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Pas assez Suisse, le Toblerone? Montage Le Vif Weekend - Photo Getty Images

« Pas assez Suisse », le Toblerone? Il n’y a pas de quoi en faire une montagne

Kathleen Wuyard
Kathleen Wuyard Journaliste & Coordinatrice web

Si on vous dit « chocolat suisse », vous pensez immédiatement Lindt, Milka et Toblerone? Vous avez raison, et pourtant, vous avez tort: après que son fabricant, l’américain Mondelez, ait décidé de transférer une partie de la production de la friandise en forme de montagne à Bratislava, il s’est vu obliger de retirer le dessin du Cervin de son emballage.

Appartenant respectivement aux générations Z, Millenial et X, Thibault Dejace, Kathleen Wuyard, Nicolas Balmet et Nathalie Le Blanc confrontent leurs points de vue sur le buzz du moment dans notre chronique « 10 ans d’écart ». Le sujet de la semaine: quand la Suisse pique le Cervin au Toblerone.

Thibault, 23 ans: « Pas Suisse, le Toblerone?! »

Il y a des annonces qui sont douloureuses à accepter. La disparition du Mont Cervin de l’emballage du Toblerone en fait partie. Pas seulement parce que les raisons justifiant ce changement sont nébuleuses (un manque de « Suissitude » parait-il) mais bien aussi parce que c’est tout un pan de ma (courte) vie qui se referme dans la foulée.

J’ai ainsi le souvenir de barres de Toblerone (à moitié) enfilées dans le fond d’un car qui m’amenait dans le cœur du Valais, au pied des pistes de ski. Mais aussi des Noël où ma tante revenait de son Jura d’adoption les bras chargés de ces délicieux chocolats suisses (où chaque barre était personnalisée à notre nom, excusez du peu !). C’est aussi bon nombre de dents presque cassées à vouloir croquer dans un de ces triangles alléchants. Tout ça est donc balayé d’un revers de main, pour cause de (pseudo-)manque d’helvétisme de la part de Toblerone. Adieu donc majestueux et emblématique Mont Cervin: on devra, à l’avenir, se contenter d’une pâle copie de celui-ci toute en lignes et design épuré…  Bon, heureusement l’intérieur n’est pas supposé changer et le goût devrait, lui, rester. Tout n’est donc pas perdu !

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Kathleen, 33 ans: « Quand la montagne accouche d’une souris »

Pourtant réputés pour leur ponctualité, ou du moins, leur maîtrise du tic-tac du temps qui passe, les Suisses ont cette fois, si pas le siècle de retard de l’expression consacrée (après tout, le Toblerone n’a été dévoilé qu’en 1908 sur le marché) un sacré délai tout de même. « Pas vraiment Suisse, le Toblerone »? Sans dec’ les Helvètes.

C’est qu’au gré des années, le pire ennemi des plombages, qui sont nombreux à avoir été endommagés par son mélange addictif de miel ultra collant et de nougat, a délaissé les 4 478 mètres d’altitude du Mont Cervin pour briguer d’autres sommets bien plus ambitieux. En l’occurence, 12.200 mètres au dessus du niveau de la mer, altitude atteinte par les avions desquels ils sont devenus indissociables.

Le Toblerone ne peut pas être Suisse puisqu’il est la star des duty free, lesquels, par définition, sont des no man’s lands n’appartenant à aucune nation. Cet exquis apatride n’évoque pas tant le Mont Cervin que les départs en vacances, le frisson du voyage plutôt que celui des sommets enneigés, et avec ou sans montagne, il procurera les mêmes pics de plaisir au moment de croquer dans ses triangles sucrés. Et au fond, sa neutralité (nationale) n’est-elle pas elle-même tout ce qu’il y a de plus Suisse?

Nicolas, 43 ans: « Gare au logo sans Cervin sans cerveau »

De mémoire d’épicurien, le Toblerone a toujours fait partie de ma vie. La faute à mon père, qui a toujours été amoureux de la Suisse… et du Toblerone en question. Je ne serais d’ailleurs pas surpris si, un jour, il m’avouait qu’il m’en servait comme repas quand ma mère était à un concert de rock ‘n’roll (ouais, ma mother est mélomane).

Tiens, pas plus tard que la semaine dernière, alors que je faisais la file dans une épicerie de la mer du Nord, j’ai machinalement attrapé une barre de Toblerone pour l’offrir à ce même père – maintenant que j’y pense, il ne m’a même pas proposé un mini morceau en guise de remerciement – je l’appelle dès que j’ai fini de rédiger cette chronique, il va m’entendre. Pourquoi je parle de tout ça ?

Et bien parce que l’emballage de ce délice pyramidal est, selon moi, un élément crucial du bonheur provoqué par le produit. Autrement dit : peu importe la raison, on n’y touche pas, point barre (de chocolat). En plus, je suis assez certain que ce sera remplacé par un logo sans âme, façonné à la va-vite par un graphiste qui pondra son truc sans Cervin sans cerveau. Alors que, justement, le logo Toblerone, c’est du génie à l’état pur, à l’instar de la virgule Nike, de la pomme d’Apple ou du lapin Playboy, ces logos mythiques qui ont fait l’objet d’un article remarquable à lire ici-même (si vous trouvez ça intéressant, n’hésitez pas à envoyer un peu de Toblerone à l’auteur, dont le père n’est pas très sympa).

Nathalie, 53 ans: « A-t-on atteint le sommet de l’absurde? »

J’ai eu le plaisir de sillonner la Suisse en train l’année dernière et j’en ai profité pour passer quelques jours à Zermatt, au pied du majestueux Mont Cervin. Le long de la légendaire voie ferrée du Gornergrat, il y avait un logo Toblerone surdimensionné planté dans la neige pour le plaisir des fans de selfies, lesquels, s’ils se positionnaient judicieusement, pouvaient avoir le véritable Cervin aussi en arrière-plan. Ce que j’ai fait évidemment, sans savoir que bientôt, le logo disparaîtrait des emballages – et du paysage.

C’est qu’ils sont stricts, les Suisses, et ils ne plaisantent pas avec l’idée de Suissitude. Ce que je comprends: pour se revendiquer d’un lieu, il faut avoir un lien suffisamment fort avec, et je ne manque jamais de froncer les sourcils quand on me parle de « la brasserie belge InBev » – sans rancune, le Brésil, mais entre les influences latine-américaine, mexicaine, sud-africaine et même coréenne qu’on retrouve aujourd’hui dans le groupe, on est loin des moines qui ont commencé à brasser de la bière il y a près d’un siècle. Tout comme Wouter de Backer, alias Gotye, a eu beau être estampillé « artiste belge » parce qu’il était né à Bruges, sachant qu’il a déménagé en Australie quand il avait deux ans seulement, on peut questionner sa Belgitude.

Pas étonnant, donc, qu’il faille désormais se contenter d’une montage générique sur le Toblerone. Ce que je trouve plus surprenant, tant qu’on est sur le sujet, c’est qu’un tribunal américain a décidé la semaine dernière que quiconque produit aux États-Unis un fromage à pâte dure de type alpin similaire au Gruyère peut simplement l’appeler ainsi. Le juge affirmé que ce mot ne décrivait en effet plus un lieu, mais bien un style de fromage à trous vieilli pendant 90 jours. Les fromagers de Gruyère ont voulu faire breveter leur nom de canton aux États-Unis, pour empêcher cela, mais ils n’y sont pas parvenus. Le sommet de l’absurde?

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23, 33, 43, 53 ans: voit-on forcément la vie autrement avec (plusieurs fois) dix ans d’écart ? Positionnés chacun dans une décennie différente, nos journalistes confrontent chaque vendredi leurs points de vue en débattant des sujets dont tout le monde a parlé lors de la semaine écoulée.

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