Non loin de Naples, dans un village de Campanie, Franco Pepe révolutionne chaque jour ce traditionnel plat transalpin. A la découverte de ce coin reculé d’Italie devenu culte pour les inconditionnels de pâte recouverte de passata et mozzarella.

Il est passé 22 heures. Mais dans la nuit, une étroite ruelle, le vicolo San Giovanni Battista, connaît la même effervescence que tous les soirs de la semaine, à l’exception du lundi, jour de fermeture de la pizzeria Pepe in Grani. Nous sommes à Caiazzo, une bourgade de cinq mille âmes en Campanie, terroir de la mozzarella di bufala et autres délicatesses. De la terrasse du premier étage de son établissement, Franco Pepe jette un oeil sur la cinquantaine de personnes qui font la file au dehors. Comme chaque jour, ils ont fait le déplacement de Caserta, Naples, Rome ou d’ailleurs, parcouru ainsi une heure et bien plus en voiture, pour venir manger la pizza de Franco, que beaucoup considèrent tout simplement comme la meilleure du monde.

L’histoire commence il y a quatre ans lorsque l’Italien décide de quitter le giron familial, la pizzeria fondée dans le village par son père Stefano, aujourd’hui gérée par ses deux frères. Et d’emmener ce mets traditionnel vers d’autres horizons, plus gastronomiques. Pour ce faire, il décide d’acquérir une ruine située dans une des petites routes pentues du centre de la cité.  » On m’a pris pour un fou, se souvient-il aujourd’hui. A eux seuls les travaux de rénovation étaient déjà un challenge. Il a fallu tout apporter par brouette et tout réaliser à la main.  » Le résultat est stupéfiant de modernité. Réparties sur plusieurs niveaux, les salles comptent aussi deux grandes terrasses dont l’une, qui peut être privatisée, offre une vue imprenable sur les collines du voisinage.  » Quand j’ai ouvert, nous étions sept, je pensais réaliser une centaine de plats par jour. Aujourd’hui, entre 19 heures et minuit, nous oscillons entre 500 et 750 pizzas !  » Un tel succès s’explique par peu de choses … Voulant partager sa vision de cette spécialité transalpine, qui doit être  » savoureuse et digeste « , Franco a présenté, il y a quelques années, son projet à certains chefs italiens de référence, allant faire des démonstrations dans leur cuisine. Très vite, les critiques de la Péninsule l’ont porté aux nues. La nouvelle a atteint les oreilles de Jonathan Gold, un grand journaliste américain, titulaire du Prix Pulitzer.  » Il est venu, a commandé, payé son addition et a déclaré dans le Los Angeles Times que ma pizza était sans doute la meilleure au monde. Depuis ce jour-là ce fut l’explosion « , raconte l’expert proclamé.

L’ART DU PÂTON

Mais qu’est-ce qui différencie donc la pizza de Franco Pepe des autres ? La pâte sans aucun doute !  » Je fais moudre mes farines à base de blé cultivé dans le nord de l’Italie. J’ai retenu de mon père une leçon. Selon la saison, il me disait de mettre dans le pétrin autant de pelles d’une telle farine, autant d’une autre et ainsi de suite. C’est ainsi que j’ai mis au point cinq à six mélanges adaptés au moment dans l’année.  » L’homme a aussi l’art et la manière de préparer chaque matin cette pâte, pétrie uniquement à la main. Les dosages, l’assemblage des matières premières et les temps de repos pour la levée sont aussi réglés avec une précision d’horloger… et ce en fonction de la température ambiante et du taux d’humidité !

Tous les soirs vers 17 heures commence finalement le détail en pâtons individuels placés dans les caissettes en bois de tulipier ou de hêtre, munies d’un couvercle. Le geste est ici encore important. Il faut resserrer chaque pâton entre le pouce et l’index comme si on voulait créer une bulle ou retenir l’air d’un petit ballon. Deux heures plus tard, lorsque ouvrent les portes de l’établissement, que les deux fours à bois sont montés à la température optimale – environ 400°C -, peut commencer la phase ultime. Devant le feu attisé, ils sont trois à opérer : le premier aplatit le pâton main ouverte en partant du centre, le second achève ce mouvement et dispose le mets sur la palette en bois qui permettra d’enfourner, et le troisième se charge de mouvoir la pizza sur elle-même, de l’approcher de la flamme, de la soulever du côté qui le nécessite. Deux à trois minutes plus tard, et après être passé sur un linge qui enlève les traces de cendres présentes sur la sole du four, le délice est prêt. Le résultat est époustouflant de légèreté et de beauté avec une pâte alvéolée à souhait.

Quant à la garniture, elle se veut résolument innovante, dans le choix des produits et dans la combinaison de ceux-ci, à l’image de sa signature, la Margherita Sbagliata (fausse margherita) pour laquelle la sauce tomate est déposée à cru sur la mozzarella de la pizza au sortir du four. Ou la pizza Alletterata préparée avec du thon à l’huile, de la mozzarella di bufala, de la crème d’oignons et du céleri vert…

INGRÉDIENTS LOCAUX

Mais l’originalité ne s’arrête pas là. Car, chose qui tient particulièrement à coeur au chef, sa pizza est aussi celle de son territoire. Pour mieux inventorier celui-ci, il s’est donc entouré d’un agronome. Vincenzo Coppola assiste Franco dans sa recherche de producteurs.  » A une dizaine de kilomètres à la ronde, nous avons des ingrédients d’exception comme la mozzarella di bufala de Mimmo La Vecchia (Il Casolare). Pour l’anecdote, il en envoie chaque semaine à Chicago et, de là, quelques boules atterrissent à New York sur la table de Robert De Niro « , s’amuse Franco Pepe. Un autre Mimmo lui prépare la fameuse passata, conditionnée, selon la tradition, en bouteilles capsulées. Sociologue de formation, Mimmo Barbiero a décidé de retourner à la terre en cultivant des parcelles laissées à l’abandon. Chez lui, la tomate de la variété locale Riccio pousse en plein champ, sans irrigation. Il en résulte une concentration unique qui se traduit dans cette sauce de chair de tomates réalisée à cru et ensuite pasteurisée.

L’impact de Franco, au travers de sa pizzeria Pepe in Grani, ne se fait pas seulement sentir dans les campagnes, auprès de ses fournisseurs. C’est le coeur de Caiazzo qui revit aujourd’hui, surpris de voir débarquer des foodies de toute la Botte et du monde entier. Autrefois déserté par les commerçants, le piétonnier qui mène vers la ruelle a vu les volets se relever. Franco lui-même est de la partie. Il vient d’ouvrir Terre Motus, un endroit où l’on peut déguster des paninis créatifs et des bières italiennes artisanales d’une belle facture.  » J’ai d’abord conçu ce lieu pour ceux qui font le déplacement jusque Caiazzo et qui, las d’attendre une place dans la pizzeria, vont ailleurs, rentrant chez eux déçus. Ensuite, le panino ouvre de nouveaux horizons et me permet de renouer avec le métier de mon grand-père boulanger. La boucle est bouclée.  »

Pepe in Grani, 3, Vico San Giovanni Battista, à 81013 Caiazzo. www.pepeingrani.it

PAR JEAN-PIERRE GABRIEL

LE COEUR DE CAIAZZO REVIT AUJOURD’HUI, SURPRIS DE VOIR DÉBARQUER DES FOODIES DE TOUTE LA BOTTE ET DU MONDE ENTIER.

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