Les meilleures intrigues 2008

Joseph Wambaugh

Dernier géant du polar américain, Joseph Wambaugh est un ancien sociétaire de la police de Los Angeles où il officiait en tant qu’inspecteur. Il a commencé à écrire dans les années 1970 des romans puissants combinant cynisme et humour macabre. Il faut farfouiller pour dénicher Patrouilles de nuit, Le Crépuscule des flics ou Soleils noirs, épuisés depuis longtemps. Joe Wambaugh vient enfin de sortir de sa retraite et de reprendre du service. Chronique gouailleuse, tonique et savamment orchestrée, Flic à Hollywood nous immerge dans le quotidien du LAPD, la police de Los Angeles. Laquelle a à sa tête un sergent, surnommé l’Oracle, avec quarante-six ans de métier et un penchant pour les paroles de sagesse. Sous ses ordres, on trouve notamment Fausto Gamboa. Cet ancien combattant du Vietnam fait équipe avec l’officier Budgie Polk, mère d’une fillette de 4 mois. On retrouve toute une galerie de personnages censés mettre fin aux agissements des malfrats minables pillant les boîtes aux lettres ou braquant les bijouteries. Wambaugh a toujours le même souffle, une oreille incroyable pour les dialogues, une manière de faire exister ses personnages en quelques traits de plume. Ce Flic à Hollywood providentiel permettra de (re)découvrir un incontournable du polar américain. A.F.

Flic à Hollywood (Hollywood Station), traduit de l’américain par Robert Pépin, Seuil, 376 p.

Arnaldur Indridason

 » Je m’intéresse aux disparus mais aussi à ceux qui sont restés seuls et n’attendent plus rien « , précise l’Islandais Arnaldur Indridason. La perte, les traces sont les thèmes essentiels de ses livres, depuis La Cité des Jarres, son premier roman, traduit en français, jusqu’à cet Homme du lac qui mêle faits historiques et présent social. Dans le lac Kleifarvatn, un squelette est retrouvé dans la vase. Le commissaire Erlendur va diriger son enquête vers les années 1960. A cette époque de la guerre froide, des étudiants islandais appartenant aux jeunesses socialistes étaient envoyés en Allemagne. Peu à peu, le policier découvre les conditions de vie de ces jeunes idéalistes confrontés à la Stasi. Cette aventure d’espionnage est finalement très intimiste. Car c’est la figure du commissaire qui se précise : la disparition de son frère lorsqu’ils étaient enfants, sa culpabilité qui le pousse à choisir le métier d’enquêteur. Parallèlement, le lecteur comprend mieux le système judiciaire islandais, son histoire, sa société qui n’a plus rien d’idyllique. Arnaldur Indridason prend son temps pour développer ses intrigues, mais cette lenteur est à l’image d’un pays rugueux où la nature est rarement amicale. Tout comme son héros, Erlendur, un policier taciturne  » qui ne se retrouve pas dans le présent et vit dans le passé « . C.F.

L’Homme du lac (Kleifarvatn), traduit de l’islandais par Eric Boury, Métaillé, 350 p.

David Peace

Le dépaysement réussit à certains écrivains. Ainsi, on pensait que David Peace ne saurait jamais quitter la région industrielle du Yorkshire, à laquelle il a consacré une formidable tétralogie noire bien connue des amateurs de polars. Avec Tokyo année zéro, l’auteur de GB 1984 (*) a sans doute choisi de faire provisoirement table rase de ses précédents décors britanniques, afin de trouver un territoire inconnu, une inspiration nouvelle – il vit là-bas, désormais. Premier volet d’un cycle consacré au Japon d’après-guerre, ce roman noir nous plonge dans un pays en plein chaos, tentant de panser ses plaies béantes. Nous sommes en août 1945 : les infrastructures sont mises à mal (comme dans le bassin ouvrier anglais des années 1980 ?), la pauvreté fait des ravages, et les autorités tentent, comme elles peuvent, d’assurer la sécurité publique. Dans un dépôt de vêtements de l’armée, on découvre le corps d’une jeune femme. C’est l’inspecteur Minami qui est appelé auprès du cadavre. Un an après, ce flic insomniaque revivra une situation similaire : deux autres jeunes femmes sont retrouvées assassinées. Comment ne pas alors suspecter l’£uvre d’un tueur en série ? Inspiré par une histoire vraie – le cas du tueur et violeur Kodaira Yoshio, exécuté en 1949 -, Tokyo annéezéro détourne le dossier criminel pour mieux se plonger dans la psyché d’un antihéros, allégorie d’une contrée malade en reconstruction. Ici, selon les circonstances, les valeurs morales s’inversent, la culpabilité et l’innocence ne sont pas si éloignées. On est même tenté de déceler, sous la peau de ce personnage taciturne, un autoportrait de l’écrivain luttant contre un mal qui le dépasse. Dérangeant et fort. B.L.

Tokyo année zéro (Tokyo Year Zero), traduit de l’anglais par Daniel Lemoine, Rivages, 366 p. (*) Vient également de paraître : 44 jours, Rivages.

Natsuo Kirino

Certains titres ne mentent pas sur le contenu. Le troisième roman de la Nippone Natsuo Kirino s’intitule Monstrueux, et il relève effectivement davantage du cauchemar sur papier que du thriller traditionnel. Deux prostituées, Yuriko et Kazue, viennent d’être froidement assassinées à Tokyo. La s£ur de la première se souvient de sa cadette, pour laquelle elle a éprouvé tant de haine. Lorsqu’elles fréquentaient le très huppé lycée de K., vingt ans plus tôt, la beauté de Yuriko lui assurait tous les regards, contrairement à son aînée, exemple typique de la première de la classe au physique banal. Comment cette fille splendide a-t-elle pu tomber dans l’enfer du sexe tarifé ? L’assassin de Yuriko est-il vraiment responsable de son acte ? Avec une grande habileté, l’auteur du tétanisant Out superpose les intimités de ces jeunes femmes – et de quelques personnages secondaires -, qui tentent par tous les moyens de trouver leur place dans une société où le culte de l’apparat n’a d’égal que celui de la performance. Quitte à devenir un monstre. Pour explorer la part d’innommable présente en chacun de nous, Kirino désamorce rapidement tout suspense (encore que…) pour se focaliser sur l’étude sociale et psychanalytique. Par exemple, l’image de la mère n’a ici rien de reluisant ; et celle du père est encore pire… Si Monstrueux peine à s’installer, l’angoisse monte crescendo jusqu’à devenir insoutenable vers la toute fin du livre. Certes, on regrettera que l’éditeur français – Le Seuil – nous propose une version traduite de l’anglais et non du japonais. Mais il est difficile de sortir indemne de ce roman-choc, croisement électrique entre James Ellroy et une Elfriede Jelinek du pays du Soleil-Levant. B.L.

Monstrueux (Gurotesku), traduit de l’anglais par Vincent Delezoide, Seuil/Thrillers, 672 p.

John Connolly

John Connolly a beau être irlandais, c’est aux Etats-Unis qu’il situe ses intrigues : des thrillers avec un soupçon de fantastique, de mystère, pour donner une couleur différente à ses histoires de meurtres, de serial killers, de vengeances sanglantes. Le héros, Charlie Parker, n’a rien d’un musicien, mais promène un mal de vivre chronique depuis la mort de sa femme et de sa fille. Tout l’intérêt des romans de Connolly tient dans la distance ténue entre le bien et le mal. Parker est un détective qui cherche la vérité mais il n’a rien d’un homme bon, d’un justicier sans reproche. N’ayant plus rien à perdre, il lutte contre le mal par le mal, utilise la violence contre la violence. Avec La Proie des ombres, John Connolly risque gros en s’attaquant à la pédophilie, mais il évite les maladresses et les simplifications romanesques. L’enquête tourne autour de Daniel Clay, un psychiatre mis en cause dans une affaire d’abus sexuels sur mineurs. L’homme a disparu depuis ces accusations, mais sa fille est harcelée par un inconnu, juste sorti de prison, persuadé que son père est responsable de la mort de son enfant. Entre Parker qui a vu disparaître toute sa famille et cet inconnu qui ne peut également faire son deuil, la frontière est parfois fragile et John Connolly joue subtilement de ce flou moral et social, de cette empathie entre deux solitaires. Ancien journaliste, il s’appuie sur des commentaires médicaux, des faits divers réels sans jamais oublier son intrigue et sa course-poursuite. Dans cette troisième aventure, Charlie Parker prend de l’épaisseur et son créateur évite le fatras mystique qui avait un peu gâché la lecture de son précédent roman, L’Ange noir. C.F.

La Proie des ombres (The Unquiet), traduit de l’anglais (Irlande) par Jacques Martinache, Presses de la Cité, 450 p.

A.F. – C.F. – B.L.

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