Le commerce en ligne, bientôt une voie sans retours gratuits?

Fini les retours gratuits pour le shopping en ligne? Getty Images
Fini les retours gratuits pour le shopping en ligne? Getty Images
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste & Coordinatrice web

Bâti sur la promesse d’une expérience dont la simplicité n’a d’égale que le confort, le shopping en ligne est pourtant en train de réaliser que ses fondations sont bancales. À commencer par un de ses principaux piliers, les retours gratuits, qui pourraient être en voie de disparaître.

Tout commence par une quête. En l’occurence, celle du papier de renvoi, devenu indissociable des commandes en ligne dans l’esprit des personnes qui s’y adonnent. Et pourtant, toutes les plateformes d’e-commerce n’en incluent pas un dans leur colis, et de plus en plus, son absence est le signe que si vous désirez renvoyer votre commande, cela va vous coûter. C’est que s’ils sont suffisamment répandus pour être vus comme un droit, les retours gratuits ne sont pourtant pas obligatoires, et de plus en plus de plateformes de vente en ligne décident de s’en défaire.

De Jacquemus à Saint Laurent en passant par Burberry, Rotate ou Balenciaga, la plateforme australienne Cettire s’enorgueillit de rassembler le meilleure du luxe, avec des prix défiant souvent toute concurrence. Entre soldes, rabais réguliers et autres offres conjointes, on s’y offre un peu de rêve et la proximité avec la haute couture contre le prix d’une robe ou d’une veste moyen de gamme type Kooples, Zadig & Voltaire et al. La belle affaire? Oui mais attention à ne pas se tromper au moment d’appuyer sur « payer ». Si vous avez évidemment le droit de renvoyer les achats qui ne vous plairaient pas, cela ne représentera pas une opération blanche pour autant. À condition que vos achats soient bien retournés à l’envoyer endéans les 14 jours après votre réception de ces derniers, sachez qu’il vous en coûtera des frais de 25 euros par pièce renvoyée. Auxquels il faut ajouter les éventuels droits de douane ainsi que frais de renvoi, lesquels, pour un colis vers l’étranger, peuvent rapidement être conséquents. Autant dire qu’une fois tous ces coûts pris en charge, il ne reste plus grand chose du remboursement du t-shirt de marque ultra soldé mais malheureusement trop petit qui vous est arrivé.

« Des exclusions s’appliquent »

Et le multimarques de luxe est loin d’être aux antipodes du secteur. Chez Ssense, pas de frais de traitement des articles renvoyés, mais pas de retours gratuits non plus. Or sachant que la plateforme, où l’on trouve aussi bien du Maison Margiela neuf à prix cassé que des bijoux de créateurs, est établie au Canada, là aussi, le montant annoncé au moment de déposer le colis au point poste a de quoi piquer aux yeux. Et ce n’est pourtant qu’un petit prix à payer, comparé à celui infligé par d’autres plateformes à sa clientèle.

Pas de maisons de couture sur ASOS, mais qu’importe: anagramme d’As Seen On Screen, le géant de l’e-commerce tient sa promesse et propose aux shoppers un éventail d’autant plus étourdissant de tendances que l’offre semble s’adapter presqu’en temps réel à la frénésie des tendances. De quoi pousser les adeptes de la fast-fashion à acheter vite, vite, histoire de ne pas louper le coche. De toute façon, au pire, on essaie et on renvoie, non?

Pas si vite, justement.

@alyssabock_

Story Time. I Need Help!!!! Hit me in the comments – is it me and I the drama?? Or is it @asos for blaming me for a package that arrived without the items I ordered and paid for?!

♬ original sound – Alyssa Bock
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« Les retours d’articles éligibles envoyés dans les 14 jours suivant leur réception sont GRATUITS. Si vous renvoyez un article après ce délai, vous devrez payer nos frais de retour. Des exclusions s’appliquent » précise ASOS. Et les exclusions susmentionnées sont à prendre au propre comme au figuré.

Spirale infernale

Dans une vidéo ayant suscité près de 200.000 réactions sur TikTok, une Américaine nommée Alyssa Bock appelle à l’aide. Son problème: ASOS l’aurait bannie à vie suite à une commande qu’elle affirme avoir reçue incomplète. « Ils m’ont d’abord dit que j’allais être remboursée, avant de m’envoyer un mail disant que j’étais bannie à vie et que si je créais un autre compte, ils matcheraient mon nom et mon adresse et que je serais juste bannie à nouveau » raconte la jeune femme, qui en appelle aux témoins: d’autres personnes ont-elles vécu une expérience similaire? En commentaires, c’est le déluge, avec des shoppers venu d’Allemagne, d’Angleterre ou encore des Etats-Unis comme Alyssa, qui racontent avoir eux aussi été bannis. Motif: « trop de retours ».

C’est que le modèle des retours gratuits inviterait presque à en abuser. Vous hésitez entre deux tailles et trois modèles? Bien sûr, le site propose un outil de mesure, et indique où passer le mètre ruban pour savoir si c’est plutôt M, L ou XXL qu’il vous faut, mais pourquoi s’embêter quand on peut juste cliquer, essayer puis renvoyer? Certes, le vert caca d’oie n’est pas trop votre couleur, mais bon, c’est ultra soldé, et puis ça ne coûte littéralement rien d’essayer, donc ça se tente, non? À trop normaliser le cycle achat impulsif-renvoi-remboursement, l’e-commerce est tombé dans un piège qu’il a lui-même créé. Et dont il tente aujourd’hui tant bien que mal de s’extirper, quitte à froisser la sensibilité de sa clientèle.

@alex.lamx

Replying to @bri and there you have it! The story of why @asos banned me from being a customer for the rest of all time. Basically because I returned too much stuff at one time. I remember this being more exciting. I’m going to have to go back through my receipts and see what juicy details. I am missing because I am pretty sure I have the transcript of some of my customer service chats that may have gotten a little spicy😂😂😅😅. #asos #customerserviceproblems #maternity #GRWM #GetReadyWithMe #StoryTime #MomLife #Boymom #Nightmare #ShopAtASOS #FYP #ForYouPage #ForYourPage #funnystory #makeuptutorial #easymakeup #microinfluencer #asosfinds #asosfashunweek

♬ original sound – Alexandra Lamoreaux 🖤
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Attitude bravache, petit rire qui masque mal sa déception, Alexandra Lamoreaux a elle aussi été bannie à vie d’ASOS, et c’est entièrement de la faute de son bébé, confie-t-elle, ironique. Ayant voulu immortaliser la famille peu de temps après l’accouchement, et n’étant pas trop sûre de la taille qu’elle mettait post-grossesse, Alexandra avait commandé une série de robes de tailles différentes, afin de les essayer dans le confort de son domicile. Problème: quand elle a voulu renvoyer celles qui ne convenaient pas, vu le montant de la commande renvoyée, soit un peu plus de 600 euros, elle a été informée qu’elle n’avait plus le droit de faire ses achats sur le site pour cause de « retours déraisonnables ». Et tant pis si la jeune maman pensait être parfaitement dans son bon droit puisqu’elle avait souscrit à l’abonnement renvoi, qui lui donnait normalement droit à une quantité de retours illimitée.

Un mal pour un bien?

Autre plateforme, autre approche: chez Zalando, on maintient que « les retours gratuits font partie intégrante de notre promesse de service aux clients depuis le premier jour. Notre objectif est d’offrir à nos clients une expérience d’achat aussi agréable que possible en amenant la cabine d’essayage à leur domicile. Nos clients peuvent commander plusieurs articles, les essayer dans le confort de leur maison et ne garder et ne payer que ce qu’ils aiment vraiment et ce qui leur convient ». Mieux encore: là où la législation européenne prévoit la restitution de « tout achat dans un délai de 14 jours sans devoir vous justifier », le géant allemand, lui, offre à sa clientèle 100 jours pour décider si elle garde, ou non, sa commande.

Pas de quoi s’inquiéter, donc. Pourtant, les réponses aux questions envoyées au leader du commerce en ligne ont mis un moment à arriver – et ce, après qu’il ait été précisé que ce reportage n’avait pas pour vocation d’être un brûlot. C’est que si cela ne fait pas les affaires de celles et ceux qui commandent plus vite que leur ombre, la fin des retours en ligne (Ose-t-on même le suggérer? On le chuchote, allez) serait presque… une bonne chose.

Le vrai coût des retours gratuits

Allez donc dire ça à la pauvre jeune maman qui ne peut plus profiter des joies de l’achat en ligne, et qui doit à nouveau affronter la quête de la bonne taille en rayon et puis la torture connue sous le nom de cabine d’essayage! Et que dire de ces pauvres bannis de l’e-commerce contraints de subir le supplice du shopping le samedi!

Mais ces petits inconforts sont bien inconséquents en comparaison avec les effets délétères d’une frénésie de retours sur la planète. Qualifié de « désastre écologique », rien de moins, par la plateforme d’optimisation Circular Place, les retours en ligne, outre leur coût élevé pour les entreprises concernées, auraient ainsi un coût environnemental « énorme ». En cause, « les émissions de gaz à effet de serre dues au transport, les déchets d’emballage, et la destruction des articles retournés, qui ont un impact non négligeable sur notre planète ». Et de citer l’entreprise spécialisée dans les retours Optoro, qui a calculé que chaque année, rien qu’aux Etats-Unis, ceux-ci produiraient 15 milliards de tonnes de CO2. Soit l’équivalent des émissions de plus de trois millions de voitures. De quoi mettre en perspective l’aspect anodin du cycle achat-renvoi.

Dans le bon sens

Plutôt que d’avoir recours à la méthode dure, et de manier bannissements et autres frais de renvois, Zalando préfère ainsi s’attaquer (en partie) à la source du problème, et s’efforcer notamment de réduire les retours évitables, à commencer par ceux liés à la taille, qui représentent environ un tiers de l’ensemble des retours. Et les Allemands de se réjouir d’avoir déjà « réussi à réduire de 10 % le taux de retour lié à la taille des articles pour lesquels nous offrons des conseils en la matière ».

Voilà pour la méthode douce, mais la punition a aussi du bon. Affligée de son propre aveu d’un penchant pour le shopping en ligne qui frôlerait presque l’addiction, notre journaliste s’est ainsi trouvée fort dépourvue au moment de devoir payer plus de 60 euros pour renvoyer un bijou signé d’un nom bien connu de la mode, commandé outre-Atlantique et finalement pas si élégant que ça une fois reçu et déballé. Une déconvenue qui aurait pu être évitée en prenant le temps de l’inspecter sur différents sites, voire même, d’aller le voir en vrai en boutique, quitte à l’acheter tout de même à prix ultra avantageux en ligne après.

Mais en élevant l’effort minimum au rang de norme, l’e-commerce a virtuellement fait disparaître ces réflexes, berçant les acheteurs du cliquetis des « ajouter au panier » et de la douce certitude qu’il ne leur en coûtera rien de plus qu’un aller-retour au point poste s’ils devaient se rétracter. Un mythe aussi dangereux pour l’environnement et le modèle économique des plateformes de vente en ligne que pour le rapport des acheteurs au shopping.

Un renvoi extrêmement coûteux plus tard, la leçon est chèrement acquise, mais elle en vaut la peine. Elle rappelle en effet que malgré sa facilité enfantine, le shopping en ligne n’est pas plus un jeu qu’un achat en boutique. Et que si on n’imaginerait pas une seule seconde sortir d’un magasin avec un vêtement ou un accessoire qui nous convainc bof, mais dont on se dit qu’on va le passer quand même chez soi « pour voir », il n’y a pas plus de raison d’acheter de manière irréfléchie par écran interposé. Le résultat? Retrouver le plaisir d’achat, indissociable de la réflexion autour de ce qu’on s’apprête à s’offrir, de l’anticipation à l’idée de pouvoir enfin le porter et de la joie au moment de l’étrenner pour la première fois.

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