Tout savoir sur le filet américain, un classique du répertoire gastronomique belge (enquête, conseils et recette parfaite)

© Anaïs Lesy
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Nous sommes partis à la recherche de la meilleure recette d’un classique du répertoire gastronomique : le filet américain. Enquête, conseils et… recette!

Ça a l’air simple comme ça, un filet américain. Détrompez-vous, ça ne l’est pas.
Ce mets qui hante l’imaginaire gourmand national connaît un nombre infini de variations. Presque chaque famille possède sa version de ce plat emblématique. Pour en glaner la meilleure recette, il faut d’abord en tracer les contours afin de ne pas sortir du sujet. Qu’est-ce qu’un filet américain – drôle de nom quand on y pense? De manière très concrète, on peut dire qu’il s’agit de la version belge du tartare, cette préparation de viande crue dont les origines remonteraient au XIIIe siècle par le biais de l’armée du petit-fils de Gengis Khan (il s’agirait de viande de cheval crue placée sous la selle des cavaliers pour l’attendrir).

Question complémentaire dans la foulée: où ladite belgitude se loge-t-elle? Celle-ci tient à la présence de mayonnaise. Viande crue et mayonnaise, donc… il n’en faut pas plus pour tenir la colonne vertébrale, l’ADN de ce plat.

Pour le reste? Une infinité d’options et de partis pris s’ouvrent vertigineusement sous les pieds de l’amateur.

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Afin d’y répondre, nous avons pris notre bâton de pèlerin et sommes parti rencontrer les spécialistes du genre.

Première visite obligatoire, la famille Niels dont un aïeul aurait inventé la recette en 1924, il y a quasi cent ans. C’est au Claridge, récente enseigne inaugurée à Waterloo, que l’on rencontre Frédéric Niels qui incarne la quatrième génération de cette famille de restaurateurs.

Ici, comme dans les autres établissements de cette branche-là du clan – Au Vieux Saint-Martin, Au Savoy et Au Grand Forestier – le mets emblématique contribue à la success-story Niels. «Un plat sur trois qui sort de nos cuisines est un filet américain», affirme l’entrepreneur.

Dans la foulée, l’intéressé raconte ce qui a amené son ancêtre, Joseph Niels, fils d’agriculteurs du Pajottenland ayant appris son métier au Savoy Hotel de Londres, à élaborer cette composition prisée dans l’entièreté du pays. «A l’époque, il régnait un flou artistique complet autour de ce plat. Il était préparé en salle et chaque serveur accomplissait sa tâche en fonction de son humeur du moment. Le résultat était forcément aléatoire.

Joseph Niels qui travaillait alors à la Taverne royale, un restaurant des Galeries Saint-Hubert aujourd’hui disparu, a décidé de fixer cette recette au gramme près à la faveur d’un process hyper rigoureux. Conséquence logique: l’assiette était préparée en cuisine et plus devant les convives.»

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Bien entendu, pas question pour Frédéric Niels de livrer la précieuse recette dans le détail, même s’il consent à évoquer la liste des ingrédients – oignons, cornichons, câpres, mayonnaise dite «Joseph» au piccalilli, persil, sel, poivre et sauce Worcestershire – ainsi que l’origine de la viande – de la grosse cuisse de Black Angus venu d’Irlande.

« Tout importe dans le processus, de la quantité préparée jusqu’au contenant utilisé, en passant par la fourchette en bois employée pour incorporer la sauce Joseph. »

Frédéric Niels du Claridge

Un joli cadeau… suivi d’une douche froide. «Aucun des chefs, même celui qui travaille depuis plus de 47 ans chez nous, ne parvient à refaire la recette à la maison. Tout importe dans le processus, depuis la quantité préparée jusqu’au contenant utilisé, en passant par un détail comme la fourchette en bois employée pour incorporer la sauce Joseph», conclut celui qui a rejoint l’aventure familiale en 2002.

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Paroles de bouchers

Impossible de ne pas consulter les bouchers en vue sur le sujet. Ces hommes qui ont les mains dans la viande sont bien placés pour suggérer la meilleure expression d’un plat qui repose en grande partie sur du bœuf haché. Du bœuf haché, vraiment? Pas si sûr.

Historiquement, il semblerait que la viande de cheval soit à l’origine du tartare. On a pu le lire plus haut avec l’histoire des cavaliers tartares mais il apparaît aussi que la Première Guerre mondiale ait systématisé l’affaire.

Selon un chef comme Christophe Hardiquest, le mot «américain» témoignerait de cette origine. L’expression serait alors à comprendre comme «préparé à partir des chevaux des Américains». Présentes de manière abondante sur le Vieux Continent après 1918, ces montures auraient contribué à l’essor de la boucherie chevaline. Une errance du passé? Rien de moins sûr.

Aujourd’hui encore, un boucher comme Geert Vermeire à Ganshoren défend cette vision de l’américain. Pour cet artisan, rien de tel que de la viande de cheval qui s’affiche moins grasse que le bœuf et tapisse la bouche dans le sens d’une certaine rondeur. Le tout pour une piste, certes intéressante, mais que l’on n’a pas suivie en raison des nombreuses crispations quant à ce type de protéines. En clair, pas question de prendre le risque que deux lecteurs sur trois renâclent devant l’obstacle.

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Il restait toutefois à interroger un autre spécialiste de la bidoche, Bjorn Boonen, talent à qui l’on doit la boucherie «de plein air» Spek & Boonen, dans le quartier des Marolles à Bruxelles. L’homme nous a ouvert les yeux sur une nuance essentielle en matière d’américain. Il existe deux types d’américains, celui que l’on étale sur du pain et celui que l’on mange avec des frites. Soit une remarque 100% pertinente qui influencera en profondeur notre recette finale.

Boonen livrera aussi un autre élément-clé de la recette: le taillage au couteau. Ce qui n’est en aucun cas une anecdote. Détailler la viande au couteau, plutôt qu’au hachoir, va à l’encontre de la tradition belge. Il reste que ce geste se justifie en ce qu’il permet de préserver une mâche libérant les arômes et les saveurs de la viande. Le chef français Bernard Loiseau – cela est raconté dans l’ouvrage On va déguster Paris (*) – estimait que le hachoir faisait perdre à la viande son sang et la réchauffait.

Assurément une perte gustative à ses yeux… et aux nôtres – on notera que certains chefs dégainent l’azote liquide pour contrer cet effet indésirable mais nous n’étions pas prêt à jouer au petit chimiste.

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Enfin, Bjorn Boonen de nous asséner, à son tour, un coup de massue. En l’occurrence, on n’y avait pas pensé, la possibilité de réaliser soi-même, comme il le fait dans sa boucherie, en utilisant entre autres des cèpes et des shiitakés séchés, la sauce anglaise. Durée de l’opération? Un an. Raté pour nous, il aurait fallu s’y prendre il y a onze mois.

Le coin des chefs

C’est à ce moment précis de notre enquête que l’on a eu vent d’une compétition informelle qui s’est déroulée à huis clos entre foodies. Les participants? Le chocolatier Pierre Marcolini, l’acteur Stéphane De Groodt, le chef Christophe Hardiquest, le food writer René Sépul et un boucher, encore un, Hendrik Dierendonck, dont le filet dressé sur os à moëlle ne manque pas de panache.

And the winner was? Paradoxalement, du moins si l’on considère une expertise s’exerçant dans le registre sucré, c’est Pierre Marcolini qui a signé le filet américain le plus convaincant. Mais là également, déception, la botte secrète de celui qui a été élu Meilleur Pâtissier du Monde en 2020 est indisponible. A savoir une sauce Worcestershire artisanale, la Col. Pabst, impossible à faire venir en Europe, du moins dans un délai raisonnable.

L’amicale joute avait également mis en lumière la version de Christophe Hardiquest, chef doublement étoilé ayant mis un point d’honneur à revisiter les classiques de la cuisine belge dans le sens de la technique. En pleins préparatifs de son tout nouveau Menssa, l’homme n’a pas hésité à nous ouvrir généreusement les portes de sa cuisine laboratoire pour livrer les arcanes d’une version marquée par une cuisson partielle, saupoudrant des notes de viande grillée sur l’ensemble, et l’utilisation d’une percutante huile de poivre.

© Anaïs Lesy

C’est à la suite de cette dégustation émaillée de délicieuses frites pochées que l’on a eu la révélation du chemin culinaire à suivre. L’idée a germé en nous de nous détourner du parti pris boucher consistant à bannir la mayonnaise de la marche à suivre tout en conservant l’impératif de préserver au plat sa filiation viandeuse – en clair, sa dérivation du tartare. A mi-chemin entre le filet américain à la Niels, soit une quasi-mousse dont les contours prémâchés nous semblent davantage taillés pour le pain, voire le toast dit «Cannibale», et le tartare des puristes enveloppé dans de l’œuf et de l’huile neutre, notre filet américain joue la carte de la belgitude sans passer la texture et la qualité de la viande sous silence.

Les 5 commandements à suivre pour préparer le parfait filet américain

Du filet pur jamais tu n’utiliseras. Viande de qualité, certes, il n’a pas sa place ici. Choisissez un muscle avec de la mâche, comme de la bavette, voire de la tache noire. Exclus aussi, les chutes et les bas-morceaux.

Le ketchup tu éviteras. Même si Christophe Hardiquest en utilise dans sa recette, la note tomatée nous a semblé dispensable. Idem pour le Tabasco, à remplacer par un ingrédient d’AOP comme la sauce au piment d’Espelette.

Une certaine rigueur tu conserveras. Tenons loin du filet américain les pesto, parmesan ou jus de citron vert. Cela ne veut pas dire qu’il faut se les interdire… mais on les rangera alors sous un autre intitulé.

Une cuisine de l’instinct tu pratiqueras. La recette du filet américain ne s’effectue pas au gramme près. Ne pas hésiter dès lors à saupoudrer certains ingrédients selon son intuition.

Une alternative à la Worcestershire Lea & Perrins tu tenteras. La sauce anglaise signe un filet américain de manière unique. Sous peu, Hendrik Dierendonck commercialisera un Garum, réalisé à base d’os de bœuf par la marque Kojinomics. A suivre.

(*) On va déguster Paris, par François- Régis Gaudry et ses amis, Marabout.

Retrouvez la recette ici:

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