Conte des neiges en Ukraine

Un Courchevel dans les Carpates ? Il existe et s’appelle Bukovel. Chalets en bois sculpté, églises à coupoles, balades à cheval… Bienvenue dans les montagnesdu peuple houtsoul. Plus dépaysantes que les Alpes !

Un univers de bois

A Yasinya, à 60 kilomètres de la frontière roumaine, tout est fait de bois : les maisons qui s’égaillent dans le fond des vallons, les barrières qu’on enjambe en évitant de mouiller le bas de son pantalon, les luges sur lesquelles glissent des marmots emmitouflés, les tas de bûches où viennent se percher des corbeaux arrogants. Le matériau est abondant, peu onéreux. Les Houtsouls, habitants des Carpates ukrainiennes, le travaillent à la veillée. L’hiver est long dans ces montagnes : plus de six mois. Quand on traverse les villages, il arrive d’être interpellé :  » Venez donc prendre le thé pour vous réchauffer !  » Les maisons sont en planches de sapin, recouvertes de tuiles en bois enduites de pétrole, les  » dranysti « . A l’intérieur, la vie s’organise autour du poêle, le  » pitch « , qui procure à lui seul chauffage, plaques de cuisson, four et couchette chauffée. Quand la neige et le froid isolent du reste du monde, les Houtsouls font eux-mêmes leur pain et… leur vodka. En l’honneur des hôtes de passage, les verres s’alignent sur la toile cirée, colorés d’un trait de jus de myrtille. Quand on randonne dans ce pays, il s’agit d’avoir non pas des mollets d’acier mais plutôt un foie en Kevlar.  » Na zdorovié  » ! On s’embrasse, on promet de revenir en été pour les foins. Les uns oublient leurs gants, les autres titubent sous le porche en réajustant péniblement leurs raquettes. Il est 11 heures du matin. Les têtes sont légères et les jambes, déjà lourdes.

Du ski grand spectacle

Au-dessus de Yasinya, une vingtaine de petits propriétaires d’hôtels et de remonte-pentes ont ouvert un domaine de 2 km2, Dragobrat. Des camions rustiques et puissants, les GAZ-33, vous emmènent à 1 200 mètres d’altitude au pied des pistes, dont le plus haut tronçon s’élance du sommet du mont Stig, à 1 700 mètres. Savoir qu’un 1 000 mètres carpatique vaut largement un 2 000 mètres alpin. L’enneigement est donc assuré de décembre à mai. Une ambiance de ski familial et bon enfant, à l’ukrainienne, fleurit le long des pentes. Ainsi, pas de forfait pour l’ensemble du domaine, il faut payer chacune des remontées à son propriétaire ! Dans la vallée suivante, qui vient entailler le massif de Gorgané, la station de Bukovel attire une clientèle beaucoup plus glamour. Ses chalets proprets, parfaitement intégrés au décor, ses télésièges confortables et rapides, ses canons à neige attirent le gratin de Kiev ou de Moscou et en font un petit Courchevel ukrainien. Le propriétaire n’est autre que le gendre de l’ex-président Leonid Koutchma. Côté confort, il a pensé à tout, jusqu’à l’aménagement d’une piste d’hélicoptère…

Des rencontres uniques avec un chaman

Des familles entières, couvertures sur les genoux, filent à bord de traîneaux dans un soupir de soie froissée. La tête parée d’élégants pompons vermillon, les chevaux se concentrent sur leur trot assourdi. Dans ces campagnes perdurent les traditions d’un monde païen, magique. Vers le village de Rivnia, un pont suspendu enjambe les eaux noires d’une rivière à l’haleine glacée et conduit aux marches d’une petite maison bleue. Le molfar Mikhaïl Netchaï, descendant d’un colonel de Cosaques du Don, y soigne grâce à la magie blanche les blessures du corps et de l’âme. C’est un chaman. Initié dès l’âge de 6 ans par sa grand-mère, il fait office de docteur, de psychologue, de sexologue et de voyant. A en juger par le nombre de patients qui piétinent sous son porche, le guérisseur s’est taillé une solide réputation. Même si vous tenez une forme de champion, ne manquez pas de rendre visite à cet homme extraordinaire. Il utilise les plantes médicinales, bien sûr, mais surtout le pouvoir des mots, invoquant tour à tour saint Pantéleimon et saint Michel comme intercesseurs auprès des esprits de la nature. Les Houtsouls, quant à eux, ne voient rien de contradictoire à se concilier les génies du vent avant d’aller prier le Seigneur avec passion !

Le chant mystique des popes

Selon un poème houtsoul, une église s’est construite partout où une goutte de sang du Christ a touché le sol. Il a dû en perdre des litres dans ces montagnes. Dans les années 1930, Staline a détruit une grande partie des églises ukrainiennes, mais les Carpates, moins accessibles, plus éloignées, ont été relativement épargnées. Les églises trônent au centre des villages ou dans les clairières des forêts. Les plus anciennes datent du xvie siècle. Et il s’en construit encore, toujours en bois, bien sûr. En forme de croix byzantine, murs en rondins ou en planches, surmontées d’une, deux ou… cinq coupoles. Toutes sont orientées selon un axe ouest-est. Depuis l’indépendance, en 1991, le sentiment religieux s’est encore accru. En ce dimanche matin, des femmes sont déjà à genoux devant l’iconostase. La voix grave du pope s’élève au-dessus des vapeurs d’encens, tandis qu’un ch£ur lui répond de la tribune.

Les douces vapeurs des saunas

Quand la nuit plonge les Carpates dans un silence profond, c’est le moment de découvrir les vertus émollientes du bania houtsoul. Celui de Dmétro Gerdéjouk est un compromis entre sauna finlandais et bains russes. Il l’a aménagé dans son jardin, y accueille touristes et villageois. Lors du troisième bain de vapeur, le maître des lieux pénètre dans la cabine et étrille vigoureusement son client avec une ramée de bouleau. Sans demander son reste, on sort se placer sous les mains à peine plus douces de sa fille Héléna pour un massage revigorant qui laisse le corps et l’âme en repos.

Reportage : Christophe Migeon

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