Mariage gay: où en est-on en Belgique, 20 ans plus tard

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Gabriel et Alain
Wim Denolf Journaliste Knack Weekend

Début juin, cela fera vingt ans que les premiers mariages homosexuels ont été célébrés dans notre pays. A l’époque, la Belgique était le deuxième pays au monde à l’avoir rendu possible. Quel impact cela a-t-il eu sur la communauté arc-en-ciel mais aussi pour l’acceptation de l’homosexualité? “Les lois ont changé plus vite que les idées”, selon les principaux concernés.

Bien avant que la reconnaissance légale et la protection des relations homosexuelles ne deviennent un point de discorde au milieu des années 90, les couples masculins et féminins concluaient déjà des unions symboliques entre eux. Dès les années 60, en Belgique, des associations militantes organisaient ainsi des cérémonies pour les couples du même sexe, avec échange de bagues et remise d’un certificat confirmant leur relation. Mais dans les années 80, l’épidémie de sida a montré que les choses ne pouvaient pas s’arrêter là.

Entre hôpitaux qui ne permettaient pas aux malades en phase terminale de voir leur moitié, partenaires qui n’avaient pas leur mot à dire dans l’organisation des obsèques voire même qui étaient expulsés de leur résidence par la famille du défunt, l’absence de cadre légal a souvent eu des conséquences dramatiques. Et montré l’importance d’adapter la législation.

Preuve d’engagement

Et pourtant, il aura fallu attendre le passage du nouveau millénaire et la date du 1er juin 2003 pour que les personnes du même sexe puissent légalement se marier et acquérir ainsi les mêmes droits que les couples mariés hétérosexuels, à l’exception des droits de filiation. Trois ans plus tard, l’adoption est également devenue possible, tandis que depuis le 1er janvier 2015, les épouses deviennent automatiquement mères lorsque leur conjointe donne naissance à un enfant. Chaque année, environ 1100 à 1200 couples homosexuels se disent “oui” en Belgique, dont à peu près 40% en Wallonie et à Bruxelles, et le reste au nord du pays.

Des chiffres qui ne surprennent pas l’activiste gay Paul Borghs, pour qui “d’une part, les personnes en couple depuis longtemps veulent formaliser un certain nombre de choses pratiques, comme ce qui se passe en cas de décès ou de séparation, par exemple. Mais le mariage a aussi une grande signification symbolique et émotionnelle. Cela indique à la fois au couple et à son entourage que la relation n’est pas sans engagement, qu’ils veulent avancer dans la vie ensemble. C’était moins important pour le mouvement gay à l’origine, qui voulait principalement mettre fin à la discrimination dans des domaines tels que le droit de succession, les régimes de retraite, la sécurité sociale ou les impôts. Pour beaucoup, se marier est avant tout une reconnaissance symbolique de leur amour et de leur engagement mutuels”.

Une perspective que partage l’experte en relations Rika Ponnet. “Le mariage offre aux personnes une protection juridique et donc un sentiment de sécurité. Chez les hétéros aussi, vous voyez que pas mal de couples commencent à y penser lorsqu’ils veulent acheter une maison, avoir des enfants ou quand la santé d’un des deux partenaires flanche. Mais le motif le plus important pour les couples mariés reste le désir universel de la sécurité d’une relation intime. Le mariage exprime cela dans un rituel et souligne que les gens se choisissent vraiment”.

Mariage plus vieux

Comme dans d’autres pays qui autorisent le mariage homosexuel – il y en a maintenant 34 dans le monde – les couples LGBT+ se marient généralement à un âge plus avancé que les hétérosexuels. Selon l’office statistique belge Statbel, en 2021, les conjoints avaient en moyenne 37,8 et 33,7 ans au début de leur mariage chez les couples féminins, et 43,8 et 37,4 ans chez les couples masculins. Par comparaison, les partenaires des couples hétéros avaient eux en moyenne 34,5 et 32,3 ans. Logique, puisqu’au cours des premières années de la légalisation du mariage homosexuel, des couples qui attendaient cette opportunité de longue date ont sauté sur l’occasion, faisant ainsi monter la moyenne d’âge. Et si, aujourd’hui on n’assiste plus vraiment à cet effet levier, on constate toutefois que les personnes LGBT+ ont tendance à mettre plus de temps à accepter leur orientation sexuelle, ce qui explique que les partenaires soient plus âgés au moment de se passer la bague au doigt, décrypte Eef Heylighen, porte-parole de çavaria, l’organisation qui chapeaute les associations LGBT+ de l’autre côté de la frontière linguistique.

Des règles différentes

L’âge de raison? Si en Belgique comme dans d’autres pays, les données disponibles suggèrent que les mariages homosexuels sont plus stables que la moyenne, Rika Ponnet met en garde contre les conclusions hâtives. En effet, “le mariage gay n’existe tout simplement pas depuis assez longtemps pour pouvoir faire des déclarations fiables à ce sujet”. De manière générale, par contre, il semblerait qu’ici comme ailleurs, les mariages entre deux femmes soient moins durables que ceux entre hommes. « Cela pourrait être dû au fait que les couples masculins attachent souvent moins d’importance à la fidélité sexuelle », avance l’experte en relations. “Chaque couple écrit ses propres règles, il ne faut donc pas généraliser, mais les hommes peuvent souvent en parler très ouvertement et librement sans remettre en cause la relation elle-même. Quand vous considérez qu’au moins la moitié des couples hétérosexuels doivent faire face à des relations extraconjugales, et combien de souffrance et de divorces cela provoque, il y a des leçons à en tirer pour la société en général”.

Autre statistique intéressante: les couples homosexuels qui se séparent décident également de divorcer plus rapidement que leurs homologues hétéros. Pour les hommes en moyenne après 8,3 ans et pour les femmes après 7,1 ans, contre 16,5 ans pour les couples homme-femme. « Ce qui est peut-être dû au fait que les LGBT+ sont plus souvent sans enfant », suggère Rika Ponnet. “On voit aussi que la durée du mariage est plus courte chez les hétérosexuels quand il n’y a pas d’enfant. Par ailleurs, la qualité et la durabilité des relations sont également liées à la manière dont les personnes impliquées sont acceptées et soutenues dans leurs choix relationnels par leurs proches. C’est parfois plus difficile pour les LGBT+, ce qui peut avoir un impact sur la manière dont ils envisagent le couple. Bien qu’il se pourrait aussi que les LGBT+ soient juste un peu plus courageux. Si votre orientation vous oblige à franchir un certain nombre d’étapes difficiles au cours de votre vie, vous pouvez aussi oser tirer un trait sur votre couple plus tôt lorsqu’il s’avère qu’une rupture est nécessaire.”

Changement de perspective

Reste que pour Paul Borghs, « l’ouverture du mariage à tous a énormément aidé à normaliser l’homosexualité et les relations homosexuelles dans notre société. Notamment parce que tous ces mariages ont rendu les relations gay plus visibles, même dans les petites municipalités et villages où il n’y avait pas d’associations gay ou d’endroits où sortir. Peu à peu, il est également devenu clair pour tout le monde que les LGBT+, comme le reste de la population, vivent des relations amoureuses et durables, contrairement au préjugé qui voulait que les hommes homosexuels soient principalement intéressés par le sexe et des aventures sans lendemain.

« L’ouverture du mariage à tous a énormément aidé à normaliser l’homosexualité et les relations homosexuelles dans notre société »

Paul Borghs

En outre, le fait qu’on touche au mariage, une institution que les gens connaissent et identifient comme un engagement sérieux, plutôt que d’imaginer une réglementation séparée, a beaucoup joué.” L’activiste est bien placé pour le savoir, lui qui travaillait dans le secteur bancaire au moment de dire oui à son partenaire, et qui a remarqué le changement qui s’est opéré parmi ses collègues. “Avant, certains étaient mal à l’aise et ne savaient pas comment me parler de Roger. Une fois qu’on a officialisé les choses, ils me demandaient simplement comment allait mon mari”.

La lutte continue

Malheureusement, malgré tous ces éléments encourageant, le quotidien des personnes LGBT+ n’est pas toujours sans nuages. Ainsi, selon une étude récente de l’UZ Gent et de l’Infopunt transgenre en Flandre et à Bruxelles, plus de 30% d’entre elles ont été victimes de violences physiques au cours de ces deux dernières années, tandis que plus de 90% ont dû faire face à des violences verbales ou psychologiques. D’après l’Agence européenne des droits fondamentaux, deux personnes LGBT+ sur trois n’osent pas marcher main dans la main dans la rue en Belgique. Des discriminations face auxquelles la Wallonie s’est déclarée « zone de liberté pour les personnes LGBTQIA+ » en 2021, lançant dans la foulée un plan d’inclusion de la communauté, qui dépose à l’heure actuelle environ 400 plaintes pour discrimination chaque année à l’UNIA.

« Les lois ont changé plus vite que les idées »

Wim Peumans, anthropologue

« En 2003, on avait l’impression que le mariage homosexuel était le point d’orgue de la lutte pour l’émancipation, mais les lois ont changé plus vite que les idées », regrette l’anthropologue Wim Peumans. « Il y a peu de discussions sur l’acceptation de l’homosexualité et des principes comme l’égalité des droits pour les personnes LGBT+. Problème: même si, aujourd’hui il n’est plus bien vu de dire qu’on a un problème avec l’homosexualité, cela reste une acceptation superficielle.

Il suffit de demander autour de vous ce que les gens pensent quand ils voient deux hommes s’embrasser dans la rue. Il s’agit en plus d’une acceptation conditionnelle: les LGBT+ n’ont pas de problèmes tant qu’ils restent dans les normes de genre en vigueur et qu’ils gardent leur orientation sexuelle privée.” Autrement dit, si, sur le plan juridique, l’égalité est presque complète, sur le plan social, on est encore loin du compte, ce qui a un impact non-négligeable sur le bien-être physique et mental de la communauté homosexuelle belge. Laquelle a peut-être remporté une bataille cruciale il y a vingt ans, mais n’a guère fini de lutter pour autant.

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