#watertok
#watertok, l'amer à boire - Montage Vif Weekend

Remplacer le dessert par de l’eau goût popcorn ou barbe à papa, la folie #watertok

Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Si TikTok n’existait pas, il ne faudrait probablement pas l’inventer. C’est qu’on se porterait tous probablement mieux sans des lubies diététiques telles que #watertok, les « recettes » qui transforment l’humble eau potable en concoctions aux goûts plus audacieux les uns que les autres.

Appartenant respectivement aux générations Z, Millenial et X, Thibault Dejace, Kathleen Wuyard, Nicolas Balmet et Nathalie Le Blanc confrontent leurs points de vue sur le buzz du moment dans notre chronique « 10 ans d’écart ». Le sujet de la semaine: #watertok, un hashtag rassemblant près de 150 millions de vues pour ces « recettes » d’eaux aux goûts tels que gâteau d’anniversaire, popcorn ou barbe à papa.

Thibault, 23 ans: « Pas de calories mais plein de sucre et d’additifs »

J’ai exploré #watertok, la niche ultra spécifique de TikTok, et ce qui s’y passe est pour le moins étonnant. Jésus a transformé l’eau en vin, le réseau sociale, lui, la réinvente version tarte aux pommes, flan au caramel et autres combinaisons de parfums surprenantes.

Blasphème? Pas vraiment, tout comme ce n’est pas vraiment non plus appétissant. Car si lesdites boissons contiennent très peu, voire pas de calories, il en reste que pour les réaliser, nombre de sirops, poudres aromatiques et autres artifices sont utilisés. Par ici les sucres et les additifs! D’autant que sur #watertok, la tendance semble être au maximalisme, avec des recettes nécessitant parfois trois sirops et cinq sachets de poudre aux noms (et listes d’ingrédients indéchiffrables) à rallonge. Et plus il y en a, plus ça semble plaire s’il faut se fier au nombre de likes et de vues accumulés par certaines de ces « recettes » loufoques.

Je peux comprendre, jusqu’à un certain point, que pour ceux qui ne sont pas des grands fans d’eau, la perspective de remplacer cette dernière par des boissons aromatisées peut faire envie. Mais dans ce cas, une rondelle de citron, un brin de menthe et un peu de concombre font parfaitement l’affaire, non ?

Kathleen, 33 ans: « La déferlante #watertok me navre »

Comme nombre de mes contemporaines (lire: la génération post-Kate Moss et pré-body positive) j’ai passé pas mal de temps à tenter de me convaincre que des aliments étaient ce que je voulais qu’ils soient. C’est ainsi que j’ai docilement ingurgité divers ersatz protéinés affublés de nom tels que « double chocolat » ou « caramel beurre salé » et goûtant unanimement la poussière (enfin, l’idée que je m’en fais, parce que ça, par contre, je n’en ai jamais mangé) et essayé de me persuader que le « spray cuisson faible en matière grasses » était un substitut décent pour l’huile d’olive.

Ceci étant, et alors même que j’ai jadis succombé à l’hérésie des « milkshakes » (poussière-shakes) en guise de repas, la déferlante #watertok me navre. Avant tout parce que vu l’âge moyen des utilisateurs de la plateforme, et la diversification des corps montrés dans les médias ces dernières années, je pensais naïvement que la relève était assurée de ne pas tomber dans les mêmes pièges que les Millenials et leurs ancêtres, à qui on a tout de même voulu faire croire que Renée Zelwegger dans le rôle de Bridget Jones était grosse.

Las, il semblerait que se libérer des diktats de poids ne soit pas une mince affaire, et que dans leur quête de la taille de vêtements rêvée, certains soient prêts à se bourrer d’ingrédients chimiques au possible et à avaler le mensonge qui veut qu’un verre d’eau puisse être un substitut envisageable à un dessert. Vous m’excuserez, mais moi, je ne bois pas de ce vain là.

Lire aussi: Body positive: Est-on vraiment obligé·e d’aimer son corps? (et que faire si l’on n’y parvient pas)

Nicolas, 43 ans: « Mon esprit vacille et mon corps se meurt »

J’ai une fille de 17 ans qui est formelle quand vient le moment de choisir les bouteilles d’eau minérale au supermarché : « De l’eau, c’est de l’eau, ça n’a aucune importance puisque de toute façon, ça n’a pas de goût. » FAUX !, lui rétorque-je gentiment mais en m’agaçant quand même un peu.

La Spa ne provoque pas du tout la même sensation buccale que la Vittel. Et bien sûr, la San Pellegrino n’a rien à voir avec un vulgaire Perrier. C’est clair comme de l’eau de roche. Je dirais même plus : ça coule de source. Aussi, quand ma fille lâche de telles inepties, je suis obligé de mettre de l’eau dans mon vin. Cette semaine, pour les besoins de cette chronique, j’avais même une occasion bénie pour nourrir le débat : « Tiens, et les eaux aromatisées à toutes les sauces qui pullulent sur TikTok avec le hashtag #watertok, tu en penses quoi ? »

Malheureusement, même si j’aurais dû m’y attendre, elle n’en pensait pas grand-chose, puisque sa réponse fut celle-ci : « Il faudrait que t’arrêtes d’aller sur TikTok, honnêtement, je pensais que tu faisais des trucs plus intéressants que ça à ton travail. » Voilà. Bim. Dans ma tronche. Un uppercut en bonne et dûe forme, asséné avec les mêmes gants, trempés dans des éclats de verre, que ceux utilisés par Kurt et Tong Po dans Kickboxer. A l’heure qu’il est, je ne m’en suis toujours pas remis. Je suis cloué au sol, groggy et le souffle coupé, en me demandant combien de temps il me reste à vivre. Je défaille, je gémis, je succombe… Mon esprit vacille et mon corps se meurt… Vite, apportez-moi de l’eau ! N’importe laquelle, je m’en fous.

Nathalie, 53 ans: « #watertok est une offense à la sémantique »

Pour une bouche asséchée par la dégustation d’une pizza, un verre d’eau fraîche peut s’avérer aussi savoureux que du champagne, mais le reste du temps, ce breuvage, ô combien sain, est aussi un peu (j’ose le dire) ennuyeux. En voyageant en Asie, j’ai découvert qu’il suffisait d’un peu de jus de citron ou de lime pour résoudre ce problème, et je ne rechigne jamais à ajouter un peu de concombre, de pamplemousse ou de menthe à ma carafe pour rendre les choses plus intéressantes.

Par contre, parlez moi de sirops ou poudres supposés donner à l’eau le goût d’une tranche de gâteau d’anniversaire ou de banana split, et tant mon cerveau que mes papilles refusent de comprendre. Bien sûr, nombre de boissons gazeuses zéro ne sont rien d’autre que de l’eau agrémentées de sirop et d’édulcorants, mais au moins ressemblent-elles à une boisson spécifique. Mais l’eau bourrée d’additifs n’est pas plus de l’eau qu’un café bourré de caramel et de chantilly est un café – c’est un dessert.

Je fais à ce type de concoctions le même reproche qu’à l’eau chaude agrémentée d’un sachet qu’on me sert au restaurant quand je commande un thé au gingembre ou à la menthe: elles trompent sur la marchandise en usurpant leur nom. Et la sémantique dans tout ça?

Découvrez les chroniques 10 ans d’écart, où les générations confrontent leurs points de vue

23, 33, 43, 53 ans: voit-on forcément la vie autrement avec (plusieurs fois) dix ans d’écart ? Positionnés chacun dans une décennie différente, nos journalistes confrontent chaque vendredi leurs points de vue en débattant des sujets dont tout le monde a parlé lors de la semaine écoulée.

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