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Les moines détiennent-ils le secret de la productivité? DR Vif Weekend

La vie de moine, secret de la productivité? La croyance fait des disciples

Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

On trouve de tout sur les réseaux, et visiblement, plus une tendance détonne, plus elle a de chances d’exploser en popularité. Dernière preuve en date, l’engouement pour le rythme de vie des moines, répliqué par toujours plus de convertis qui y voient le secret de la productivité.

Appartenant respectivement aux générations Z, Millenial et X, Thibault Dejace, Kathleen Wuyard, Nicolas Balmet et Nathalie Le Blanc confrontent leurs points de vue sur le buzz du moment dans notre chronique « 10 ans d’écart ». Le sujet de la semaine: le « monk mode », ou la croyance partagée par toujours plus d’utilisateurs de TikTok que vivre comme les moines est le secret de la productivité.

Thibault, 23 ans: « Cette vie monacale m’a l’air un rien triste »

La dernière tendance en date sur TikTok consiste à mener un mode vie tout à fait monacal afin de booster la productivité. Et je dois bien m’avouer relativement dubitatif. Déjà parce que c’est loin d’être neuf, je me rappelle qu’il n’y a pas si longtemps, alors que j’étais encore aux études, plusieurs abbayes proposaient des blocus assistés dans leurs murs.

Ensuite, si j’entends l’attrait de la robe de bure et d’une vie loin de toutes tentations, je dois bien reconnaitre que malgré une éducation jésuite, j’ai la conviction religieuse d’une mouche et clairement du mal à l’idée de m’isoler dans un monastère. La foi me manque et me semble un ingrédient indispensable pour supporter ce mode de vie.

Enfin, je ne peux m’empêcher de trouver tout cela un rien triste. Cette quête ultime de la productivité, qui flirte allègrement avec la surproductivité, me dérange quelque peu. Un simple petit tour dans la niche TikTok dédiée me laisse avec la désagréable sensation de « passer à côté » de ma vie.

Tout ça parce que je ne me lève pas à 4h du matin, ne cours pas 10km avant 8h, ni ne clôture mes articles en un rien de temps, ne mange pas non plus trois repas faits-maison par jour, ou ne vis dans une maison d’une propreté irréprochable… Sincèrement je passe mon tour, je préfère mille fois ma vie moins rangée et un brin plus Rock&Roll (comprendre complétement désorganisée). Et puis, je n’ai pas besoin d’aide pour nourrir mon syndrome de l’imposteur, je le fais tout seul.

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Kathleen, 33 ans: « Tentant, mais irréaliste »

Avec le recul, ma naïveté me fait sourire, mais le fait est qu’il m’a fallu des années avant de réaliser que si les silhouettes des starlettes exhibées dans les feeds et sur papier glacé étaient si parfaites, c’était justement parce que potentialiser au maximum leur beauté faisait partie de leur métier. Loin de moi l’idée de diminuer les efforts que cela représente, mais une fois cette réalisation faite, cela remet quelque peu en perspective la quête illusoire de leur ressembler. À moins de décider de s’y consacrer à plein temps, donc, ce qui est plus simple à dire qu’à faire.

Pour les moines, c’est un peu pareil. Est-ce que j’envie leur zénitude et leur mode de vie qui a l’air nettement plus sain que le mien? Parfois, oui. Mais est-ce que clairement, à moins d’entrer au couvent, il n’existe aucun scénario où j’arrive à combiner vie professionnelle accomplie, vie sociale épanouie et rigueur monacale? Aussi. Après, s’il y a bien un truc que je retiens de mon éducation jésuite (en plus d’un certain penchant pour la rhétorique retorse) c’est que Dieu est amour et m’aime autant moi, une trentenaire parfois un peu dépassée et épisodiquement prompte à manger affalée sur le même canap’ sur lequel je viens de passer des heures à bosser, que les moines qui s’astreignent à une vie d’ascète. Amen!

Nicolas, 43 ans: « Je pourrais tout à fait devenir moine »

Moi, une vie monastique ? Pour être honnête, je crois que je serais tout à fait capable… de tenter le coup, mais avec la ferme conviction qu’au bout d’une semaine, je sortirais du monastère en criant très fort « chausséééé aux moines ! » pour me libérer de mes chaînes. Attention, je n’ai rien contre le silence, bien sûr : je suis même un fervent adepte des journées où Femme est à son cours de comédie musicale, où Ado est au cinoche avec ses amies tiktokeuses et où Enfant part en week-end à Liège chez sa mère-grand.

Ce sont des moments bénis – le mot est lâché -, pour ne pas dire des instants d’une solennité totale, durant lesquels mon corps et mon esprit se réconcilient avec une soyeuse frénésie. Autre vertu qu’il faut bien reconnaître aux moines : ils fabriquent des bières trappistes et mangent du fromage d’abbaye, ce qui, a priori, est tout à fait compatible avec mon mode de vie, vu que j’ai déjà un peu d’entraînement dans ces deux domaines. Evidemment, les mauvaises langues ajouteront un dernier argument : j’ai déjà une coupe de cheveux qui n’est pas loin de ressembler à une tonsure, ce qui me permettrait de m’intégrer dans la communauté sans le moindre complexe.

Conclusion ? Je retire ma première pensée : en fait, je pourrais tout à fait devenir moine, là, maintenant, tout de suite, et pour l’éternité. Ah mais non, je suis bête ! J’organise un tournoi de Mario Kart pour mes 45 ans et j’ai déjà envoyé les invitations. Dommage.

Nathalie, 53 ans: « Je crois que je suis un moine qui s’ignore »

Il y a quelques années de ça, j’ai passé quatre jours de retraite silencieuse dans l’écrin de l’abbaye d’Orval. Quatre jours sans dire un mot, donc, en ce compris durant les repas communs – et les séances de vaisselle postprandiales. Il était par contre autorisé de se rendre à la messe jusqu’à cinq fois par jour, ce que j’ai décliné en tant qu’athée, mais les fois où j’ai fait un tour dans l’église de l’abbaye, je me suis dit qu’au fond, la vie monacale me conviendrait bien.

Concentrer son attention sur une seule chose (ou deux, dans le cas des moines d’Orval, la prière et la bière) est d’une simplicité incroyablement délassante. Envoyée en reportage sur place parce que ma rédactrice était curieuse d’avoir le compte-rendu d’un silence imposé sur une bavarde comme moi, j’ai savouré ce mutisme temporaire, le silence m’ayant laissé l’espace mental nécessaire à la lecture de livres et d’articles qui attendaient depuis longtemps sur ma pile à lire – ainsi qu’à l’organisation de mes pensées. Je suis donc plutôt d’avis, comme nombre de Tiktokeurs d’ailleurs, que le fameux monk mode a l’air incroyablement prometteur.

Imaginez que vous ayez un projet important à finaliser, qu’il s’agisse d’un travail manuel, intellectuel ou émotionnel à accomplir. Enlever toutes les distractions extérieures et se concentrer sur l’objectif à atteindre durant une période déterminée me semble être une excellente manière d’y parvenir sans stresser. Maintenant que j’y pense, c’est déjà comme ça que je fonctionne – peut-être suis-je un moine qui s’ignore? Ou mieux encore, une nonne.

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23, 33, 43, 53 ans: voit-on forcément la vie autrement avec (plusieurs fois) dix ans d’écart ? Positionnés chacun dans une décennie différente, nos journalistes confrontent chaque vendredi leurs points de vue en débattant des sujets dont tout le monde a parlé lors de la semaine écoulée.

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