projets pour rénover nos musées, notre palais des congrès, nos salles de concert et nous avons eu des moyens financiers accordés par l’UE. »

Une année… de 15 ans

Si le bilan de l’événement a déjà été lourdement commenté, Fabienne Leloup, professeur à l’UCL Mons, estime qu’il est trop tôt pour faire les comptes. Pour cette spécialiste de la culture comme levier de développement, une année de capitale européenne de la culture réussie ne prend pas fin le 31 décembre.

Florence (1986)
Florence (1986)© Getty Images/iStockphoto

« C’est le long terme qui compte. Contrairement à une exposition universelle plus conjoncturelle, qui va se produire à un moment précis et où on va ensuite utiliser l’installation autrement, une capitale européenne de la culture est plus structurelle. Elle va offrir une visibilité, mais elle va surtout permettre de se poser et de réfléchir sur l’avenir. »

N’est pas Bilbao qui veut

Le titre est-il toujours un bon placement ? Fabienne Leloup nuance : « C’est difficile à dire. Dans les études faites, on trouve des effets positifs : cela attire des gens et développe l’horeca. Mais on voit aussi que la question de la pérennité des investissements pose parfois problème. Pour un musée, par exemple, on doit continuer à bénéficier d’un financement par la suite, et à proposer des expositions de qualité. Il faut voir la portée sur 5, 10 ou même 15 ans. »

La chercheuse met en garde contre une interprétation magique de « l’effet Bilbao », une ville qui a véritablement pu renaître suite à l’installation du musée Guggenheim en 1997. « On a l’impression « qu’il suffit de », mais Bilbao, ce n’est pas juste la création d’un musée par une fondation, c’est une stratégie de différents opérateurs de la ville qui ont cherché une nouvelle orientation et imaginé des voies de transport, des aménagements… »

Quelles traces laissera Mons 2015 ? Qu’offriront demain les cinq musées créés pour l’occasion ? La culture y a-t-elle réellement gagné des points ? Difficile de voir loin. Mais actuellement, Cold Blood, la pièce de Michèle Anne De Mey, Jaco Van Dormael et Thomas Gunzig issue de l’événement, fait un tabac. On sait aussi que d’autres héritages sont parfois inattendus, à l’image de la Zinneke Parade, progéniture de Bruxelles 2000 dont beaucoup ont oublié l’origine…

Par Céline Fion

Aarhus, au Danemark

Aarhus
Aarhus© Getty Images/Lonely Planet Image

La culture fait-elle le bonheur ? Aarhus a en tout cas reçu le titre de « ville la plus heureuse du Danemark » et, quand on connaît la position du pays sur les baromètres à smileys, cela donne envie d’aller jeter un oeil dans la péninsule du Jutland. Cité étudiante mêlant des musées consacrés à l’art des Vikings comme aux oeuvres contemporaines, la pétillante Danoise va tenter de séduire autour du slogan « Let’s rethink ».

Paphos, à Chypre

Paphos
Paphos© Getty Images/iStockphoto

Capitale chypriote dans l’Antiquité, Paphos est connue pour ses mosaïques romaines, ses temples et son site archéologique classés par l’Unesco. Bordée par la mer, elle est devenue une station balnéaire prisée. Entre les transats et les vitrines à souvenirs, la charmante cité portuaire a un fameux défi à relever pour se forger l’image d’une destination créative, riche d’une culture moderne et dynamique. Thème de l’année : « Lier les continents, créer des ponts entre les cultures ».

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