Peut-on instaurer une PAF (participation aux frais) de repas de Noël en temps de crise?
23, 33, 43, 53 ans: voit-on forcément la vie autrement avec (plusieurs fois) dix ans d’écart ? Positionnés chacun dans une décennie différente, nos journalistes confrontent chaque vendredi leurs points de vue en débattant des sujets dont tout le monde a parlé lors de la semaine écoulée. Cette semaine : la PAF du repas de Noël.
Appartenant respectivement aux générations Z, Millenial et X, Thibault Dejace, Kathleen Wuyard, Nicolas Balmet et Nathalie Le Blanc confrontent leurs points de vue sur le buzz du moment dans notre chronique « 10 ans d’écart ». Le sujet de la semaine?
La PAF de Noël
Hier encore réservée aux soirées grand public, la PAF, ou « participation aux frais », s’invite désormais aussi aux soirées privées, forums en ligne et réseaux sociaux bruissant de questionnements voire de décisions revendiquées en ces temps financièrement compliqués.
Mais demander une participation financière à ses proches pour le repas de Noël, est-ce bien chrétien?
Thibault, 23 ans : « La générosité n’a pas reçu son invitation au réveillon »
Le grand jour approche à très grand pas. C’est même demain, en fait. La dinde a été farcie et cuite à basse température, le champagne est mis au frais, les zakouskis sont préparés, les cadeaux ont été soigneusement choisis, emballés et placés sous le sapin. Bref il n’y a plus qu’à, quoi !
Oui mais bon, quand on fait le compte, la dinde elle n’était pas donnée cette année. Et le champagne non plus. Avec une inflation à presque deux chiffres la question s’est posée pour certains : « Et si on divisait la note cette année pour Noël ? ». Visiblement, cette année, la générosité et le plaisir de recevoir n’ont pas été invités au réveillon. Dommage.
Après, il est peut-être plus que probable qu’étant le benjamin de la famille (rappelez-vous, la table des enfants m’est toujours réservée), je suis d’emblée exclu du problème. Ma présence est requise, ma participation financière, pas encore.
On me glisse simplement à l’oreillette que cette année je n’aurai droit qu’à 1,68 coupe(s) de champagne, sinon c’est en supplément. Par chance, un système de carte boissons sera mis en place. Réveillon ou fancy-fair du coin, je ne sais plus où je suis réellement mais ce qui compte, c’est le moment passé ensemble non ? Allez, santé ! Mais pas trop quand même…
Kathleen, 33 ans : « Le mot clef est ‘inviter' »
J’ai lu un jour l’interview d’une personnalité dont l’identité m’échappe, mais pas l’approche de l’art de recevoir, à laquelle je m’identifie clairement. En substance: les personnes qui demandent à leurs convives d’apporter, qui les bulles, qui le dessert et qui encore le pain (« Sorry, j’ai oublié, tu sais passer en chemin? ») ne devraient inviter personne à leur table. Mot clef: « inviter », pas solliciter une contribution financière, même sous forme matérielle, auquel cas, cela s’appelle « aller manger au restaurant » – bien que je ne suis pas certaine qu’on puisse y régler l’addition d’une tarte achetée à la va-vite après le boulot, mais je digresse.
Par définition, le repas de la Noël est synonyme, pour celles et ceux qui sont assez chanceux pour être entourés de la leur, de réunions de familles incompressibles. Un impératif auquel on se plie bien volontiers, mais si vient s’ajouter à cette forme d’obligation heureuse et consentie une participation financière, il y a de quoi s’offrir le plaisir d’un jeu de mots facile et se demander si ce n’est pas notre tête qu’on se paie.
Les temps sont plus durs que le pain brioché que vous brûlerez immanquablement encore cette année au moment de l’entrée, mais plutôt que de répercuter ce coût sur des proches qui souffrent probablement au moins autant que vous, opter pour un repas moins onéreux me semble être une option plus en phase avec l’esprit de Noël. Autrement dit : Maman, si tu me lis, inutile de faire la collecte, mes poches seront vides. Mais je me réjouis de te retrouver à la lumière du sapin, bisou, je t’aime!
Nicolas, 43 ans : « Pourquoi renier les classiques? »
Ah non, hein ! Tout mais pas ça ! Radin, je ne suis pas. Je n’ai aucun problème pour participer aux frais scolaires, bien sûr. Je veux bien donner 5 euros pour le départ de Christine à la retraite, évidemment. Et je suis toujours le premier à donner un pourboire au livreur qui m’a gentiment apporté ma pizza prosciutto. Mais payer pour participer à Noël, ça non ! Des arguments ? J’en ai plein ma hotte, croyez-moi.
1) On n’arrête pas de nous dire que la Saint-Valentin est devenue une fête commerciale. 2) On a aussi réussi à transformer Halloween en fête commerciale. 3) Le Black Friday est doucement mais sûrement en train de ressembler à un événement commercial (ah si !). Inutile de continuer, vous m’avez compris : il est hors de question que j’assiste à la déchéance de Noël et à son basculement vers le statut de simple « soirée capitaliste tombée dans les mains des nantis avares et de l’élite corrompue ». C’est HORS DE QUESTION, d’accord ?
Tout ça pour dire que, moi, de mon vivant, je ne donnerai jamais un centime à qui que ce soit pour assister à une soirée conviviale remplie de joyeuses victuailles et de boissons (légèrement) alcoolisées. Même si c’est organisé au Stade Roi Baudouin, avec 60 000 invités et Mariah Carrey aux platines, c’est non. Je préfère largement la méthode que ma famille perpétue depuis de nombreuses générations : chacun s’occupe d’une partie du repas, on se rassemble autour d’un bon gueuleton et tout le monde est content. Certes, dès lors, on n’est jamais sûr d’échapper au mousseux à 4 euros retrouvé dans la cave de celui « qui s’occupe de l’apéro », et ça peut donner des trucs très approximatifs du côté des zakouskis (les toasts au haggis, c’est rude). Mais au moins, on n’a pas dû payer l’entrée pour s’empiffrer, donc on n’a pas vraiment de raison de se plaindre… Na !
Nathalie, 53 ans : « Et si on osait tous instaurer une PAF pour les fêtes ‘obligatoires’? »
Faire la fête, c’est chouette, mais aussi assez cher, surtout en tant que célibataire sans personne avec qui diviser le budget. Moi, par exemple. Mais plutôt que de m’y résigner, j’ai développé un arsenal de recettes pour réduire le coût des repas de Fêtes. Si la nouvelle génération de jeunes chefs branchés arrive bien à transformer des ingrédients délaissés (et bon marché) en festin, pourquoi pas moi?
Et surtout, pourquoi ne pas garder un oeil sur les promotions du moment pour faire le plein d’ingrédients plus coûteux à prix mini? Vous n’avez qu’à poser la question aux employés de mon LIDL de quartier, qui me connaissent toujours comme « la dame aux magrets » après que j’en aie ramené tout un envol surgelé à la maison pour une fête de famille. Laquelle, même si elle a mis la main au portefeuille, m’a regardée d’un drôle d’air la seule fois où j’ai demandé une contribution financière pour un repas, une année où mes finances étaient vraiment en piètre état.
Reste que passée la première (mauvaise) surprise, ils ont compris la situation dans laquelle je me trouvais et ont participé sans rechigner aux frais de préparation. Peut-être qu’on devrait tous oser instaurer une PAF, du moins pour les fêtes « obligatoires, ou du moins, être plus ouverts à la question »? Tout le monde n’a pas les mêmes revenus à sa disposition, et partager le coût d’une fête qui apporte de la joie à tout le monde me semble être une jolie solution.
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