Le bonheur… sous les platanes
C’est un jardin merveilleux, à l’abri des regards, dans la campagne de Saint-Rémy-de-Provence. Un havre idéal où la nature se déploie élégamment dès qu’arrivent les beaux jours.
Caroline Guiol
Chaque année, dès que les bourgeons pointent leurs pousses tendres, c’est l’enchantement. Sous les vieux platanes centenaires, la vie de la maison s’installe à ciel ouvert. Adossé à la façade, le salon d’été, rhabillé de blanc, entre alors, depuis l’immense terrasse en pierre de Beaucaire, dans la danse des rencontres et des dîners gourmets sous les étoiles. Mais ce jardin unique, hommage aux essences méditerranéennes, est aussi une invite à la méditation. Si loin du monde quand on s’installe là, face à ses perspectives, ses déambulations entre deux allées posées en équilibre parfait et pourtant, si près du quotidien du village…
» Je m’en souviens encore, raconte son propriétaire, Serge Duphil. Lorsqu’en janvier 2001 je reçois le choc de cette ancienne ferme achetée sur un coup de foudre, le jardin, cerné, confiné par des haies de cyprès, ressemblait plutôt à une forêt des Vosges. » Pour animer la platitude de ces 4 500 m2, il fait appel au célèbre paysagiste vauclusien Michel Semini, à qui la région doit ses plus belles réalisations. Ensemble, ils vont entamer une longue collaboration pour réapprivoiser cet immense jardin. » A force d’échanger et de confronter nos idées, nous nous sommes enfin mis d’accord sur un projet très ordonnancé qui devait laisser découvrir, au final, des étapes de végétation successives, visibles à l’£il nu depuis le seuil de la maison : la terrasse, les lavandes, la piscine et les haies, la roseraie, le jardin potager, le verger, les massifs de lauriers-tins et de lauriers-sauce… Autre impératif, le choix dominant des couleurs, blanc et vert, devait nous plonger d’emblée dans un univers de paix et d’harmonie. »
Au printemps de cette même année, les cyprès mis à mal par un long abandon sont arrachés ; d’autres, qui protègent des assauts du mistral, sont remis en scène, bien taillés à l’entrée de la propriété en signe de bienvenue ou comme une ponctuation dans les massifs lumineux de rosiers » Fée des neiges « , délimitant un salon de verdure. » Notre souci alors était de faire cohabiter oliviers et lavandes, peu exigeants en eau, avec une pelouse velours qui nécessitait un arrosage permanent. Nous avons tâtonné, réfléchi à la manière dont l’eau cheminait, arraché, drainé le terrain en largeur pour profiter de l’humidité des zones infiltrées, replanté, aplani… Au bout de plusieurs tentatives et de péripéties, le gazon posé en plaques s’est enfin pris au jeu de l’aventure. Nous avions gagné, maîtrisé la nature ! Même si, aujourd’hui, l’entretien, l’arrosage automatique, la sophistication de l’éclairage demandent des réglages permanents, ce tapis si généreux à fouler, toujours vert, nous semble encore une véritable prouesse technique. » Dès lors, les plantations (pépinière Appy à Roussillon et Les Jardins de Glanum à Saint-Rémy) peuvent commencer.
Séduction et douceur de vivre
Au bonheur d’une abondance récompensant au quotidien le plaisir de cuisiner de vrais produits qui ont du goût, chaque arbre fruitier (cerisier, abricotier, pêcher, prunier, figuier, néflier, pommier, poirier, amandier, mûrier) vient prendre racine autour d’une circulation en forme d’escargot intégrant chaque fois, à son pied, un massif végétal. Le potager n’est pas en reste. On le sème de précieuses graines : tomates, poivrons, aubergines, trio indissociable des savoureux tians de l’été, haricots verts croquants ; fraises, framboises, raisins, débauche d’herbes odorantes, dont une merveilleuse verveine pour la tisane du soir. Tout se cueille, se déguste à point nommé, dans le respect des saisons. Au milieu de la roseraie, voulue exclusivement blanche avec ses 900 plants de » Fée des neiges « , embaumant du printemps jusqu’aux premières gelées, une fontaine rafraîchissante en pierre (Décor et Tradition, à Cavaillon) souligne l’irrésistible séduction de ces floraisons magiques. Autour, quatre larges bancs (chinés par l’antiquaire avignonnais Hervé Baume dans un château de Charentes) invitent à la lecture. Les vieux oliviers au tronc noueux, choisis aux alentours de Gordes, ont déjà l’allure du vécu. L’histoire du pays, la rigueur de certains hivers comme sa douceur de vivre s’apprennent en caressant leur écorce. A leur pied, de grands rectangles de Teucrium rythment la perspective de ce vert tendre tonique avec ce feuillage gris argenté.
Les pins, rapportés de la Côte d’Azur, coiffent de leurs aiguilles des coins d’ombre bienfaisante. Les massifs qui bordent la terrasse mélangent à foison valériane, sauge rouge, jujubier, agapanthes, érigérons, quelques palmiers nains… Il y a du lilas, du jasmin, des iris, des buis. Et, bien sûr, voilà la lavande, mauve, à perte de vue : 500 pieds à cultiver sans relâche, pour que l’air embaume de cette fragrance douce ou puissante, selon le sens du vent. Sous la treille charmeuse, sur laquelle s’enchevêtrent des sillages en cascades, des galets ramassés au bord de la Durance ont été posés un à un en calade (Maçonnerie Aprin à Saint-Rémy). Clin d’£il à la Provence et aux seuils des mas qui prolongent alentour la belle authenticité de ces terres agricoles, éternellement domptées par la main de l’homme.
Caroline Guiol
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