La Jamaïque a su préserver son authenticité malgré les clichés

Beaucoup de plages ont été privatisées, mais il existe encore quelques petites criques sauvages, comme ici, près de Port Antonio. © Frédéric Stucin

Terre rasta mythique et fantasme hollywoodien, la Jamaïque a conservé son charme désuet et tropical. Voici cinq raisons de découvrir cette île des Caraïbes où le cool est une philosophie.

Faites le test et dites « Jamaïque » dans un dîner ou auprès de vos amis. Les réponses vont fuser : « C’est le pays de Bob Marley », « Ils courent très vite » ou « Ils fument des pétards toute la journée ». Cette nation indépendante des Caraïbes est bardée de clichés. Si les resorts ont envahi les littoraux, et que les dernières plages publiques se comptent sur les doigts d’une main, la troisième plus grande île des Antilles regorge de petites pensions traditionnelles, de charmants restos et d’adresses authentiques où continuent à flâner des ambiances aussi exotiques que typiques.

Au coeur de Kingston.
Au coeur de Kingston.© Frédéric Stucin

REVIVRE LE MYTHE 007

Rendez-vous au Golden Eye, à Oracabessa, un des hôtels de Chris Blackwell. Producteur britannique et fondateur du label Island Records, dont la famille est installée sur l’île depuis des générations, on lui doit notamment la carrière de Bob Marley, qu’il « signe » au début des années 70. Aucun panneau n’indique le lieu, la voiture enchaîne les demi-tours pour terminer sa course face à un portail noir surmonté d’une pancarte « Propriété privée ». L’entrée est aussi bien gardée que celle du MI6, il nous faudra décliner notre identité et patienter avant de pouvoir pénétrer dans le saint des saints. Normal, cet établissement légendaire est non seulement le refuge de nombreuses célébrités, mais surtout la demeure de Ian Fleming, l’endroit où naquit, de sa plume, le plus célèbre des agents secrets. La voiture s’enfonce dans cette oasis tropicale où quelques jardiniers s’affairent sous une chaleur de plomb. En traversant le jardin, nous remarquons des panneaux aux pieds de certains arbres. « Des clients de renom les ont plantés au profit d’une association », explique la manager de l’hôtel. River Phoenix, Cindy Crawford, Martha Stewart et, plus récemment, Beyoncé ; une forêt entière de spécimens exotiques témoigne du passage de ces beautiful people.

Les Dunn's River Falls donnent à des cohortes de touristes l'occasion d'imiter Sean Connery et Ursula Andress dans une fameuse scène de Dr No. Le glamour en moins...
Les Dunn’s River Falls donnent à des cohortes de touristes l’occasion d’imiter Sean Connery et Ursula Andress dans une fameuse scène de Dr No. Le glamour en moins…© Frédéric Stucin

La visite commence par la villa Fleming, une superbe propriété de cinq chambres avec piscine et plage privées. L’endroit a été rénové mais est resté dans son jus ; des portraits de l’auteur ornent les murs et on peut même admirer le bureau sur lequel il a écrit les quatorze aventures de l’agent 007. Plus abordables, l’hôtel dispose de bungalows (vue sur mer ou sur lagon) avec tout le confort d’un 5-étoiles et un bar les pieds dans l’eau (turquoise !). A la carte, le Golden Eye, le cocktail signature de l’hôtel à base de rhum Blackwell et d’ananas, que l’on sirote à grandes gorgées à moins de se prendre pour Pierce Brosnan dans la peau de Bond, avec un dry Martini.

S’ESSAYER À LA SLOW LIFE AMBIANTE

Le bruyant centre-ville de Port Antonio, où des haut-parleurs diffusent des tubes jamaïquains.
Le bruyant centre-ville de Port Antonio, où des haut-parleurs diffusent des tubes jamaïquains.© Frédéric Stucin

La route qui relie Oracabessa à Port Antonio, à la pointe orientale, longe la mer, traverse de petits villages encombrés d’habitations bariolées. Aucune maison ne se ressemble, les façades sont complètement dépareillées, mais l’ensemble est irrésistible. Port Antonio est sûrement l’endroit le plus sauvage de l’île. Les derniers paradis et criques isolées y sont planqués et encore bien préservés. A commencer par la marina Errol Flynn – où font escale les plus beaux voiliers -, baptisée ainsi en l’honneur de l’acteur, à l’origine de l’essor du tourisme local dans les années 50.

Ambiance de vacances à la marina Errol Flynn de Port Antonio.
Ambiance de vacances à la marina Errol Flynn de Port Antonio.© Frédéric Stucin

« Flynn a eu un coup de foudre pour Port Antonio en débarquant en 1942, après une tempête en mer », explique notre guide Louise, incollable sur l’histoire de l’île. L’acteur, décédé il y a près de soixante ans, reste pourtant dans tous les esprits. En contrebas de l’unique restaurant des environs, la petite plage est envahie par les familles. Les enfants s’éclaboussent à grands cris, il règne une ambiance de vacances. Parfois même, une brise aux relents de marijuana vient nous chatouiller les narines. Mais la nuit n’est jamais loin en Jamaïque et, déjà, le soleil décline. Dans la ville, le centre est bruyant, grouillant, et un vieux haut-parleur crache de la musique des années 90. La circulation est dense, chacun y va de son coup de klaxon. « Hé, rasta man ! », c’est ainsi que les gens s’invectivent. On se croirait dans une jungle urbaine. Des hommes qui portent les dreadlocks jusqu’aux genoux tiennent les murs, les femmes aux brushings délirants papotent dans les salons de coiffure.

La Kanopi House, premier écolodge de l'île.
La Kanopi House, premier écolodge de l’île.© Frédéric Stucin

A la sortie de la ville, une pancarte indique « Kanopi House ». Bienvenue dans le premier écolodge de Jamaïque. Ses cottages en bois sur pilotis sont tellement bien dissimulés dans la jungle qu’on peine à les distinguer. Aucun arbre n’a été coupé lors de sa construction et les tapis ont été tissés en fleur de bananier. L’intérieur des cabanes sent le bois de guango, le parquet craque à chacun de nos pas ; le confort est simple, mais raffiné, et le personnel d’une gentillesse et d’une discrétion infinies. Cet endroit est l’incarnation d’un mode de vie slow life, avec une dose de raffinement exotique. Un petit paradis que l’on voudrait garder pour soi, comme cette crique quelques kilomètres plus bas nommée Frenchman’s Cove, l’une des seules plages publiques de l’île, à laquelle on ne peut accéder qu’après s’être acquitté (tout de même !) de la modique somme de 7 dollars. Les palmiers qui l’encadrent et la mer bordée par ce sable immaculé dessinent un décor de carte postale.

GOÛTER AUX PIMENTS LOCAUX

Un jerk center, à Buff Bay.
Un jerk center, à Buff Bay.© Frédéric Stucin

Pas édulcorée non plus, la cuisine jamaïquaine laisse un souvenir piquant sur le palais. Louise nous conseille Miss T’s, à Ocho Rios, une gargote à ciel ouvert, pour un dîner authentique. Tenue par Miss Tomlinson, c’est l’une des meilleures adresses de « jerk », la spécialité de l’île ; une viande – de poulet, de porc, ou parfois du poisson – marinée et frottée à un mélange d’épices (clous de girofle, cannelle, noix de muscade, thym) augmenté de « scotch bonnet », un piment très piquant. Le résultat… est un poil abrasif. « Ici, c’est un plat très populaire.

Le très épicé jerk, spécialité jamaïcaine.
Le très épicé jerk, spécialité jamaïcaine.© Frédéric Stucin

D’ailleurs, il existe des jerk centers un peu partout sur l’île, des regroupements de petits barbecues en pleine rue. » Direction le Boston Jerk Center, supposé être le meilleur des environs. L’endroit a l’air d’un bidonville, le volume de la musique est poussé à fond et il s’en dégage un délicieux fumet de viande grillée. Les vendeurs nous font les yeux doux pour nous attirer sur leurs stands multicolores. Autre totem food, le patty : une sorte de chausson à base de pâte de farine de blé et poudre de curry fourré à la viande. Il existe des chaînes de restauration rapide monomaniaques de ce mets, mais les meilleurs se dégustent à la Devon House, à Kingston. Une ancienne maison coloniale possédant un jardin fleuri de plusieurs hectares avec son restaurant, son glacier et sa propre boulangerie-pâtisserie, où les pattys sont servis encore fumants. C’est le déjeuner des écoliers, des employés pressés et l’emblème street food par excellence.

DÉGUSTER SON CAFÉ D’EXCEPTION

Doux et peu amer, ce café porte le nom des Blue Mountains, la chaîne de montagnes où il est produit. D’ailleurs, il est mondialement reconnu pour sa culture d’exception à 2 200 mètres d’altitude, protégé par une épaisse végétation. Ce qui en fait l’un des plus onéreux. L’histoire raconte qu’il y a cent cinquante ans, les Anglais envoyèrent les meilleurs caféiers de cette région à tous leurs consulats et ambassades à travers le monde. Le plaisir ultime est de grimper jusqu’au Blue Mountain Coffee, un petit café-pâtisserie aux faux airs de boui-boui, planqué entre les montagnes, pour y siroter une tasse, accompagnée d’une énorme part de cheesecake. Et impossible de traverser ce massif montagneux sans faire une halte au Strawberry Hill, une ancienne propriété de planteurs de café de style colonial devenue un refuge de charme. La plus belle des récompenses est d’ouvrir les volets au petit matin, face à l’immensité de ces montagnes embrumées. C’est le « natural mystic morning » que chantait Bob Marley en habitué du domaine. Au milieu des années 70, le Strawberry Hill – autre propriété de Chris Blackwell – est le QG de tout le gotha musical et le lieu de villégiature privilégié du chanteur de Redemption Song et des Stones. La salle à manger garde encore les traces photographiques de ces illustres visiteurs. La vue depuis la piscine à débordement – imprenable sur Kingston et la mer, qui semble se confondre avec le ciel en arrière-plan – nous met une vraie claque visuelle !

S’INVITER AUX REGGAE NIGHTS

Ici, le choc est aussi sonore. La Jamaïque, c’est bien sûr le reggae, son meilleur produit d’exportation. Ne pas oublier toutefois que l’île est également le berceau du mento, qui s’est développé au début du XXe siècle, du ska, apparu à la fin de la période coloniale, du rocksteady, dans les années 60, et plus tardivement, du dub, un dérivé du reggae porté sur les basses, du dancehall et du reggeaton. La musique résonne à chaque coin de rue. A Ocho Rios, un chauffeur de taxi nous désigne un petit club de reggae au bord de l’eau. De l’extérieur, le (gros) son nous parvient déjà. A voir les filles en tenue d’apparat – aussi sophistiquées qu’une actrice de série B lors d’une première – s’y engouffrer, on devine que c’est la sortie de la semaine. Bar et restaurant, Ocean’s 11 est surtout fréquenté par les locaux. A défaut d’y croiser George Clooney et sa clique, on y rencontre des oiseaux de nuit aux longues dreadlocks s’agitant face aux puissantes enceintes du sound system.

Depuis la piscine à débordement de l'hôtel Strawberry Hill, niché dans les Blue Mountains, la vue embrasse tout Kingston.
Depuis la piscine à débordement de l’hôtel Strawberry Hill, niché dans les Blue Mountains, la vue embrasse tout Kingston.© Frédéric Stucin

Au pied des Blue Mountains, Kingston – et son million d’habitants – semble nous tendre les bras. Beaucoup disent que la ville n’est pas très fréquentable. « En réalité, ce sont les quartiers downtown, près de la mer, qu’il faut éviter », nous rassure la guide. Tant mieux, les quelques attractions se concentrent toutes au nord. L’ancienne maison de Bob Marley et Tuff Gong, son studio d’enregistrement, méritent un détour obligé pour les fans du chanteur. Sur les collines, la soirée Kingston Dub Club, uniquement connue des initiés, bat son plein. Improvisé, l’événement rassemble son lot de rastas et d’expats. D’ici, le regard balaie les lumières de la ville assoupie. Dans un coin, un rastaman chenu roule des pétards à qui veut. C’est aussi ça, la Jamaïque, un peu de cliché, un peu de cool, mais du 100 % authentique.

PAR MINA SOUNDIRAM / PHOTOS : FRÉDÉRIC STUCIN

EN PRATIQUE

Se renseigner

Passeport obligatoire, mais pas de visa.

Guide de voyage en ligne (en anglais) :

www.visitjamaica.com

Latitude Jamaica propose une découverte authentique de l’île : www.latitudejamaica.com

Y aller

Compter minimum 920 euros A/R pour un vol Bruxelles/Kingston, avec deux escales. Compagnies suggérées : British Airways, Iberia, Air France ou KLM.

L’agence Iles du monde propose des forfaits de 9 jours/7 nuits à l’hôtel Round Hill, en demi-pension, avec les vols depuis Paris. Dès 3 190 euros.

www.ilesdumonde.com

Période idéale

Soleil et températures très clémentes toute l’année. Mais de juin à novembre, surviennent les ouragans.

Se loger

Jamaïca Inn. A Ocho Rios, chambres et cottages ultraluxueux face à la mer hantés par le tout-Hollywood des années 50. A partir de 330 euros la nuit.

www.jamaicainn.com

Round Hill. A Montego Bay, dans le même esprit, des villas avec leur propre piscine, et des chambres, les pieds dans l’eau. A partir de 295 euros la nuit. www.roundhill.com

Golden Eye. A Oracabessa, la demeure de Ian Fleming transformée en hôtel luxueux. A partir de 2 000 euros le cottage pour 3 nuits au minimum. www.goldeneye.com

Kanopi House. A Port Antonio, des cabanes sur pilotis cachées dans la jungle. A partir de 280 euros la cabane pour deux personnes. www.kanopihouse.com

Strawberry Hill. Dans les Blue Mountains, cette vieille maison de planteur de café offre une vue imprenable sur Kingston. A partir de 325 euros la nuit. www.strawberryhillhotel.com

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