Porto en pente douce

Le long du Douro, au nord du Portugal, Porto déploie un charme indéniable. Une atmosphère  » vieillie en fût de chêne  » qui ne saurait faire oublier quelques imparables incursions du côté de la modernité. Porto l’oubliée mérite une séance de rattrapage !

Petit flash-back en 2004.  » L’avion a dû faire une escale imprévue à Lisbonne… Les passagers qui étaient tous des supporters du FC Porto se sont mis à hurler :  » Pas Lisbonne, pas Lisbonne !  » Ils ont supplié le commandant de bord de faire demi-tour ! « , s’amuse encore Eugénia, traductrice et  » tiffozette « , à ses heures, du célèbre club lisutanien.  » Son  » club de foot venait alors de remporter la finale de la Ligue des champions en battant l’AS Monaco par 3-0. Vainqueur la même année de la Coupe intercontinentale et de la Supercoupe d’Europe, Porto avait de quoi damer le pion au club de Lisbonne… Lisbonne, l’éternelle rivale ! La ville de Pessoa et de la tour de Belém, chérie par les intellectuels flâneurs qui ‘opposent à Porto la nordiste, réputée froide et dépourvue d’attraits.  » On ne peut pas nier que les gens sont plus réservés que dans le Sud mais peut-on parler de froideur pour autant ?  » s’emporte Eugénia.

Le stade du Dragon, Dragão en portugais, construit au nord-est de Porto pour l’Euro 2004, témoigne de cette nouvelle quête d’identité forgée à travers les cadors du ballon rond. Une véritable fierté locale. Classé cinq étoiles par la Fifa, soit la plus haute distinction en termes de modernité par la Fédération, ce complexe de 51 000 places peut accueillir n’importe quelle compétition majeure, y compris une future Coupe du monde…

Un drôle d’origami

 » Porto a la réputation d’être une ville qui vit sur le passé… mais le vent est en train de tourner « , estime ce jeune libraire qui a ouvert, dans le centre-ville près du marché couvert Borgès, A2+, un commerce spécialisé dans les livres d’architecture et les accessoires d’intérieur tendances. A deux pas de la place Henrique qui surplombe magnifiquement le  » Cais da Ribeira  » (le quai de la rivière), sa boutique met évidemment à l’honneur le design portugais. On y admire les créations de Jorge Moita et Daniela Pais, un duo qui confectionne, sous le label krv kurva, des vêtements expérimentaux. Dans le registre des arts de la table, on y épinglera l’étonnante collection  » minimalanimal  » éditée par Satira. Cette série de vases et de vaisselle ultraépurée en porcelaine, porte la signature de quelques ténors comme celle du Britannique Ross Lovegrove ou de l’architecte portugais Alvaro Siza.  » Siza, qui est né près de Porto, est évidemment la référence incontestée en matière de modernité « , souligne le patron de A2+.

L’un des chefs-d’£uvre de ce bâtisseur internationalement reconnu, auréolé du Pritzker Price – l’équivalent du prix Nobel en architecture – est précisément situé à l’ouest du centre de Porto : le musée Serralves. Conçu par Siza comme un lieu de méditation où dominent la blancheur et la pureté dédié à l’art contemporain, il a été inauguré en 1999. Plus qu’un musée, il s’agit d’une fondation installée dans un parc de 18 hectares, parsemé d’£uvres d’art et de jardins à la française. Cet écrin de verdure est traversé par un étroit sentier qui permet de rejoindre la maison Serralves. Cette gigantesque demeure imaginée dans un style Art déco assez tardif (1940), aux allures quelque peu  » hollywoodo-babyloniennes  » a la particularité d’être de couleur ocre. Malheureusement, l’intérieur est largement privé de son décor d’origine…

Pour les amateurs d’architecture contemporaine, Porto réserve une surprise de taille avec la très récente Casa da Música due à l’architecte néerlandais Rem Koolhaas. Situé le long de la très rectiligne Avenida da Boavista, qui se prolonge jusqu’à l’océan Atlantique, ce polygone sidérant est un coup de tonnerre dans le paysage ambiant. Esprit génial, un brin provocateur, Koolhaas est l’auteur du musée Guggenheim de Las Vegas et de la boutique Prada de New York. La Casa da Música a l’ambition de devenir l’un des meilleurs lieux de concerts d’Europe, l’un des plus performants, mais aussi de s’imposer à la ville comme un véritable manifeste esthétique. Comme pour mieux apprécier l’audace du geste, le bâtiment est érigé sur un large parterre dallé qui permet une observation à 360 degrés de ce drôle de silex.

L’intérieur s’apparente à un origami géant où murs, plafonds et parois semblent avoir été pliés en tous sens. Avec une mégalomanie évidente mais un talent indéniable, Koolhaas enchaîne sur neuf étages, salles de concert, auditoriums, restaurant et salles de répétition ; passant d’espaces volontairement démesurés (le hall d’accueil est une sorte de cathédrale XXL) à des alcôves très cosy. Rien n’a été laissé au hasard : le moindre recoin est prétexte à une expérience sensorielle et esthétique. Non sans humour parfois, comme ce  » lieu de passage  » où le Néerlandais fait côtoyer sièges manuélins et azulejos – les fameux carreaux de faïence bleus qui abondent dans les rues de Porto – avec des murs de béton rugueux !

Pour qui a décidé de jouer la carte de la branchitude, le programme idéal consiste, après une visite nocturne du joyau de Koolhaas, à rejoindre le Triplex, un restaurant situé non loin de là, sur la même avenue Boavista. Au numéro 911, les propriétaires ont eu l’idée de transformer le rez-de-chaussée d’une ancienne maison bourgeoise du xixe siècle en bar branché… et le premier étage en resto, tout aussi en vue. Murs rouge sang et lustres à pampilles remplissent parfaitement leur fonction pour une soirée trendy. Les esthètes prolongeront encore leur plaisir au Sheraton Porto, à proximité du Triplex, qui, loin du degré zéro du design propre aux chaînes hôtelières américaines, propose des chambres ouvertement contemporaines.

Quant aux noctambules fashion, ils prendront le taxi jusqu’au centre-ville, direction Maus Habitos ( » Mauvaises habitudes, en français), rua Passos Manuel. Sous-titré  » espace d’intervention culturel « , ce bar est logé au dernier étage d’un bâtiment Art déco, un ancien garage bardé de néons bleu électrique. Ciblé alternatif, il joue la discrétion. Aucune mention sur la sonnette et lorsqu’on emprunte le monte-charge, aucune plaque sur la porte d’entrée.  » Ce dernier étage servait en réalité de maison de passe, affirme Daniel, ce Suisse d’origine qui a transformé les locaux en un ensemble très réussi de salles d’expos et de bar très décontracté. On a reçu Canal + l’autre jour qui réalisait un reportage sur le Porto branché. Il y a des volontés de faire bouger les choses, certes, mais il ne faut pas rêver, les initiatives à Porto restent très limitées.  »

En toute discrétion

 » Dans la catégorie  » personnalités taiseuses « , Porto possède un charme certain « , ironise un client de la sublime librairie Chardron. Avec son étroite façade néogothique, voilà en résumé l’autre facette de Porto. On y pénètre comme on va déguster en silence un café crème au Majestic, le restaurant historique de la ville aux murs maïs. Sans ostentation, le patrimoine s’égrène de petites églises baroques en placettes où trône, une fois sur deux, une statue équestre – échelle 1 : 2 – de l’Infante. Parfois, les devantures d’anciens cinémas des années 1950 jouent l’architecture en cinémascope. C’est peu.  » Porto n’est pas faite pour impressionner, poursuit le vendeur. Les quartiers du centre-ville sont étagés en terrasses mais ne donnent jamais l’impression de se dominer. Et quand le drapeau national se hisse aux fenêtres, s’est pour se mêler aux pans de chemises qui sèchent aux balcons des maisons.  »

Les façades en granit jouent la discrétion chromatique et si l’on veut trouver de la couleur c’est du côté des camaïeux de rouille qu’il faut chercher. Les maisons de fer, rongées par l’humidité, abondent entre les ponts Arrabida et Don Luis, dessiné par Gustave Eiffel. C’est ici, le long du Douro, deuxième fleuve du pays après le Tage, que subsistent d’anciens et extraordinaires entrepôts maritimes. Une plongée dans le temps d’où l’on aperçoit, au fur et à mesure que l’on s’approche du c£ur de la ville, et du quai de la rivière, les fabriques de vin de Porto. Les labels qui ont fait la gloire de la ville sont encore là et en pleine activité : Sandeman, Ramos Pinto. Des visites sont organisées tous les jours. Les amateurs éclairés de spiritueux préféreront cependant prendre le proche chemin du Solar do Vinho. Cette maison de maître,  » manoir  » si l’on traduit littéralement, retirée du monde, est le haut lieu pour déguster en toute tranquillité un  » tawny  » 15 ans d’âge ou l’une des 300 variétés de porto. Perché sur les hauteurs des jardins du Palácio de Cristal, le Solar a l’élégance d’offrir une vue spectaculaire sur le fleuve et les vieux quartiers de Porto. De quoi dissiper définitivement son complexe de  » seconde capitale « …

Carnet de voyage en page 74.

Antoine Moreno

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