Fast-food de luxe

A Paris, Alain Cojean a imposé une petite restauration express mais exquise dans un cadre épuré. Personne n’y croyait. et pourtant, en quatre ans, son label est devenu une référence absolue.

Qui l’eût cru ? Manger avec les doigts assis sur un tabouret entre midi et quatorze heures, un £il rivé sur le portable, l’autre sur l’agenda, n’est plus synonyme de calvaire alimentaire. Dans la petite restauration aussi, on pense désormais design, on parle gourmandise sans craindre la comparaison avec les tables de gamme supérieure. Pionnier du genre, Alain Cojean, 43 ans, vient d’ouvrir coup sur coup quatre adresses à Paris considérées comme le nec plus ultra de ce fast-food de luxe ciblé bobo. Situés entre la place de la Madeleine (QG de Fauchon et Hédiard) et les Grands Magasins, ses enseignes drainent un public de cadres chic, de trentenaires branchés et de jolies Parisiennes en pause-shopping repues du lèche-vitrines. Les aficionados de Cojean ont trouvé un cadre à leur image. En façade, une communication en pointillés bannit le lettrage XL au profit d’une typo ultralight. A l’intérieur, on note un alignement militaire de comptoirs frigorifiques en inox, un mobilier en bois et métal brossé mis en scène avec précision, des perspectives ouvertes et le refus catégorique de tout ce qui pollue inutilement le regard.

Ici, ni affichettes promotionnelles ni citrouilles Halloween ni set de table Shreck à collectionner. Les soft-drinks (avec une belle variété d’eaux minérales collector) sont rangés par couleur avec un souci d’harmonie inhabituel pour un fast-food. Les salades et autres jus de fruits lactés sont conditionnés dans un récipient de plastique transparent exempt de toute étiquette pour ne pas froisser l’esthétique de la transparence (pour la composition, il suffit de regarder dans les rayonnages). Mais le meilleur reste à venir puisque Cojean c’est avant tout une gamme de produits exceptionnels qui privilégie les fruits et légumes. Pour qui cède au jus d’herbes de blé, à la salade de quinoa ou à la  » B12 « , truffée de lentilles vertes et de boulgour, on pourrait croire un instant que la maison revendique un label bio pur et dur. Appellation que réfute le maître des lieux.  » Tout simplement, explique Alain Cojean, parce que les ingrédients ne sont pas tous issus de l’agriculture biologique.  » Un terme qu’il échange volontiers contre celui de  » nourriture saine, équilibrée et surtout gourmande « . Les classiques maison ? Les wraps (des galettes de blé roulées et fourrées). Qu’ils soient au poulet grillé au curry et raisins de corinthe ou au thon fumé, guacamole et nori, ils sont effectivement tous généreux en saveurs. Quant aux desserts, avec mention spéciale pour le tapioca à la vanille et compote de mangue ou le  » gâteau à 0 %  » (biscuit au chocolat sans farine, zestes de citron vert confits), ils rivalisent sans conteste avec les meilleures pâtisseries de la Ville lumière…

Ce qui apparaît aujourd’hui comme un concept lumineux ne le fut pour pas grand monde en 2001. Après une maîtrise en droit et une bonne décennie passée au sein d’un grand groupe de fast-food américain pour finir comme responsable du département  » Recherche et développement « , Alain Cojean prend le large. Il veut créer son propre label. L’idée de parier, pour la première fois à l’époque, sur un lieu de restauration rapide de qualité supérieure ne soulève pas l’enthousiasme. Les investisseurs sont frileux. Le projet Cojean se fait refuser successivement par quatorze banques avant de trouver un partenaire en la personne de Frédéric Maquair. Pour financer l’aventure, Alain Cojean vend son appartement pour squatter un hôtel dans le quartier de Stalingrad, dans le XIXe arrondissement. Rue de Sèze, près de la Madeleine, il repère un local inoccupé depuis quatre ans. Avec son associé, il peaufine le packaging dans les moindres détails. Ce Breton entêté au physique de marin va rapidement gagner son défi. En quelques mois, son label devient la nouvelle  » place to be  » pour enregistrer des pics d’affluence de 1 000 repas par jour pour la seule adresse de la Madeleine… Un succès fulgurant qui voit l’arrivée de  » business angels  » qui lui ont permis de développer les quatre autres enseignes et de centraliser l’unité de production en une adresse unique, dans le XVe arrondissement. Malgré le succès et la collaboration avec la marque Danone, qui s’est associée sur l’un des quatre Cojean parisiens, aucune adresse n’est franchisée et son PDG ne le conçoit pas avant longtemps.  » Ce qui est important, martèle-t-il, c’est de faire les choses comme il faut. Aujourd’hui, je ne veux pas me développer davantage.  » Ce perfectionniste qui travaille seize heures par jour, avoue qu’il est un peu inquiet sur sa santé, qu’il est en permanence  » dans le rouge « , mais est partout à la fois. Homme pressé, il ne se déplace qu’avec sa Kawasaki ZRX, le seul plaisir qu’il s’est offert depuis quatre ans, lui qui ne prend jamais de vacances.  » Il n’y a pas un jour où il ne vient pas servir avec nous derrière le comptoir quand il ne donne pas spontanément un coup de main à la plonge « , s’étonne Ludovic, une jeune recrue. Pour gagner encore un peu plus de temps, Alain Cojean a trouvé un truc sous son pull : il porte en permanence l’un des tee-shirts bleu pâle de la maison… le même que celui des 80 serveurs.

Antoine Moreno

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