Jean-François Declercq, passeur de design: « Quand on commence à confondre le design avec de l’art, il y a un problème »

© National

Il ne se dit pas galeriste et se voit comme un accompagnateur. Longtemps collectionneur spécialisé en design moderniste, Jean-François Declercq soutient à présent la création contemporaine, dans les espaces qu’il a créés à Bruxelles – Atelier Jespers et La Bocca della Verità –, les salles de vente, les salons internationaux… ou l’ancienne chambre de Jim Morrison. Il sera présent à la foire de design Collectible, du 20 au 22 mai.

Parfois, la vie ressemble à The Big Lebowski où un événement anodin vient déclencher une réaction en chaîne. Dans le film, un type pisse sur un tapis et se retrouve embarqué dans une histoire dingue. Moi, j’ai emménagé en 2015 dans l’ancienne maison du sculpteur Oscar Jespers. Le magazine AD Espagne m’a alors proposé d’y réaliser un reportage photo. Il me manquait une table basse et j’ai demandé au designer Ben Storms de m’en prêter une. Accompagné de son ami Gerard Kuijpers, il est arrivé avec plusieurs pièces. Le shooting s’est bien passé et face au résultat, je leur ai lancé: «Ça ne vous dit pas de faire un truc pour Design September?» ( NDLR: l’événement bruxellois dédié chaque année à cette discipline) Je n’avais jamais monté d’expo… Ainsi est né Atelier Jespers.

Etre galeriste, c’est taper sur le clou, montrer les mêmes objets encore et encore. Et ça, cela ne m’intéresse pas trop. Peut-être est-ce dû à ma collectionnite: j’ai sans cesse envie de voir et découvrir de nouvelles choses. Ensuite, je crois ne pas être un bon vendeur car je parle trop des pièces que j’expose. On m’a déjà dit qu’il valait mieux laisser les clients se raconter leur propre histoire…

S’il voyait comment son design est devenu un signe extérieur de richesse, Jean Prouvé se retournerait dans sa tombe. Il y a vingt ans, ses meubles n’intéressaient pas grand monde. Plein de gens ricanaient: «C’est quoi ces vieilles chaises d’école?» Moi, je trouvais ça énorme, révolutionnaire. Prouvé voulait offrir de la qualité au plus grand nombre. Son design est à la fois robuste et élégant, d’une gamme chromatique incroyable. Il était en permanence dans la recherche et, chez lui, le dessin venait après le prototype: il fallait d’abord construire pour repérer les problèmes à résoudre. Le jour où j’ai vu une chaise Standard dans une pub de champagne, j’ai compris qu’on partait sur autre chose. J’ai fini par revendre ma collection en 2014 et depuis les prix ont décuplé.

Un artiste est là pour exprimer son ressenti, un designer a toujours pour mission l’usage et le confort.

Quand on commence à confondre le design avec de l’art, il y a un problème. Un artiste peut enfermer un excrément dans une boîte et dire: «C’est de l’art!» Il n’y a pas de problème: l’artiste est là pour exprimer son ressenti. Un designer a lui toujours pour mission l’usage et le confort. Une chaise où l’on ne peut plus s’asseoir après deux minutes, ça ne va pas. A l’inverse, beaucoup d’architectes contemporains se comportent comme des dieux. Ils arrivent en s’imposant et, dans la foulée, ils oublient l’ergonomie. Pour moi, le bâtiment de Frank Gehry pour la Fondation Vuitton, à Paris, est raté. Ce que j’aime dans une expo, c’est la déambulation, le parcours. Là, il faut à un moment passer par un escalator et on sort alors de l’expo: toute la magie se perd.

Le design c’est tout ce qu’il y a autour de nous. Un stylo, un poivrier, un téléphone… Chaque objet est une architecture. Si vous regardez le documentaire The Object Becomes réalisé par Alexandre Humbert avec la curatrice Giovanna Massoni, vous y découvrez neuf designers belges à la fois sérieux, ultratechniques et super humbles. Ils n’ont aucune autre prétention artistique que le fait que l’objet soit beau. C’est comme ces architectes d’autrefois, des matheux avec le sens de l’esthétique au coup de crayon incroyable.

Certains lieux sont des concentrés d’histoire. Lors d’une expo, j’ai un jour vu une dame assez âgée embrasser un mur et me confier: «J’ai passé la nuit avec Jim Morrison dans cette chambre.» Cela se passait à l’hôtel La Louisiane, où j’habite quand je suis en France. Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir y ont longtemps vécu après y avoir débarqué sans le sou en 1943. Après la guerre, l’hôtel est devenu le cœur du swinging Saint-Germain. Ma chambre était celle de Miles Davis et Juliette Greco. Sa propriétaire, grand-mère de Xavier, le propriétaire actuel, était une veuve qui organisait des soirées bebop, interdites ailleurs car les jupes y étaient trop courtes. Gene Vincent, Agnès Varda, François Truffaut et Frank Zappa sont passés par là. Tarentino y a écrit Pulp Fiction. C’est un hôtel défraîchi mais au charme incroyable. Quand Xavier m’a proposé d’organiser quelque chose pour la Design Fair, on a investi toutes les chambres.

A voir à Bruxelles: Witnessd’Alexandra Leyre Mein (en photo, deux de ses œuvres), à l’Atelier Jespers, jusqu’au 14 mai ; et Interieur Contemporain de Margherita Ratti à la Bocca della Verità, jusqu’au 26 juin. atelierjespers.com, laboccadellaverita.gallery, collectible.design

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