Les restos qui tarifient les mises en bouche se payent-ils la tête de leur clientèle?

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Faire payer les mises en bouche, un outrage à la décence? DR
Kathleen Wuyard Journaliste & Coordinatrice web
Nicolas Balmet Journaliste
Nathalie Le Blanc Journaliste

Touché de plein fouet par la hausse des coûts de l’énergie et des matières premières, le secteur de l’Horeca, déjà malmené par la pandémie, doit faire preuve d’imagination pour garder l’équilibre. La solution trouvée par certains établissements? Faire payer les mises en bouche à leurs clients.

Appartenant respectivement aux générations Z, Millenial et X, Thibault Dejace, Kathleen Wuyard, Nicolas Balmet et Nathalie Le Blanc confrontent leurs points de vue sur le buzz du moment dans notre chronique « 10 ans d’écart ». Le sujet de la semaine: la tendance qui se répand de faire payer les mises en bouche dans les restaurants.

Thibault, 23 ans: « Plutôt que de payer mes mises en bouche, je préfère m’offrir une deuxième entrée »

Le monde de la restauration fait grise mine. Le constat est clair et cette dernière nouvelle ne fait que confirmer la morosité qui le plombe. Voyez plutôt: désormais certaines adresses font même payer les mises en bouche.

Et si les enseignes qui font payer le pain et l’eau (il serait temps que nous adoptions les mêmes us et coutumes que nos voisins français et instaurions la carafe d’eau gratuite) ont déjà l’art de m’horripiler, le fait de payer 18 euros et 50 centimes pour une micro-assiette de 2 tranches de jambon coupées très finement, c’est la goutte de trop.

Déjà, ça ruine tout l’intérêt des mises en bouche, qui justement éveillent nos papilles à ce qui va suivre et en plus nous apparaissent presque comme par miracle – même si on paye une blinde le menu- ce qui leur confère par extension une saveur toute particulière.

Ensuite, à ce prix-là, je préfère largement me prendre une entrée supplémentaire alors. Ou quelque chose d’un brin plus consistant. Comme à la friterie à côté de chez moi. Pas de mise en bouche au menu, certes. Mais un super combo frites/fricadelle qui ne paye pas de mine mais est toujours fidèle à ses promesses, lui. Et la sauce est offerte. Si ce n’est pas beau ça !

Kathleen, 33 ans: « Un rappel cruel que la magie n’est pas réelle »

Autant, quand ils avaient mon âge, mes parents m’avaient l’air positivement anciens, autant je me sens encore (très) jeune. Peut-être parce que je n’ai moi-même pas de progéniture, et qu’ainsi que le martèle mon ami Louis, « la trentaine sans enfants c’est la vingtaine avec argent », mais plus probablement parce que de nos jours, on répète à l’envi que « 60 is the new thirty ». Et donc, mathématiquement, les trentenaires ne sont même pas prépubères. Je suis (très) jeune, donc, et pourtant, je me surprends fréquemment à vriller sur la pente glissante du « c’était mieux avant », ou du moins, moins cher.

Les moins de vingt ans ne s’en souviendront pas, mais il fût un temps où réserver une nuit d’hôtel pour se voir annoncer que le petit-déjeuner, le parking mais aussi l’accès à la piscine étaient payants aurait suscité un tollé. Et ne me lancez pas sur la Ryanair-isation des transports, où la moindre surtaxe imaginable est désormais d’application. Est-ce donc finalement bien surprenant que les restaurants décident de se tailler eux aussi une part du gâteau? Non.

Existe-t-il toutefois un moyen plus sûr de gâter le repas que de transformer ce est normalement un moment magique (ta-da, de petites bouchées sublimes apparaissent sur votre table sans que vous les ayez commandées) en rappel que la magie n’existe pas et que la vie d’adulte est une succession de factures et de déceptions? Non. Or si on s’offre un moment au resto, c’est justement pour rendre la pilule un peu plus douce à digérer, pas pour se faire des ulcères. Payer les mises en bouche, moi? Jamais. Et s’il faut consacrer une chronique entière au sujet pour assurer que vous n’ayez jamais à le faire, alors d’accord!

Nicolas, 43 ans: « Ce n’est vraiment pas le bon moment »

Comme je suis quelqu’un de (relativement) sympathique, je vais essayer de me montrer ici (relativement) sympathique. Et donc, je n’irai pas vérifier si cette étrange pratique était déjà coutumière dans les restaurants avant la crise que l’Horeca traverse depuis ce foutu virus.

Non, je me dis que c’est forcément arrivé récemment, quand les patrons de tablées se sont mis à se dire : « Bon, ok, là, on est vraiment au bout du rouleau de printemps. Le chauffage et l’électricité nous coûtent encore plus cher qu’un Coca sur une terrasse de Saint-Tropez, les gens ne prennent plus de profiteroles en dessert tellement ils sont sur la paille, la concurrence des poke bowls est devenue impitoyable, et beaucoup de nos clients ne se déplacent même plus jusqu’ici car les travaux dans la rue les empêchent de garer leur trottinette… On va donc accepter l’idée de Jonathan, notre stagiaire du mois dernier : on va faire payer nos amuse-bouche, ça mettra du beurre dans les épinards, et d’ailleurs, en parlant de ça, le prix du beurre a encore augmenté, ça devient sévèrement pénible. »

Voilà donc comment on en serait arrivé là, si je ne m’abuse (et que je suis sympa). Le problème ? En agissant ainsi, ces quelques enseignes ayant eu Jonathan comme stagiaire font passer tout un secteur pour le pire des radins. Et je dirais que ce n’est pas forcément le bon timing, parce que les restaurants, aujourd’hui, ne font qu’entr’apercevoir la sortie du tunnel.

Petite suggestion, dès lors, à tous ceux qui auraient l’idée de songer à faire payer l’utilisation de leur porte-manteau : ne faites pas ça. Et quand Jonathan vous dira « Bah, en Italie, ils font bien payer les couverts ! », n’hésitez pas à lui attraper la langue, à la découper délicatement en petits morceaux, à faire rôtir ceux-ci quelques minutes sur une poêle bien graissée, à faire déglacer au vin blanc et à accompagner le tout de petites asperges à la flamande – c’est la saison.

Nathalie, 53 ans: « Si les mises en bouche apparaissent spontanément à table, elles ne doivent pas apparaître sur la facture »

Non. Tout simplement pas.

Dans une société qui fonctionne, on a besoin de règles claires, sinon on est voués au chaos. On doit s’arrêter à un feu rouge, on dit « à tes souhaits » quand quelqu’un éternue et on ne se balade pas dans les rayons du supermarché en beuglant dans son smartphone.

Et que ce soit dans le supermarché susmentionné, en boutique ou bien sur un e-shop, on paie les choses qu’on met dans son panier, réel ou virtuel. Par contre, on ne paie pas pour quelque chose qu’on n’a pas demandé soi-même. Si ça apparaît spontanément à table, ça n’apparaît pas sur votre facture, punt aan de lijn. Je n’ai rien de plus à dire à ce sujet.

Découvrez les chroniques 10 ans d’écart, où les générations confrontent leurs points de vue

23, 33, 43, 53 ans: voit-on forcément la vie autrement avec (plusieurs fois) dix ans d’écart ? Positionnés chacun dans une décennie différente, nos journalistes confrontent chaque vendredi leurs points de vue en débattant des sujets dont tout le monde a parlé lors de la semaine écoulée.

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