Rencontre avec l’actrice franco-iranienne Aïda Asgharzadeh

Aïda Asgharzadeh a voulu rendre hommage à l'engagement de ses parents dans sa pièce Les Poupées Persanes © Renaud Callebaut

Aïda Asgharzadeh est née en France de parents iraniens devenus exilés politiques à la suite de la révolution islamique. Les poupées persanes est sa pièce la plus intime, inspirée par l’histoire de sa famille. Pépite du Festival off d’Avignon, ce spectacle choral, à voir à Auderghem à partir du 7 février, rend hommage à sa manière à la jeunesse qui en Iran se bat pour sa survie.

Le pouvoir du conte est universel

En Iran, on ne commence pas nos récits par «il était une fois» mais par une formule qui équivaut à dire «l’important, c’est que tu y croies». Si on y croit tous, on vivra la même aventure ensemble. Avant la mort de Mahsa Amini (NDLR: l’étudiante décédée en septembre 2022 après son arrestation liée à sa tenue vestimentaire), pour la plupart des spectateurs, ce qu’ils voyaient n’était qu’une histoire qui appartenait à une révolution du passé. Aujourd’hui, l’écoute a changé: plus personne ne peut ignorer ce qui se passe en Iran. Ce que je raconte est toujours d’actualité.

Ce sont les petites histoires qui façonnent la grande.

Je n’ai aucune envie d’écrire un huis clos. J’ai besoin que ça voyage, que ça se mélange. Ce qui m’intéresse, ce sont les liens intergénérationnels, d’où l’on vient et où l’on va, qui l’on est et ce que l’on en fait. C’est mon vécu familial sans doute qui fait cela. Car l’histoire avec un grand H, c’est nous tous qui l’écrivons. Où que nous soyons. Certes, une partie de la pièce se déroule en Iran, mais cela peut faire écho à toute personne qui a dû par la contrainte partir de chez elle ou lutter contre l’oppression.

La pièce commence en Iran au moment de la révolution de 1979

J’ai grandi dans la culpabilité

Celle de mes parents qui, comme beaucoup de réfugiés de leur génération, se sont sentis coupables d’avoir laissé pour héritage de la révolution qu’ils avait menée un régime encore plus effroyable que celui du shah. Et surtout d’être partis en abandonnant les générations suivantes face à leur destin. Mes culpabilités aussi. Celle d’avoir eu honte, jusqu’à l’adolescence, d’être Iranienne, d’appartenir à un pays dont personne ne connaissait les coutumes et les traditions. Et dont l’image était si négative. Et celle ensuite d’avoir jugé mes parents sans savoir vraiment ce qu’ils avaient vécu. Cette pièce, je l’ai écrite pour qu’ils la voient, je voulais en quelque sorte être leur porte-voix.

‘Ce qui m’intéresse, ce sont les liens intergénérationnels, qui l’on est et ce que l’on en fait.’

On ne fait la révolution que lorsqu’on n’a plus d’autre choix

La jeunesse iranienne qui prend le risque aujourd’hui de mourir, elle n’est pas suicidaire. C’est parce qu’elle a envie de vivre qu’elle est prête à tous les sacrifices. Hélas, je ne connais pas de révolution qui se soit achevée dans le bonheur et l’harmonie. L’inquiétude − puisque ce régime va tomber, ce n’est pas possible autrement – c’est de ne pas savoir ce qui va le remplacer.

Je n’ai pas d’attache particulière à une terre

Je me sens Française et Iranienne mais demain, si je dois vivre ailleurs, je pourrai partir sans détour. C’est sans doute pour cela que j’aime à ce point l’itinérance de mon métier. Etre en tournée la moitié de l’année. Rester ouverte aux rencontres. Prendre plaisir à être accueillie.

Double temporalité pour ce spectacle qui se déroule aussi dans les montagnes frnçaises à l’auble de l’an 2000

La réussite peut faire aussi peur que l’échec

C’est plus facile de prendre le risque de ne pas faire que d’oser essayer. La procrastination, ce n’est que ça finalement. Le succès, c’est l’inconnu. Et ça peut être flippant. Cette peur, j’ai pu l’éprouver quand j’ai décidé de devenir artiste. Mais depuis la pandémie, c’est fini. Je sais que le vie est courte, qu’il faut y aller. Que ça peut être trop tard bien plus vite qu’on ne l’imaginait.

Je n’ai jamais l’angoisse de la page blanche

Peut-être parce que j’ai encore du mal à considérer l’écriture comme mon métier. Elle est arrivée dans ma vie un peu par hasard. Si j’écris, c’est parce que ça me fait plaisir. Je m’isole alors avec mes livres et mon ordinateur. Pour chaque personnage, je me pose à tout moment la question: ce rôle, est-ce que j’aurais envie de le jouer? J’en connais déjà tous les ressorts psychologiques, les moindres intentions avant même d’entamer la première répétition.

La course me met dans des états quasi méditatifs

Ça m’aide à débloquer des situations confuses, notamment dans l’écriture. Au début, les images se chevauchent dans ma tête mais au bout de 30-40 minutes, mon cerveau arrête de ressasser tous les problèmes de ma vie. C’est comme si d’un coup la porte de mon imaginaire allait s’ouvrir, les idées me viennent. Et ça me fait du bien.

Les poupées persanes, au centre culturel d’Auderghem. ccauderghem.be

Du 7 au 12 février.

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