Florence D’Avino (La Popote): « Ce sentiment de donner, grâce à la cuisine »

Florence D'Avino, La Popote
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

« 14 couverts où le réconfort est servi à la louche », c’est en ces termes que nous décrivions La Popote, un attachant petit restaurant de Nivelles. La chef, Florence D’Avino, prend la plume pour confier avec sincérité sa manière de faire face à la crise actuelle.

« J’ai lu les articles et les témoignages que Weekend a recueillis auprès des chefs en confinement. Merci pour les témoignages des chefs Gardinal et Petitjean qui ont mis des mots sur ce que je ressens actuellement. Je n’ai pas la prétention de me comparer à ces grands messieurs et nos situations actuelles doivent être bien différentes… mais ça aide à y voir un rien plus clair.

Nous n’avons jamais été aussi nombreux à traverser le même dilemme au même moment, et malgré tout, nous sommes tous tellement différents et tellement isolés. Chacun de nous semble chercher un moyen de s’organiser, tenant compte de la peur de la maladie, la peur des difficultés financières, la peur du changement, la peur de l’oubli…

J’ai très souvent eu envie d’interroger mes collègues restaurateurs sur la manière avec laquelle ils cherchent à s’organiser mais je n’ai jamais osé. C’est un défaut-qualité chez moi. J’ai toujours peur d’être indiscrète.

Le 14 mars, j’ai décidé de me mettre spontanément en « quarantaine » pendant au moins deux à trois semaines. Le temps déjà d’observer les décisions gouvernementales mais aussi… par peur tout simplement de choper cette maladie!

Les deux premières semaines de confinement, et là c’est le moment hyper égoïste de ce message, j’avoue avoir kiffé à mort !

Vivant au-dessus du resto, en plein centre-ville, alors que tous les bars et cafés sont fermés… J’ai dormi comme un bébé toutes les nuits sans interruption. Aucun bruit, aucune bagarre pendant la nuit, personne qui hurle parce qu’il a trop bu. En deux semaines, j’ai récupéré l’entièreté du sommeil que je n’avais plus depuis l’ouverture du restaurant il y a un peu plus de 2 ans. Et puis, comme tout le monde, c’était l’occasion de remettre de l’ordre, de nettoyer à fond la caisse, de prendre du temps pour moi (je me suis mise aux Pilates). En plus, il y a eu le soutien de ma clientèle. Un vrai bonheur marqué par la sympathie, la gentillesse et les marques d’affection. Ce sentiment que j’étais un chef qui leur donnait beaucoup grâce à la cuisine.

J’ai très vite décidé de ne pas faire traiteur. Comme un bon petit soldat, je suis partie du principe qu’il était nécessaire d’éviter des déplacements, d’éviter de me rendre dans un magasin, d’éviter les éventuels regroupements de personnes, d’éviter le risque de propagation… J’ai pour ainsi dire inventé le #stayhome.

Depuis quelques jours, des collègues restaurateurs proposent du service traiteur-take away. J’ai même trouvé ça marrant qu’ils s’y mettent presque tous en même temps ! Et là, je me sens complètement perdue. Je n’arrive plus à discerner objectivement ce que je dois faire.

Je gère ce restaurant seule. C’est à moi qu’incombent la décision et les responsabilités. Et là… c’est dur. Psychologiquement, c’est dur. C’est comme si la situation que nous vivons m’avait complètement engourdie, ankylosée.

J’aime vraiment mon métier (sans forcément m’appeler une passionnée) même si je savais qu’en mettant les pieds dans ce secteur, qu’en devenant indépendante en Belgique en 2018, seule avec 14 couverts par soir, je savais que ce ne serait jamais l’extase financière.

Et consciente de ne pas forcément rouler sur l’or, j’ai eu besoin d’un autre leitmotiv pour y retourner tous les jours. Et ce leitmotiv, c’est l’énergie… grâce à mes fournisseurs, grâce à ma clientèle, aux gens qui sont toujours autour de moi. Je pense que c’est à cause de cela que je n’arrive pas à trouver l’entrain nécessaire pour proposer du service traiteur. Toute seule je n’y arrive pas.

Depuis deux semaines, je propose mes services de manière bénévole dans la proximité de Nivelles, vu que nous sommes quand même limités géographiquement. La Croix-Rouge, les banques alimentaires, IPAM, l’aide à la Ferme pour ramasser les légumes… J’ai même proposé à mes collègues mon aide pour leurs mises en place.

J’ai tout de même le sentiment qu’au sortir de tout ça, si je n’ai pas pu aider un tant soit peu l’une ou l’autre personne (malheureusement je ne sais pas coudre), j’aurais vraiment la sensation d’avoir été inutile. Et franchement, dans ce contexte, l’argent, je m’en fous…pas trop mais un peu quand même.

J’espère ne pas avoir été trop longue à lire, ni trop pénible… peut-être un peu drôle ? »

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